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La «gentillesse légendaire» sérieusement parasitée
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La «gentillesse légendaire» sérieusement parasitée
La lecture du cheminement de Maurice depuis son «indépendance» politique dépend certes des critères d'évaluation, mais aussi de l'expérience individuelle de chaque citoyen. D'un point de vue strictement matériel, l'impression d'ensemble tendrait à démontrer un «progrès» symbolisé, entre autres, par des maisons plus résistantes aux cyclones et mieux équipées, des antennes paraboliques, des «autoroutes», des centres commerciaux. En déconstruisant ce «devlopman», une réalité nettement plus nuancée se dessine. La question fondamentale est : à quel prix ?
Dans le sillage du «miracle» des années 1980, le plein emploi, les revenus additionnels dans les ménages et une inflation relativement basse ont favorisé l'essor de revenus disponibles et une sophistication du train de vie. Les «besoins» ayant été plus accessibles, beaucoup de Mauriciens pouvaient ainsi se permettre de satisfaire leurs «désirs», quitte à s'endetter. Preuve que, même si elle a été éphémère, la confiance s'était installée. Et la complaisance avec. Or, c'est dans un tel cycle qu'une transformation structurelle s'avère moins pénible à mettre en place. Hélas !
Le fossé entre l'offre et la demande dans pratiquement tous les secteurs n'arrête pas de s'élargir depuis. Que ce soit en termes de quantité ou de qualité. Les inadéquations ont atteint un tel niveau qu'il devient légitime d'être inquiet. S'il y a une vertu qui semble être aux antipodes des caractéristiques de nos gouvernements successifs, sauf peut-être dans une moindre mesure le premier gouvernement après l'indépendance, c'est le planning.
Voici un exemple très évocateur de ce qui sépare la vision de l'hallucination : le troisième terminal opérationnel depuis peu à l'aéroport de Singapour était déjà inscrit dans le plan directeur de 1975. A Maurice, la «croissance à tout prix» a occulté la nécessité d'anticiper l'avenir et de s'adapter aux mutations globales. Pour justement entretenir cette obsession, au lieu de revoir complètement ses politiques publiques, Maurice s'est largement contentée de doper son expansion économique à travers la dépréciation de la roupie tout en bénéficiant d'accords préférentiels.
Au fur et à mesure que le pays s'éloigne de l'ère du «miracle» et des bienveillances des «pays amis», les Mauriciens, pour qui «besoins» et «désirs» sont devenus entre-temps indissociables, se retrouvent de plus en plus dans une situation où même pour assurer le minimum vital, ils doivent «tracer». Parce que la dépréciation persistante de la roupie, malgré quelques répits, ronge leur pouvoir d'achat, l'endettement les piège et le spectre du chômage guette. Bref, pour bon nombre de Mauriciens, existence rime désormais avec survie.
Malheureusement, tout le monde n'a pas la même force de caractère pour s'en sortir. En effet, si certains, victimes d'une stigmatisation bien ancrée ou prisonniers d'un manque de formation et de qualifications, sont plus vulnérables et sombrent souvent dans des fléaux sociaux, d'autres sont obligés de cumuler deux ou plusieurs emplois pour essayer de joindre les deux bouts ou d'autres encore considèrent l'émigration comme seul espoir pour préserver un peu de dignité.
Aujourd'hui, c'est indéniable: l'attitude d'une bonne partie de nos ressources humaines peut frustrer même l'employeur le plus empathique. Est-ce parce que les Mauriciens ont été trop «assistés» et qu'ils sont devenus «paresseux»? Pourquoi alors ces jeunes mauriciens fraîchement débarqués au Canada, par exemple, manifestent autant d'enthousiasme ? L'économie de marché conditionne le citoyen à se comporter comme l'entrepreneur, il est plus motivé lorsqu'il anticipe un «retour sur investissement».
La morosité ambiante parasitera le système national tant que les distorsions au sein du mécanisme de redistribution de la richesse et de l'ascenseur de la mobilité sociale ne seront pas résolues. Dans ce contexte, ce dont Maurice n'a pas besoin, ce sont ces ruptures de forme à la sauce de ces bailleurs de fonds qui perpétuent notre dépendance et ébranlent les fondements mêmes du vivre ensemble. Surtout que, simultanément, le capitalisme de copinage et de rente, réfractaire aux activités productives et transmis par une corruption endémique, contribue à polariser dangereusement les ressources du pays, aliéner les citoyens et susciter une demande croissante pour les «gated communities».
Serait-il aléatoire d'affirmer que si Maurice a accompli ce qu'elle a accompli, c'est moins à cause de ses gouvernements successifs, mais plus malgré eux ? Selon une enquête d'une organisation patronale, seulement 6 % des sondés plébiscitaient les «réformes» post-2005 pourtant célébrées dans d'autres sphères comme des panacées. Parallèlement, un des «facilitateurs» attitrés des «booms» ou des «crises» à venir soutient qu'il ne faut surtout pas taxer davantage les projets sous Integrated Resorts Scheme car ce serait«tuer la poule aux œufs d'or». Comme quoi, «réduire la bureaucratie» peut prendre l'allure d'un défilement de tapis rouge pour les membres d'un «club» adroitement ciblés.
Et ces «pauvres», qui ont le privilège d'un plaidoyer particulièrement cynique en leur faveur, ne correspondraient-ils pas en réalité aux 94 % constitués des entreprises, et aux ménages par extension, exclus de ces réseaux et qui se contentent des miettes, et encore, des «fruits de la réforme» ? La sécurité alimentaire et énergétique, la préservation de l'environnement, l'épanouissement à travers une vie culturelle dynamique et des activités de loisirs accessibles à tous ne seraient alors que des fantasmes de doux rêveurs.
Le déclic viendra seulement après qu'une masse critique s'émancipe des vices légués probablement par l'héritage colonial et une éducation qui gratifie la mémorisation. La tyrannie des «experts» et des imposteurs se prolongera donc aussi longtemps que dureront la culture de révérence et le manque de distance critique qui débouchent sur des postures pathétiquement partisanes et binaires.
Pour freiner la dilapidation des fonds publics, les citoyens doivent d'abord intérioriser le fait que les gouvernements ne sont que les dépositaires de leur propre argent, avant de développer le réflexe d'en réclamer systématiquement une utilisation efficiente et transparente. Un autre réflexe qui demande à proliférer c'est l'exigence de «sanzman» non pas parce «qu'on ne sait pas ce que les étrangers vont penser de nous» mais parce que les gouvernements nous sont d'abord redevables.
Sans l'activisme des contribuables, des consommateurs et des (petits) actionnaires pour réclamer leurs droits sociaux et économiques, sans, en contrepartie, un leadership capable de rallier la grande majorité des Mauriciens autour d'un véritable projet de société, Maurice ne pourra jamais offrir à ses citoyens une qualité de vie proche de la Suisse, de la Norvège ou de la Nouvelle-Zélande.
Finalement, il importe peu que l'inspiration émane du Nord ou du Sud, de l'Ouest ou de l'Est, de la Droite ou de la Gauche. L'essentiel est qu'il y ait une culture de résultat, un pragmatisme néanmoins complètement dépouillé de bushisme ou de sarkozysme, mais qui «put people first» pour de vrai.
La clé de la prospérité à long terme de Maurice réside dans un système qui récompense équitablement l’effort, la créativité et l’intégrité.
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