Publicité

Auteure réunionnaise

Gaëlle Bélem : L’entêtant parfum de vanille d’une figure historique négligée

8 janvier 2024, 19:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Gaëlle Bélem : L’entêtant parfum de vanille d’une figure historique négligée

Première femme réunionnaise publiée dans la collection Continents noirs des éditions Gallimard, Gaëlle Bélem est actuellement à Maurice. Elle est venue présenter son second roman, «Le fruit le plus rare ou la vie d’Edmond Albius», biographie romancée au goût doux-amer de la vanille du temps de l’esclavage.

Scène surréaliste. Au 19e siècle, à l’époque de l’esclavage à Sainte-Suzanne, île de La Réunion. Récit aussi émouvant qu’inimaginable. Le maître Ferréol Bellier-Beaumont est un veuf sans enfant qui vit reclus depuis deux ans. Sa vie bascule quand sa sœur lui fait «cadeau» d’un nourrisson. Un «esclave vieux de sept semaines», orphelin de mère. Cet enfant deviendra le «ti gâté pourri» du maître. Il sera pour cet enfant son «ti père».

Avec force aromates du jardin et arômes de la cuisine, Gaëlle Bélem qui voulait faire «un livre qui donne faim» raconte Le fruit le plus rare ou la vie d’Edmond Albius. C’est son second roman publié dans la collection Continents noirs aux éditions Gallimard. L’auteure réunionnaise est actuellement à Maurice pour présenter l’ouvrage.

D’ailleurs, elle était venue chez nous pour l’écrire. «Maurice est une île qui m’inspire beaucoup. Il y a une telle sérénité. C’est propice pour que l’écrivain développe sa créativité littéraire.» L’auteure a une préférence marquée pour MontChoisy, dans le Nord, qu’elle trouve «extrêmement calme». Gaëlle Bélem confie qu’une partie de son premier roman, Un monstre est là, derrière la porte – également publié aux éditions Gallimard – a aussi été écrit chez nous. Revenir à Maurice en tournée littéraire est une manière pour l’auteure de «remercier cette île grâce à qui j’ai publié deux livres».

gaelle 1.JPG

Grande buveuse de thé – «je n’ai jamais bu d’alcool de toute ma vie» affirme-t-elle – Gaëlle Bélem s’est interrogée entre deux gorgées de thé à la vanille sur ce fruit emblématique de Bourbon. Si, à La Réunion, le nom d’Edmond Albius est pour la postérité celui de l’esclave qui, à l’âge de 12 ans, découvre le procédé de pollinisation de la vanille, «sa vie intime n’est pas connue». Juste qu’il est mort dans la misère alors que la vanille a enrichi des planteurs.

Direction les Archives. Une évidence pour Gaëlle Bélem qui a fait des études d’histoire à La Sorbonne. «J’enseigne aussi l’histoire au Lycée Leconte de Lisle et à l’université de La Réunion», préciset-elle. Ainsi équipée, elle s’est lancée sur les traces d’Edmond Albius, esclave affranchi qui n’a pas laissé de traces écrites de sa main, parce qu’il était analphabète.

Mais d’autres ont parlé de lui. Dès la première page du roman, Gaëlle Bélem cite une transcription des Archives de Bourbon n°10, lettre de Ferréol Bellier-Beaumont au juge de paix de SainteSuzanne, 1861. Lettre du maître qui confirme qu’à «cette époque, ce petit Noir créole, esclave de ma sœur, était mon gâté et constamment avec moi».

Dans son roman, «on est dans du vraisemblable plus que du véridique», explique l’auteure. En soulignant que Le fruit le plus rare ou la vie d’Edmond Albius n’est pas un roman historique «où 100 % des faits sont vérifiables», mais une biographie romancée, mélange d’éléments véridiques et de fiction. «Plus que la gousse de vanille, le fruit rare c’est cet amour filial que cet homme blanc, au 19e siècle, a pour ce petit enfant Noir, esclave, orphelin. Dans une société où les esclaves sont considérés comme des marchandises, des bêtes à tout faire.»


Juger des mineurs : Assesseure du tribunal pour enfants de La Réunion

Gaëlle Bélem est titularisée depuis cinq ans comme assesseure au tribunal pour enfants de La Réunion. «Qu’est-ce qu’on peut faire avec un jeune ? Lui transmettre des savoirs, l’éduquer, mais on peut aussi le ramener dans le droit chemin et parfois le sanctionner. Il faut être optimiste quand on fait ce travail. Se dire qu’il n’est jamais trop tard.»

Se demander où sont les parents, qu’est-ce qui a poussé le jeune à commettre un acte violent. «La justice française reste humaine et humaniste.» Mais attention, prévient Gaëlle Bélem. «Ce n’est pas de l’angélisme, il s’agit de garantir l’ordre dans la société.»

Pour être assesseure, plus que le savoir juridique, il faut surtout une expérience d’au moins dix ans dans un métier lié aux jeunes. Outre l’enseignement en milieu traditionnel (lycée et université), Gaëlle Bélem a aussi enseigné dans un centre de détention pour jeunes à La Réunion.


Être publiée chez Gallimard : «Cela vient des auteurs mauriciens»

Avant Gaëlle Bélem, deux auteurs réunionnais ont été publiés chez Galli- mard : Jean François Samlong et Emmanuel Genvrin. Elle est la première femme réunionnaise – et la plus jeune auteure de son île – à être publiée par ce prestigieux éditeur.

Entrer dans cette maison vient «aussi des auteurs mauriciens». Elle trouve que Maurice a «toujours eu une longueur d’avance». Avant de citer Jean-Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de littérature, Malcolm de Chazal, Ananda Devi et Nathacha Appanah. En novembre dernier, «Nathacha Appanah a participé au Festival en Pays Rêvé en Martinique, comme moi», confie-t-elle. Alors qu’en 2020, deux ans avant Ananda Devi, Gaëlle Bélem a reçu le Grand Prix du Roman Metis, à La Réunion.

Tout comme Gaëlle Bélem, Nathacha Appanah et Ananda Devi ont aussi été publiées dans la collection Continents noirs de Gallimard. «Il me manquait des auteurs modèles à La Réunion, je les ai trouvés dans l’île sœur», affirme-t-elle. Avant de souligner que le rayonnement international des auteurs mauriciens tranche avec la littérature réunionnaise, qui reste «extrêmement insulaire».

Sortir de son île, sur le plan de la littérature, relève pour Gaëlle Bélem du «miracle». Son aventure littéraire commence par la lecture de «Le Clézio par exemple. Après je me suis dit : et si j’essayais». Quand elle envoie son manuscrit, «c’était Gallimard ou rien. J’aime les défis». Alors que cet éditeur reçoit «l’équivalent de 30 manuscrits par jour». Au bout de «deux à trois mois d’attente», réponse positive. Sa réaction ? «Une joie contenue sans être dans l’euphorie parce que ce n’était qu’un début.» Son premier roman, Un monstre est là, derrière la porte (titre prémonitoire) sort «deux semaines avant le début de la pandémie. Avec les confinements c’était impossible de faire connaître ce livre». Pourtant, le succès de ce roman a provoqué sa réédition en livre de poche.