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L'impossible mission des médecins

16 novembre 2013, 06:12

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L'impossible mission des médecins

Une minute et demie, ou deux au grand maximum. C’est le temps que les généralistes et les spécialistes consacrent à chaque patient diabétique lors de leur rendez-vous dans les unités de consultations externes (Out patient department ou OPD) de nos dispensaires et hôpitaux.

 

Ces médecins sont en fait tenus à s’occuper d’un minimum de 120 diabétiques – qui sont souvent également hypertendus- en 3 heures de temps; soit de 9 h. à midi le matin. Le même scénario se répète l'après-midi. Le quota quotidien dépasse souvent ces 120 patients par jour et les syndicats des médecins n’ont jamais levé le petit doigt contre ce système qui déshumanise les médecins et la médecine.

 

Une minute et demie, c’est à peine le temps d'ouvrir le dossier du malade et de jeter un coup d’œil sur le taux de glycémie du malade, si jamais les résultats d’analyse sanguine, en général un test d'hémoglobine glyquée ou HbA1c, ne se perdent pas entre le laboratoire et le cabinet du médecin à l’hôpital ou au dispensaire. Il rédige ensuite la prescription. Le prochain rendez-vous du malade sera dans trois mois quand il passera encore une minute et demie avec le spécialiste ou le généraliste.

 

Une honte qui fait de Maurice la risée du monde. Une gestion du diabète qui coûte énormément d’argent aux contribuables et à la société. Ces consultations d’une minute et demie ont donné les résultats escomptés.  Ainsi, ces dernières années, le taux de mortalité associé au diabète a connu une ascension fulgurante de même que les complications associées à cette maladie – amputation, gangrène, insuffisance rénale  etc. 

 

Le ministre de la Santé se met les doigts dans l’œil s’il pense pouvoir améliorer la situation par le recrutement d’un certain nombre de diabétologue, comme anoncé dans le dernier budget.

 

Déjà, des spécialistes sont sollicités chaque jour pour apporter des soins primaires aux diabétiques – toujours en une minute et demie par patient - alors que cette tâche aurait dû être confiée aux généralistes. Les spécialistes sont normalement mobilisés à l'étranger pour s’occuper des diabétiques qui ont déjà développés des complications.

 

Est-ce que les diabétologues annoncés – si jamais ils sont recrutés – se joindront au système actuel qui depuis plus de trente ans donne des indications d’échec ? Est-ce que le ministre compte changer de cap avec ce qu’il a récemment annoncé, c’est-à-dire le concept de l’éducation thérapeutique du patient. Si tel est le cas, va-t-il tenir en ligne de compte les spécificités culturelles de Maurice dans son nouveau projet ?

 

Le ministre semble vouloir s’appuyer sur les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en termes d’éducation thérapeutique des diabétiques.

 

Si tel est le cas, sa tâche ne sera pas facile. Il va falloir accorder plus de temps aux médecins- et du coup recruter bien d’autres médecins. Le plus difficile consistera à apporter un changement drastique dans leur comportement envers les diabétiques. L’OMS signale les faits suivant dans son « Education thérapeutique du patient – 19998 »

« Les soignants ont tendance à parler au patient de leur maladie plutôt qu'à leur apprendre à la gérer au quotidien.  L'éducation thérapeutique du patient a pour but de former les patients à l'autogestion, à l'adaptation du traitement à leur propre maladie chronique, et à leur permettre de faire face au suivi quotidien. Elle contribue également à réduire les coûts des soins de longue durée pour les patients et la société. Elle est essentielle pour une autogestion efficace et pour la qualité des soins des maladies de longue durée, même si les patients souffrant de maladies aiguës ne doivent pas en être exclus ». 

 

L’OMS recommande également des programmes éducatifs destinés non seulement à des médecins, mais également à des infirmières, des diététiciens, des pharmaciens, des kinésithérapeutes, des ergothérapeutes, des psychiatres/psychologues, des travailleurs sociaux, des spécialistes en santé du travail et des pédologues afin de mener à bien l’éducation thérapeutique du diabétique. 

 

Tout cela ne sera pas une garantie de succès si les spécificités culturelles du pays ne sont pas prises en considération. Plusieurs médecins du pays ont essayé des formules qui ont marché. Mais comme nul n’est prophète en son pays, leurs formules de travail ont été vite mises à la poubelle et ces spécialistes transférés peu de temps après. On parle de « jalousie » de leurs supérieurs devant leurs succès. C’est là une autre spécificité de la culture qu’on retrouve entre les spécialistes de la Santé publique et les gestionnaires de nos hôpitaux.

 

Il y a ainsi ce spécialiste qui avait introduit à l’hôpital Candos un système de carte sur laquelle le diabétique devait noter régulièrement trois paramètres. Son poids, sa tension artérielle et son taux de glycémie. Cette carte avait eu pour effet de rendre le malade et ses parents conscients de l’évolution de sa maladie par rapport à ses autres paramètres, à ses prises de médicaments, à son régime alimentaire et à ses séances d’exercices. 

 

Des diabétiques s’étaient alors équipés de glucomètres ou alors se faisaient tester régulièrement en pharmacie entre leurs rendez-vous trimestriels à l’hôpital. L’expérience marchait et les malades, souvent des vieux analphabètes, étaient aidés de leurs parents dans ce qu’ils appelaient la trithérapie du diabète – médicament, régime alimentaire et exercice. Le tout devait se terminer en eau de boudin avec le transfert du spécialiste dans une autre unité !

 

Mais aujourd’hui on dispose des cartes de santé électroniques et intelligentes, liées à des dossiers de santé électronique qui rendent les choses encore plus facile.

 

Une combinaison de l’éducation thérapeutique et de ces types de cartes de santé serait une innovation de taille dans notre système de santé publique et aiderait grandement à une bonne gestion du diabète. 

 

Autrement la mission sera impossible pour les médecins et diabétologues qu’on cherche à recruter, car 90 % des responsabilités pour le contrôle du diabète se trouvent entre les mains du malade lui-même.