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Gérontocratie stratégique

11 janvier 2024, 14:57

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La nomination, hier, de Gabriel Attal, 34 ans, comme Premier ministre de France – qui fait suite à l’élection d’Emmanuel Macron, en mai 2017, comme président de la République à l’âge de 39 ans – devrait faire réfléchir ceux qui choisissent les chefs d’État et de gouvernement à travers le monde. Surtout à un moment où l’octogénaire Joe Biden souhaite rempiler à la tête de la plus vieille démocratie du monde pour contrer le revenant Donald Trump, qui fêtera ses 78 ans en juin prochain.

À Maurice, la question de la retraite non anticipée interpelle. Avant 2016, notamment dans La République des vieux schnocks (II) ou le pari de la jeunesse, KC Ranzé soulignait, dans les colonnes de l’express dimanche, que «(...) récemment, il y a eu une suggestion, selon laquelle il fallait prolonger l’âge de la retraite, notamment pour réduire la pression sur les fonds de pension et ainsi éviter leur perdition, mais aussi parce que les vieux, (maintenant mieux soignés et avec des espérances de vie active rallongées) peuvent toujours être utiles et aider. Je comprends cette suggestion, mais je pense qu’elle ne peut pas tenir la route tant que les vieux insisteront, par fierté déplacée, pour n’être employé à rien d’autre qui soit considéré comme ‘inférieur’ à leur dernier emploi !»

En effet, nombre de jeunes, passablement découragés par le faible taux de remplacement à des postes de leadership, estiment que notre République a été confisquée, au niveau stratégique, par nos aînés, fiers et fringants membres du 3e âge. Tant au sein des partis politiques, qu’au sein de la fonction publique ou des grands groupes du privé, les seniors sont presque partout, solidement assis sur leurs années d’expérience, pour partager leur vision du monde, qui ne cesse de se transformer depuis la seconde guerre mondiale.

Déjà en novembre 2019, Pravind Jugnauth, pas encore sexagénaire, avait compris, après avoir pris le relais de son père, qu’il lui fallait rajeunir son équipe. Face à lui, l’électorat avait rejeté le leadership éprouvé de Navin Ramgoolam et celui de Paul Bérenger, septuagénaires. Cinq ans plus tard, soit en ce début de 2024, les deux bêtes politiques, malgré les rides, n’ont pas raccroché leurs gants, et veulent, avec Xavier Duval, arracher le pouvoir de Pravind Jugnauth. Comme des personnages de roman, qui sont des maîtres du temps, ou plutôt suspendus en dehors de celui-ci.


Une des principales caractéristiques des régimes non démocratiques s’avère que les dirigeants ne peuvent être démis de leurs fonctions par des moyens légaux : dans la plupart des régimes autoritaires, il n’existe aucun moyen institutionnel de renvoyer les dirigeants incompétents, et les renverser est coûteux. Anticipant cela, les personnes ayant leur mot à dire dans la sélection du leader sont susceptibles de recourir à des stratégies alternatives pour limiter sa durée au pouvoir. Dans Strategic Gerontocracy, des chercheurs américains ont examiné de manière empirique l’hypothèse selon laquelle le choix des dirigeants âgés se révèle un moyen pratique de réduire leur temps prévu au pouvoir; la gérontocratie devenant alors un résultat probable chaque fois que les dirigeants sont censés régner à vie. Cette hypothèse a été testée en utilisant des données sur les dirigeants politiques pour la période de 1960 à 2008. Constat : les dictateurs ont une espérance de vie plus courte que les démocrates au moment de leur prise de fonction. Cependant, une fois au pouvoir, l’on a noté des variations : ceux qui sont choisis par consentement sont en moyenne plus proches de la mort que ceux qui s’emparent du pouvoir de manière irrégulière, comme c’est le cas au Burkina Faso ou au Gabon. L’étude suggère donc que la gérontocratie résulte du processus de choix. Et elle disparaît lorsque les dictateurs se sélectionnent eux-mêmes pour des positions de leadership.

Avec le tandem Macron-Attal, voire le cas Rishi Sunak dans notre ancienne puissance coloniale, le vieux continent d’aujourd’hui contraste singulièrement avec le continent africain, où les leaders ont tendance à augmenter les retraites pour eux-mêmes !