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Aura-t-il du coffre ?
Plus l’on grimpe haut, surtout quand l’on est sur ses grands chevaux, plus la chute se révèle brutale. On a constaté cela, vendredi soir, quand Navin Ramgoolam est tombé, de tout son poids, sous nos yeux médusés. Personne n’y croyait vraiment malgré les promesses en ce sens de sir Anerood Jugnauth. Mais Ramgoolam, lui, se savait en danger ; il avait une frousse de perdre les législatives 2014 et d’être privé d’une forme d’immunité que lui aurait conférée la présidence de la IIe République, concoctée en secret avec un Paul Bérenger qui a depuis perdu la parole (il la retrouvera sans doute après le comité central de ce jour). La plus rusée de l’histoire c’est sans doute Nandanee Soornack : sans attendre l’installation du nouveau régime, elle a pris ses valises, remplies, pour l’Italie, sans regarder en arrière...
C’est un scénario à la DSK. Si Ramgoolam n’arrive pas à combattre et à faire valoir ses droits, l’ancien Premier ministre ne pourra pas transformer sa situation et se reconstruire. S’il se sait / sent coupable, Ramgoolam va finir par déprimer et alors il va devoir commencer un deuil de son statut social, de son image d’invincible –ses partisans sont restés sur sa déclaration initiale, à l’éclatement de l’affaire Roches-Noires, «mo paré pou zot !». Derrière son bouclier travailliste et son armada d’avocats, il ne comptait pas reculer. Pragmatique et opportuniste, il plaçait sa vie privée dans la sphère publique, en racontant Roches-Noires du Square Guy Rozemont, avec ses mensonges et ses non-dits.
Mais les choses ont pris une autre tournure depuis vendredi, après un travail de fourmi de la police. Face à une foule hostile massée devant la maison historique de son père, il se retrouve, la chemise défaite, à poil devant tout le monde. Si «la façon de faire de la police» a pu lui valoir un peu de sympathie, (mais certainement pas au point de devenir le martyr de la nation), en revanche, la découverte de tous ces millions, en liquide, chez lui à Riverwalk, lui a irrémédiablement coupé du petit peuple. Comment justifier la provenance de tout cet argent – surtout s’il ne le met pas sur le compte du Parti travailliste et de son financement occulte ?
Ses pairs travaillistes qui voulaient lui rogner ses ailes vont-ils le protéger en assumant collectivement ? À cet égard d’ailleurs, les autres partis politiques doivent aussi avoir des coffres-forts remplis d’argent, n’est-ce pas MM. Bérenger, Duval et Jugnauth ? Une fois ouverts, avec ou sans Veena, les coffres-forts de Ramgoolam vont, apparemment, sceller son sort. Notre système accusatoire implique énormément de moyens pour apporter des preuves. Cette fois-ci, pour une fois, les preuves sont là, sécurisées, tangibles, en espèces trébuchantes. De fortes sommes qui donnent lieu depuis à de folles rumeurs.
C’est son «Leading» (really ?) Counsel Yousuf Mohamed, visiblement pas préparé à l’accusation de «Money Laundering», qui a dû plomber le moral de Ramgoolam le plus : «Je ne peux pas faire des miracles pour Navin.» Puis il lancera que ces coffres sont comme des «boîtes de pandore». Auparavant, son fils et lui avaient tenu des propos séditieux, incitant le public à se révolter contre la police «manipulée», avant que Me Mohamed père ne vienne s’excuser pour les allégations contre Heman Jangi, le patron du CCID qui mène cette affaire avec minutie.
À Maurice, c’est bien la première fois qu’un ancien Premier ministre est traîné de la sorte devant la justice.Ce qui pourrait expliquer l’onde de choc qui traverse le pays. Il y a comme une deuxième libération dans l’air,quand on écoute l’homme de la rue. La bonne nouvelle : les leaders politiques aussi sont redevables devant la justice, comme vous et moi. Souhaitons que cette fois-ci, contrairement à l’arrestation pathétique de sir Gaëtan Duval par un précédent régime de sir Anerood Jugnauth, celle de Navin Ramgoolam ne relève pas, elle, d’un simple règlement de comptes entre dynasties politiques.
Concluons sur ce contraste saisissant : alors que Ramgoolam fait face à la vindicte populaire et se démène pour sauver sa peau devant la justice, les Jugnauth frappent ces jours-ci fort dans l’opinion. Sur l’autoroute, le cortège de SAJ est salué par les clignotants des automobilistes (du jamais vu, car normalement on klaxonne contre les cortèges officiels). À Grand Bassin, Pravind a chassé le VOH, craint par le précédent pouvoir, pour rendre à ce lieu de culte une atmosphère de paix et de sérénité.
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La semaine dernière nous avions titré dans cette colonne «La Grèce, un exemple à ne pas suivre». Cela a généré pas mal de commentaires par rapport au capitalisme financier. Comme cette chronique est un débat d’idées, non figé dans sa pensée, nous comptons poursuivre, la semaine prochaine, cette réflexion en l’élargissant...
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