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Vers un système proactif de whistle-blowing

31 mars 2015, 18:11

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On constate actuellement une demande particulièrement forte et unanime pour une politique durable et des mécanismes crédibles et efficaces de lutte contre la fraude et la corruption. Le rôle du whistle-blowing (lancement d’alerte) dans ce contexte n’a guère retenu l’attention à Maurice dans le passé. Comme ce sujet est complexe et porte à controverse, il est utile qu’un débat s’instaure afin de dégager une politique et des mécanismes appropriés en la matière.

 

Il est beaucoup question dans les discussions qui ont lieu d’acter des lois strictes, notamment sur le financement des partis politiques et la Declaration of Assets, du renforcement des institutions comme l’Electoral Supervisory Commission et de rendre certaines institutions (ICAC, police) moins dépendantes du pouvoir en place. Tout ceci est important et nécessaire. 

Contribution essentielle des whistle-blowers

Mais, pour être réaliste, il faut bien reconnaitre que la nature même des délits et manquements possibles et les montages mis en place pour détourner les lois et règlements sont de plus en plus sophistiqués. De telle sorte qu’à Maurice, pas plus qu’ailleurs, les arsenaux juridiques les plus raffinés et les institutions étatiques mandatées pour appliquer ces lois et règlements, aussi performantes, intègres et motivées soient-elles, ne pourront jamais jouer efficacement leur rôle toutes seules [1].

 

C’est ainsi, que partout dans le monde (comme à Maurice), il est notoire que c’est seulement grâce aux lanceurs d’alerte (whistle-blowers) que la mise à jour de nombreux scandales a été possible.

 

En France, par exemple, leur contribution, selon certaines estimations, est de quatre fois supérieure aux cas de découvertes «spontanées» par les autorités au moyen de contrôles de routine ou remontées d’informations officielles. 

Engagements de l’Alliance Lepep

A cet égard, le Manifeste de l’Alliance Lepep reconnait implicitement la difficulté de lutter contre la fraude et la corruption en précisant que le Gouvernent «gagnera ce combat…avec la participation active de nos concitoyens».  On peut penser qu’on fait ici référence aux concours des médias indépendants, les ONG (tel que Transparency Mauritius), les syndicats, ainsi que des citoyens engagés (comme Jack Bizlall). Plus spécifiquement, ce Manifeste s’engage à mettre en place «un système proactif de whistle-blowing» (p.46). Il est donc important que le nouveau gouvernement, s’il veut vraiment agir contre la fraude et la corruption, donne suite à ce qui est prévu dans son programme dans le domaine du whistle-blowing.

Risques encourus par les lanceurs d’alerte

Toute politique concernant le whistle-blowing doit d’abord reconnaitre que, dans les secteurs publics comme privés, les lanceurs d’alerte s’exposent à de sanctions et représailles de la part de leur supérieurs et employeurs, ainsi que de leurs collègues, allant de l’ostracisme, au harcèlement, jusqu’à la perte d’emploi (avec le plus souvent l’impossibilité d’en trouver un nouveau) et la prison. Dans des cas extrêmes, plusieurs donneurs d’alerte à l’étranger ont connu la mort pour avoir dénoncé des leaders politiques ou des membres de diverses organisations mafieuses. Les risques encourus sont donc tels qu’on ne peut blâmer la très grande majorité de ceux qui, ayant observé des actes de corruption, de fraude ou autres actes illégaux autour d’eux, même les plus flagrants, gardent un silence prudent.

 

De plus, il y a chez beaucoup une grande réticence à se comporter en «traitre» envers les collègues ou l’organisation qui les emploie.

 

Il existe malgré tout de nombreux cas de whistle-blowing, avec des motivations variées. Les fameux exemples de Daniel Ellsberg, Chelsea Manning ou Edward Snowden sont généralement considérés comme des démarches de personnes qui ont choisi de passer à l’acte pour des raisons de conscience, quitte à subir les graves conséquences que l’on sait.

 

Devant cette situation, dans un grand nombre de démocraties, les politiques visant à favoriser le whistle-blowing – reconnu comme indispensable aide à la transparence, à la détection des fraudes et au respect des lois – se sont orientées vers la protection des lanceurs d’alerte et, plus récemment, à leur encouragement.

Protection des lanceurs d’alerte

Afin de protéger les donneurs d’alerte (y compris ceux qui souhaitent garder l’anonymat), certaines organisations mettent à disposition une «tell us line» (aussi appelée «snitch line»), qui met les personnes en correspondance avec un centre d’appel (de préférence indépendant et extérieur à l’organisation elle-même) pour recueillir des dénonciations et suggestions, anonymes ou pas. Ceci est courant dans les grandes organisations dont les hauts dirigeants ne sont pas nécessairement au courant des fraudes et manquements de collaborateurs dans les postes ou filiales éloignées.

 

A Maurice même des expériences sont en cours dans plusieurs entreprises du secteur privé avec l’appui de Transparency Mauritius. Cette organisation a mis en place un mécanisme qui comprend notamment une hotline (le 800-2555), permettant à toute personne de signaler des cas suspects de corruption, de manière anonyme ou pas. Le citoyen est aussi encadré afin qu’il puisse comprendre le principe du whistle-blowing et ainsi savoir quoi rapporter et comment le faire.

