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Malenn D. Oodiah : L’industrie touristique à la croisée des chemins
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Malenn D. Oodiah : L’industrie touristique à la croisée des chemins
L’économie mauricienne est en pleine transition. Elle subit les mutations de l’économie mondiale avec la crise systémique de 2008 et le basculement du monde qui se traduit par le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie. Pilier de l’économie nationale dans le cadre d’une politique de diversification économique mise en place après l’Indépendance en 1968, le secteur touristique et hôtelier s’est développé au fil des années au point qu’il y a une quinzaine d’années, on le présentait comme le futur moteur de la croissance économique du pays. Toutefois, depuis 2008, ce secteur connaît de sérieuses difficultés. Il est aujourd’hui à la croisée des chemins. Le défi consiste à ne pas se tromper sur l’orientation et la direction à lui donner.
Le tourisme est un secteur clé de l’économie nationale et joue un rôle socio-économique majeur. Durant les cinq dernières années (2008-2013), sa contribution annuelle moyenne au produit intérieur brut (PIB) a été de 8 %. Les recettes de 2013 sont au même niveau que 2008, soit autour de Rs 41 milliards. L’emploi direct se chiffre à 29 000. Il faut compter le double en emplois indirects à travers les entreprises qui sont associées d’une manière ou d’une autre au secteur. La notoriété du pays comme destination touristique de qualité est un atout pour d’autres secteurs tels que l’habitat de luxe : IRS-RES. Le secteur est aussi un atout pour attirer les investisseurs étrangers. Le tourisme mauricien s’est développé comme une destination balnéaire dans une île tropicale et a pendant longtemps eu comme clientèle majoritaire les Européens (66 % en 2009). Maurice s’est faite une place sur la carte touristique mondiale avec l’existence d’une population ayant un sens de l’hospitalité légendaire, de belles plages et une hôtellerie de grande qualité dotée d’excellents services et prestations. C’était l’époque du tourisme exclusif axé sur le développement du tourisme balnéaireoù les hôtels de plage comme le St-Géran et le Royal Palm rivalisaient en termes de qualité, tandis qu’Air Mauritius jouait le rôle de compagnie nationale en ouvrant les lignes, développant ainsi les marchés.
Aujourd’hui, la vigilance est nécessaire pour préserver précieusement les atouts qui sont à la base de son succès ; des atouts aujourd’hui menacés par certaines dynamiques qui touchent aux mentalités et à des pratiques. Le tourisme, qui s’est développé sans filet de protection, est le symbole même de l’ouverture sur le monde extérieur et les autres cultures. À l’heure de la mondialisation ceci est important.
Tout au long de son histoire, longue maintenant de plus de soixante ans, le tourisme mauricien a connu des moments difficiles dus surtout à des facteurs externes affectant les marchés, mais aussi à des problèmes internes. Le pays a pu toujours surmonter les difficultés pour faire progresser le secteur. Maurice a su développer et préserver l’image d’une destination de qualité. Depuis 2008, le tourisme mauricien traverse une crise en raison d’une conjoncture internationale difficile dans le sillage de la crise financière de septembre 2008 et de sérieux problèmes structurels. Il y a eu un télescopage de facteurs qu’il convient de bien distinguer – même s’ils sont liés – pour trouver les pistes de sortie. La crise de l’économie mondiale, plus précisément dans la zone euro, intervient sur fond de crise du transport aérien avec la hausse du prix du pétrole. À Maurice, les finances de la compagnie nationale, Air Mauritius, se sont trouvées plombées par le hedging. Air Mauritius a dû revoir son modèle et a préparé un plan stratégique de survie en 7 volets, dont le resserrement du réseau, soit l’arrêt de vols sur certaines destinations, principalement en Europe et le « hubbing » sur Paris. Sur fond de crise dans la zone euro, le tourisme a fait les frais de cette stratégie d’Air Mauritius qui transporte la majorité des touristes venant à Maurice.
