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Entre l’honneur de la BoM et les dérives du politique
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Entre l’honneur de la BoM et les dérives du politique
L’arrest on arrival de l’ex gouverneur de la Banque centrale provoque une onde de choc sur le continent africain où Harvesh Seegolam était parmi les dirigeants de l’association des Central Bankers. N’y avait-il pas moyen de le convoquer gentiment à son retour au pays afin qu’il vienne s’expliquer avec ses hommes de loi aux Casernes centrales dans la discrétion afin de laver le linge sale entre nous Mauriciens ? Il y va, au-delà de la personne de Seegolam, de la réputation du centre financier qu’est Maurice et de l’impact psychologique qu’un règlement de comptes politique pourrait avoir sur les investisseurs internationaux.
Dans un monde de plus en plus volatil, où les crises financières s’enchaînent comme des vagues de marée, la Banque centrale de- meure, dans bien des pays, comme l’ultime rempart contre le chaos économique. Elle est plus qu’une institution : elle est une conscience. Une conscience qui surveille, qui inspire, qui arbitre. Ramesh Basant Roi, ancien gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), nous rappelait souvent cette vérité oubliée : le rôle du gouverneur et de ses deux adjoints n’est pas un simple poste administratif ; c’est une mission d’État, une responsabilité d’une gravité exceptionnelle. Dès lors, la question devient : à qui confier une telle charge ? Et surtout, quelles erreurs ne jamais commettre ?
Le gouvernorat ne saurait être une faveur politique, ni une peur d’ailleurs. Il ne se résume pas à un jeu d’influences ou à une ascension opportuniste, à l’image de ceux qui s’agitent excessivement dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour se faire remarquer sur des dossiers qu’ils ne maîtrisent pas toujours. Il faut au contraire des gens qui ont un droit de réserve, qui ne cherchent pas à créer la sensation, à se faire de la pub. Il faut que ceux qui sont nommés s’émancipent de leurs idoles ou maîtres politiques pour suivre un parcours rigoureux, patient, nourri par l’expérience, la réflexion et une connaissance approfondie des arcanes monétaires (pas des palabres de la rue ou de la toile). La Banque centrale est une université du réel, où chaque décision affecte la valeur d’une monnaie, le niveau de l’inflation, la santé financière d’une nation.
Rama Sithanen doit donc être l’incarnation d’une double exigence : 1) L’intégrité : une colonne vertébrale morale, et inspirer con- fiance aux marchés, aux citoyens et aux partenaires internationaux. 2) La compétence : une expertise irréprochable dans l’analyse économique, la régulation et la politique monétaire ; soit des années d’immersion dans le concret, au-delà des slogans et des apparences.
Mais cela ne suffit pas. Le gouverneur doit aussi comprendre l’âme humaine, car gouverner une Banque centrale, c’est anticiper les comportements, les peurs, les espérances. La psychologie n’est pas une option : c’est une nécessité.
La pire dérive pour une Banque centrale, c’est d’être réduite en marionnette politique. Lorsque les décisions monétaires sont dictées par l’intérêt courttermiste de dirigeants, l’institution perd sa raison d’être. La Banque devient alors un instrument d’influence, vidée de toute substance, comme cela aurait été le cas sous Seegolam, selon le nouveau régime. Et pourtant, l’Histoire est claire : les nations qui protègent l’indépendance de leurs Banques centrales prospèrent, a contrario de ceux qui les salissent pour en récolter des dividendes politiques ou pour détourner l’attention sur le non-respect des promesses électorales. L’exemple du Royaume-Uni, qui fit appel à Mark Carney, ou celui d’Israël avec Stanley Fischer, illustre cette sagesse. Là-bas, on cherche l’excellence, sans préjugés ni compromissions, sans peur ni faveur.
En revanche, quand la Banque tombe sous le joug des intérêts poli- tiques, elle vacille. Le prix à payer est immense : une monnaie affaiblie, une économie fragilisée, un peuple appauvri. C’est ce poison que nous devons éradiquer.
À l’heure où l’économie mondiale vacille sous les chocs successifs, la Banque centrale doit retrouver son rôle premier : ce- lui d’un phare dans la tempête. Elle est là pour réguler, non pour céder. Elle est là pour éclairer, non pour obéir. Son gouverneur doit incarner cette rigueur et cette hauteur de vue. Cela implique une communication mesurée, une capacité à dire «non» aux pressions et une fidélité inébranlable à l’intérêt national – pas au PM ni au parti.
Dans ce cadre, le gouverneur ne peut être qu’un homme ou une femme au-dessus des pas- sions. Un être capable de défendre l’indépendance de l’institution coûte que coûte. Car la Banque centrale n’est pas un jouet entre les mains de quelques-uns. Elle est un bien commun.
Finalement, il s’agit d’une question de choix. Voulons-nous des institutions à la hauteur des défis contemporains ou continuerons-nous à sacrifier l’avenir sur l’autel de la médiocrité ? La réponse est claire : nous n’avons plus le luxe de l’erreur.
Dans un monde où les fragilités économiques sont exacerbées, un gouverneur qui cède à la facilité est plus dangereux qu’un cyclone. Car l’érosion de la confiance est un mal irréversible. Sauvegarder cette confiance est le premier devoir d’un gouverneur. Et son ultime mérite. Sithanen a donc intérêt à brider ses deux adjoints, et à ne pas mépriser ou humilier Seegolam avant qu’il ne soit trouvé coupable par la justice...
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