 

Beaucoup de systèmes existent actuellement pour donner une protection légale aux lanceurs d’alerte, qu’ils seraient trop long de d’écrire ici. Parmi eux, un document de Transparency Internationalen date de novembre 2013, donnantla situation dans 27 pays européens, est assez complet à cet égard.

 

A Maurice, il semble bien que tout reste à faire pour protéger les lanceurs d’alerte. En réalité, dans le passé, divers gouvernements et politiciens importants, loin de protéger les lanceurs d’alerte, ne se sont pas privés de boycotter ou de menacer «certaines sections de la presse» justement pour avoir révélé des faits et gestes répréhensibles qui les mettaient en cause.

 

Quant aux fonctionnaires, ceux-ci sont fortement muselés par le Personnel Management Manual (PMM), qui, dans sa section 2.8.6, prévoit que «no officer shall, unless he is specifically authorised to do so, communicate directly or indirectly to the written or spoken press or to any other person outside his own Ministry or Department any information to which he has had access by virtue of his official position». Tandis que la section 3 du Official Secrets Act est encore plus menaçante.

 

Des textes de ce genre ne laissent aucun espace pour un éventuel lancement d’alerte et méritent donc d’être revus. Il serait aussi souhaitable que parallèlement à une loi sur le whistle-blowing, il y ait aussi la mise en application d’un Freedom of Information Act (comme prévu par l’Alliance Lepep).

Récompenser les lanceurs d’alerte

Si on veut vraiment mettre en place un «système proactif», comme l’alliance Lepep s’est engagée à faire, il faudrait non seulement protéger les lanceurs d’alerte mais les encourager. Par exemple, en 2014, TransparencyMauritius a remis des prix aux meilleurs journalistes d’investigation avec son Investigative Journalism Award.Cette initiative, comme d’autres de ce genre, devrait être renforcée, recevoir davantage de publicité et l’appui du gouvernement comme de l’Opposition et de la presse en général et les prix devraient être mieux dotés.

 

Des récompenses tangibles directement aux donneurs d’alerte devraient être également prévues. Ceci faciliterait la décision de ceux qui veulent soulager leur conscience et prendre le risque d’être sanctionnés, s’ils savent en même temps qu’ils auront en contrepartie la possibilité de recevoir une compensation si leur dénonciation donne lieu à des redressements bénéfiques à la société.

 

Des exemples aux Etats Unis et au Canada illustrent le fonctionnement de mécanismes à cet effet, qui pourraient être adaptés à Maurice. Aux Etats Unis, l’administration fiscale (IRS) a un whistle-blower program,mis en œuvre par un Whistle-Blower Office, qui récompense les personnes qui donnent des informations permettant de récupérer des taxes ou dénoncer des fraudes fiscales.

 

Les récompenses sont actuellement entre 15 à 30 pour cent des sommes recouvrées. Ainsi, en 2012, l’ex banquier suisse Brad Birkenfelda reçu $104 millionspour avoir dénoncé les pratiques de son ex employeur, l’Union des Banques Suisses, et fourni des preuves permettant au trésor d’encaisser $ 780 millions pour évasion fiscale.

 

Dans le même ordre d’idée, l’U.S. Securities and Exchange Commission (SEC) a, depuis plusieurs années,un bountyprogrampour récompenser les lanceurs d’alerte. Ainsi, en Octobre 2014, la SEC a payé $ 30 millions à une personne résident à l’étranger. Elle avait fourni les éléments permettant de mettre à jour une fraude particulièrement difficile à déceler.

 

Au Canada, plusieurs donneurs d’alerte qui avaient permis de faire le Trésor recouvrer des sommes importantes, avaient réclamé un pourcentage pour leur démarche, mais la loi ne permettait pas de les récompenser. Cette lacune a été réparée en 2014, avec la mise en place d’un Offshore Tax Informant Programme, comprenant une hot line officielle et qui prévoit des récompenses de 5 à 15 pour cent des sommes perçues à ceux qui fournissent des successful tips.

Encadrement du whistle-blowing

Il va sans dire que toute politique en faveur du whistle-blowing doit être strictement encadrée, pour ne pas, par exemple, confondre le whistle-blowing avec le colportage de ragots sur la vie privée des uns et des autres. En particulier, l’auteur de toute allégation qui est faite sachant qu’elle est fausse doit continuer à être sanctionné, comme toute diffamation, calomnie ou propagation de rumeurs infondées. Il ne serait pas non plus tolérable qu’un cadre du secteur privé ou public dérobe des documents confidentiels ne contenant aucune preuve d’agissements illégaux pour les divulguer à des tiers, sous prétexte de whistle-blowing.



[1] On ne peut non plus compter sur les  Codes de conduite  et autres actions de Corporate Governance s’appliquant au secteur privé. Ces recommandations, si elles ont le mérite de préconiser de bons principes, et ont mené à certains progrès, ne sont pas conçues pour identifier, et encore moins sanctionner, ceux qui ne les respectent pas.