En 2006, lors des assises nationales sur le tourisme, le gouvernement avait fixé comme objectif pour 2015 deux millions de touristes. Partant de là, l’hébergement a connu une importante croissance alors que les arrivées plafonnent, avec pour résultat un sérieux et grave déséquilibre structurel. Ce déséquilibre, estimé en décembre 2011 à un déficit de 300 000 touristes, s’est aggravé et se chiffre à 500 000 fin 2013. Et ce pendant que le pays peine à atteindre 1 million de touristes en 2013. Pour résoudre le déséquilibre, il faudrait logiquement agir tant sur l’offre que sur la demande. Des voix se sont élevées pour réclamer un gel de nouveaux projets, le temps de faire repartir les arrivées. Il y a eu un moment des signes qui indiquaient que les autorités avaient entendu. Mais au vu des nouveaux projets annoncés, le déséquilibre va perdurer, voire s’aggraver. Cela en dépit du fait que la desserte de la destination connaît des progrès notables avec les vols quotidiens d’Emirates, dont celui de l’A380, l’arrivée de Corsair, de Dreamliner et les nouveaux vols sur la Chine. Turkish Airlines est attendue, quant à elle, pour le mois d’octobre.
Une des manifestations de la crise que connaît encore le secteur touristique et hôtelier c’est la guerre des prix qui résulte de la compétition entre les destinations, mais aussi entre les hôtels ici à Maurice. Cette guerre a eu une triple conséquence : une baisse inquiétante de la qualité des services et des prestations, une baisse de la profitabilité des entreprises hôtelières et une dégradation de l’image de la destination. D’une destination exclusive, nous sommes est en train de devenir une « discount destination » en raison de la braderie que pratiquent certains opérateurs. Le secteur hôtelier et touristique est perçu comme prospère, profitable.
Le paradoxe c’est qu’au moment où le gâteau rapetisse, il y a une multiplication, à tous les maillons de la chaîne touristique et hôtelière, d’opérateurs qui veulent chacun avoir sa part. La transformation du littoral en foire d’empoigne opposant les différents opérateurs et les usagers – résidents des hôtels, résidents de la parahôtellerie, le grand public – est une manifestation de la conséquence de dynamiques qui laissées à elles-mêmes sont tout simplement en train de laminer l’image de la destination. Nous ne pouvons continuer à jouer à l’autruche sur le littoral. Il en est de même de certaines pratiques qui sont en train de faire un tort considérable au secteur. Cela va du marché de la contrefaçon à des systèmes de commissions, en passant par des pratiques relevant de l’arnaque.
Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de la crise qui frappe le tourisme. C’est ainsi qu’il a été question de le « repenser », de le « réinventer », de le « sauver », de le « faire évoluer ». Le diagnostic des uns et des autres ne s’accordent pas toujours. Tantôt c’est l’aérien
– desserte, prix du billet, taxes diverses – qui est pointé du doigt, tantôt c’est la crise économique qui frappe les marchés traditionnels. Il y a ceux qui pensent que la destination et ses produits demandent à être enrichis pour répondre aux nouvelles attentes des touristes. Et il y a ceux qui mettent en cause la politique de promotion de la destination qui serait complètement dépassée tant dans le fond que dans la forme. Certains trouvent trop chers les prix des hôtels. Il faut impérativement que les principaux partenaires / acteurs de l’industrie arrivent à s’entendre sur le diagnostic et à dégager une Shared vision pour trouver les pistes de sortie durable à la crise.
En attendant cet exercice de Shared vision, il y a des raisons d’espérer pour une amélioration de la situation en 2014. La reprise, même timide, dans la zone euro, les initiatives tant au niveau de l’aérien que de celui de la promotion des nouveaux marchés – Chine, Moyen-Orient – vont dans ce sens comme l’indique la croissance de 3,7 % en janvier 2014. L’avenir passe par une articulation intelligente entre les marchés traditionnels et les nouveaux marchés. Il ne s’agit pas de remplacer, mais d’articuler car le tourisme balnéaire aura toujours sa clientèle. Au-delà des initiatives concrètes pour une reprise, de l’articulation à trouver entre la clientèle des marchés traditionnels et celle des nouveaux marchés et du « right mix » au niveau des produits et prestations, le problème de fond reste l’orientation à donner au secteur. Il s’agit d’arrêter une politique cohérente et crédible en travaillant sur les fondamentaux : l’offre de l’hébergement, l’accès aérien et la promotion de la destination.
L’heure n’est pas à la fuite en avant en misant sur une approche uniquement quantitative qui pour beaucoup de raisons – économique, sociale, environnementale et culturelle – va tirer la destination vers le bas et la faire dériver. Vivement donc que tout soit mis en oeuvre pour assurer la pérennité de notre secteur touristique. Avec un souci de qualité qui soit conforme à l’image et à la notoriété de la destination Maurice.
Source : Business Year Book, a special edition of Business Magazine.
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