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L’art du possible

25 avril 2014, 09:41

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L’art du possible

Pour comprendre ce qui va sortir de sa marmite, la cuisinière sait qu’il est crucial de considérer ses ingrédients. Pour comprendre ce que la marmite de la politique locale va produire, il faut, pareillement, bien regarder les ingrédients.

 

Navin Ramgoolam se savait fragilisé politiquement au point de craindre sérieusement de perdre les prochaines élections générales. Ce n’était pas du tout difficile à prévoir : en démocratie, l’usure du pouvoir est très réelle et ce troisième gouvernement  Ramgoolam a été, en plus, sévèrement secoué par une déferlante de scandales qui a d’abord miné, ensuite noyé, les quelques accomplissements du régime (aéroport, routes).

 

Navin Ramgoolam l’a bien compris et a même été jusqu’à promettre un «tsunami» pour essayer d’éliminer les carapates du pouvoir qui lui donnaient, tant au gouvernement qu’à sa périphérie, une image bien négative. De tsunami il n’y a point eu parce que Ramgoolam, pourtant au pouvoir, ne pouvait même plus agir contre ceux qu’il avait lui-même sélectionnés.

 

De plus, comme l’a écrit un éditorialiste respecté il y a quelques années, Ramgoolam préfèrerait régner que gouverner. C’est encore plus vrai aujourd’hui ! Bérenger a fait plus de 40 ans de politique, mais il n’a été aux commandes du pays que très brièvement. Or, le temps passe et ce monsieur a le sens de l’Histoire et veut, comme Ramgoolam avant lui, laisser sa marque. L’alerte aux amygdales de l’an dernier l’aura rendu encore plus pressé.

 

Son alliance avec le MSM n’a été qu’une alliance de circonstance. De l’opportunisme pur. Il a sans doute du respect pour sir Anerood, mais on connaît ses allergies à  Jugnauth junior, Soodhun et tant d’autres dans le poulailler orange. D’ailleurs, il a perdu bien des plumes en faisant cette alliance. Mais son calcul (il calcule tout le temps, le zouave) était de chercher les cinq sous qui lui donneraient le levier nécessaire vis-à-vis de Ramgoolam ; les travaillistes le fascinant depuis longtemps déjà. Sur ce plan-là, cela a été une réussite, au point qu’il avait retrouvé toutes ses plumes grâce à la double oeuvre du temps (qui fit oublier ses acrobaties pour rejoindre Jugnauth) et des scandales (qui lui ont permis de marquer des points sans grande difficulté, presque par défaut).

 

Aujourd’hui, il risque clairement ses plumes à nouveau, car il n’a plus le temps et parce que le rêve alchimique est «là-bas». Jugnauth et Duval ne pèsent vraiment pas lourd et sont menacés d’insignifiance totale avec la réforme électorale. Ils ne peuvent que se taire et attendre.

 

Le temps est donc arrivé. On peut comprendre l’homme de principe qu’est  Collendavelloo, démissionnant devant la grande valse des chambres à coucher, les discours qui s’adaptent au gré des circonstances, l’adoration, tournante d’ailleurs, de ce que l’on a, hier, honni, pouvant devenir insupportable pour un homme de raison, situé à l’intérieur du fromage. Mais la politique, c’est aussi l’art du possible et, faut-il l’ajouter, l’art du compromis*.

 

Et quand on regarde la toile de fond, les  discussions Ramgoolam/Bérenger paraissent bien moins qu’improbables, puisque de puissantes raisons objectives les poussent à s’accommoder ! Eh oui, mais il y a des complications. Même entre alchimistes. Qui n’ont, d’ailleurs, historiquement, jamais trouvé la formule idéale qui marche à tous les coups! Devraient-ils donc aspirer à du moins que parfait ? Très certainement !

 

* * *

Alors, est-ce une avancée pour le pays si le rougemauve se concrétise ? Faut-il encore que cela se concrétise d’abord ? S’il fallait choisir entre une alliance MMM-MSM et une alliance PTr-MMM au pouvoir, il faut reconnaître que la première serait sans doute plus saine sur le plan de la démocratie électorale (il y aurait au moins une opposition travailliste, surtout si la réforme électorale a été, entre-temps, réalisée). Mais la deuxième serait peut-être plus transformationnelle sur le même plan, notamment en proposant une deuxième république avec moins de concentration de pouvoir (et  donc de tentation totalitaire) entre les mains d’un seul homme. Le contrepoids politique, le débat contradictoire serait, du moins pour un temps, non plus à l’extérieur du gouvernement (souvent, malheureusement, sous forme de démagogie pure ou de critique non constructive), mais bien à l’intérieur.

 

Ça pourrait ne pas être plus mal, surtout si les débats sont menés de manière raisonnée plutôt qu’émotionnelle. De manière sincère pour le pays plutôt que dévoyés par les caciques partisans et les consommateurs avides de « bout ». Quelles que puissent être les plumes perdues par Ramgoolam et Bérenger dans une alliance envisagée, on peut aussi présumer que plus de citoyens se sentiront (se croiront) à l’intérieur du wigwam gouvernemental de cette manière-là, plutôt que si le MMM-MSM est au pouvoir. Ce qui serait pratique sur le plan de la détente sociale. Sur le plan de l’économie, cela pourrait aider aussi et ramener l’investissement aux niveaux nécessaires à nos ambitions. C’est sans doute un risque que le pays peut prendre, même si je ne sousestime pas les possibilités de querelles, malgré la supposée sagesse de l’âge. Ou le risque oligarchique !


Excepté que le vide électoral laissé derrière va, comme dans les années post-indépendance, inévitablement susciter une nouvelle sève qui pourrait au moins nous assurer une relève de qualité, dont les partis actuels semblent totalement incapables…

 

Par contre, nous noterons finalement que la situation actuelle est tellement fluide que très peu est effectivement prévisible et que la chute de la présente Kronik a dû être revue trois fois déjà !



Devrions-nous en dire plus à propos des «paroles» engagées par nos leaders politiques au cours de ces dernières décennies et ...jours ?

 

* C’est Yitzhak Rabin qui demandait, de manière rhétorique, avec qui faire la paix si ce n’est avec son ennemi d’hier ?