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Médecins : les salaires de la peur

8 novembre 2013, 00:29

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Médecins : les salaires de la peur

Les médecins sont censés avoir une trempe différente des autres professionnels. Ils sont censés soigner principalement  par compassion, mais aussi pour leur satisfaction personnelle. Ce sont ces sentiments qui complètent leurs rémunérations en argent, une rémunération qui devient secondaire dans leur aspiration. Si un médecin ne se satisfait pas de cette situation, c’est qu’il n’a jamais eu la vocation, qu’il a simplement étudié la médecine parce qu’il a été aveuglé par l’appât du gain et le statut que lui confère la blouse blanche surmontée du stéthoscope. Il sera de ceux qui vont exploiter la misère et le désarroi devant la maladie.

 

Soit. Mais il y a une limite à toute chose.  Un jeune médecin  qui a investi des millions et un minimum de cinq années d’études ne peut qu’éprouver une profonde frustration quand il se rend compte qu’un avocat touche un cachet de Rs 5 millions par affaire. Quand il compare ses salaires – salaires de base de Rs 38 100 - aux salaires du « Senior Chief Executive »du ministère de la Santé qui touche Rs 144 000 comme salaires, en sus des primes (fringe benefits) attachées à ce poste. Une frustration qui a aussi gagné les rangs des spécialistes et les consultants en général.

 

Pour arriver à arrondir ses fins de mois, à payer les différents prêts contractés pour financer ses études et financer sa voiture hors taxe, le jeune praticien généraliste doit travailler 31 heures d’affilées plusieurs fois par semaine pour pouvoir obtenir Rs 50 000 mensuellement. Ces salaires sont inférieurs à ce que touchent  les manutentionnaires de la Cargo Handling Corporation par exemple.

 

Un chef de cabinet – Permanent Secretary (PS) - touche Rs 114 000 (en sus des autres primes, comme voiture hors taxe etc) et le pays a connu des PS qui n’avaient comme tout diplôme qu’un « School Certificate » ! Les autres diplômes qui leur ont permis de grimper dans la hiérarchie étant l'appartenance ethnique, communautaire, castéiste et des liens de parenté avec  ceux qui dirigent le pays.

Les praticiens spécialistes ne sont pas mieux lotis. Leurs salaires sont souvent inférieurs à ce qu’on offre aux infirmiers dans les hôpitaux publics d’Afrique du Sud, par exemple. C’est ce qu’a affirmé un Mauricien, praticien spécialiste, qui a refusé d’intégrer notre système de santé publique il y a quelques années de cela. D’autres, y compris des généralistes de formation européenne, ont refusé catégoriquement de travailler pour nos hôpitaux. Bien d’autres sont partis au bout de quelques mois de travail stressant dans des hôpitaux du pays.

 

Hélas, les motifs de leurs refus ne s’arrêtent pas uniquement à cette question de salaires.

 

La gestion de nos hôpitaux a été dangereusement – et probablement irrémédiablement – pervertie, corrompue et débauchée depuis longtemps par des interventions politiques. Non seulement des différents ministres de la Santé du passé, mais également par bien d’autres ministres (surtout pour les promotions et les transferts punitifs),  des députés, des associations socio-culturelles, des agents politiques notoires … La liste de ces énergumènes est vraiment longue.

 

Des interventions pour que certains malades aient un traitement VIP, pour que la liste prioritaire des traitements et des opérations ne soit pas respectée, pour que des médicaments – qui peuvent aller jusqu’à Rs 500 000 pour un traitement dans un cas très particulier d’hépatite - soit dispensés à des personnes qui ne le méritent pas.

 

Quand ces interventions se font pour que l’administration « oublie » des sanctions prises contre certains médecins et pour la promotion non méritée de certains autres, la frustration des professionnels de la Santé prend une toute autre dimension.

 

Leur progression sur le plan professionnel paraît alors menacée et leur plan de carrière devient irréalisable.

 

Se pointe alors à l’horizon le spectre de la désertification médicale que le pays a connue dans le passé et qui avait forcé l’Etat mauricien à recruter des centaines de médecins indiens pour nos hôpitaux.

 

Est-ce pour cette raison qu’un ex-ministre de la Santé a muselé et complètement amoindri les pouvoirs du Medical Council afin que des médecins et des dentistes mauriciens de formation douteuse puissent être recrutés dans nos hôpitaux. Ceux-ci, dont les diplômes ne sont pas reconnus en Europe, au Canada, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Inde, en Arabie Saoudite etc., ne risquent pas de s’exiler et de créer une autre désertification médicale dans l’île. Ces types de médecins sont déjà légion dans nos institutions de santé ce n’est que cette année qu’un examen poste-internat a été introduit pour fermer la porte du pays à ces demi-médecins.

 

La stratégie perverse (si stratégie il y a eu) de cet ex-ministre de la Santé démontre en ce moment ses limites. Du moins à ceux qui peuvent voir et interpréter ce qui se passe en ce moment dans le monde médical mauricien.

 

Le syndicat Medical and Health Officers Association se bat depuis des années pour que les heures supplémentaires des praticiens généralistes soient rétribuées à leur juste valeur  et à égalité avec les autres employés des hôpitaux, tels les laborantins, par exemple. Mais bon nombre de ces généralistes ont trouvé une autre voie qui risque de rendre nos hôpitaux encore plus dangereux à l’avenir.

 

Plus de cent d’entre eux  sont partis, ou sont en instance de départ, pour la Chine où ils reviendront dans trois ans avec un diplôme ronflant de médecin spécialiste.

 

Le pays compte environ 600 généralistes, majoritairement des médecins ayant étudié dans des pays de l’Est ou en Chine. Au train où vont les choses, nous n’aurons dans quelques années presque pas de généraliste. Rien que des spécialistes. Dieu seul sait s’ils seront des demi-spécialistes ou des quarts spécialistes, à l’instar d’un « dokter poule » devenu  « spécialiste poule » et qui a récemment été condamné pour avoir tué une patiente.

 

Ceux qui optent pour un pays autre que la Chine ou Moscou, s’ils ont les moyens et le niveau requis, auront la chance de trouver du travail en Europe.  Maurice risque d’avoir sur les bras que les plus médiocres de ces spécialistes.

 

Il semblerait que les généralistes qui s’envolent en grand nombre pour la Chine aient été attirés déjà par un projet du ministère de la Santé concernant des heures supplémentaires pour des spécialistes qui devront à l’avenir passer la nuit à l’hôpital.  On parle d’un cachet de plusieurs milliers de roupies  par nuit de garde à l’hôpital.

 

Quoiqu’il en soit, ces jeunes médecins qui ont hâte de  se spécialiser cherchent en fait à sortir de leur situation présente. Beaucoup avouent qu’ils vont travailler la peur au ventre.  La peur d’être ridiculisé par leurs ainés de formation européenne, la peur d’être tabassé par des malades ou des proches des malades, la peur des sanctions de l’administration, la peur de rédiger des prescriptions, la peur de se tromper sur les symptômes, la peur d’une erreur qui mènerait à leur radiation comme médecin, surtout s’ils n’ont pas la fameuse « protection politique » si nécessaire aujourd’hui dans nos hôpitaux.

 

Peut-on les blâmer ?