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L'image à… les preuves !
Si vous allez sur le site «Google Actualités», qui propose des liens vers plus de 500 sources d’actus de par le monde, et que vous y tapez «Mauritius» ou «Ponzi», vous tomberez rapidement sur une série d’articles sur la saga BAI. Les titres repris, le plus souvent, évoquent la fermeture inattendue de la Bramer : «Mauritius shuts Bank.» Ou encore font état des «evidences of Ponzi Scheme», en s’appuyant sur la déclaration de sir Anerood. C’est dire que le pays occupe, depuis le week-end dernier, les actualités internationales pour des raisons pas tout à fait glorieuses, surtout à un moment où nous avons besoin de capitaux pour doper la croissance économique.
L’article le plus «damning» pour notre image – et surtout pour notre secteur offshore – est signé par l’influent Pranay Gupte, qui publie dans plusieurs organes de presse. Le titre de son article donne le ton : «Mauritius cracks whip on Muslims, not a ‘role model of democracy’ as PM Modi said after all!» L’allusion communale est aussi, et il faut le rappeler, faite à Maurice, notamment par des députés de l’opposition qui cherchent des dividendes politiques dans tout.
Mais il y a pire. Selon M. Gupte, le scandale est international car Maurice serait la capitale mondiale du blanchiment d’argent : «Consider this: The gross domestic product (GDP) of Mauritius was $12 billion in 2014. Of this amount, the country sends $10 billion annually to India alone in foreign direct investment (FDI). (Singapore, which has a far bigger economy than Mauritius, sends $2 billion in FDI – and none of it is in havala money. How is it possible for Mauritius to transmit so much money each year to India? That’s because «havala» money – or illegal currency – is re-routed from India through Mauritius (and other countries) back to India. (...) The scandal has a geopolitical angle to it, too. Mr. Modi didn’t visit Mauritius just because he felt like girding up his dhoti and strolling along the sands. He knows that the Chinese have long eyed Mauritius as a strategic base in this part of the southern Indian Ocean. Little wonder that the Indian prime minister pledged a $500 million credit line for sir Anerood’s government.»
M. Gupte est à côté de la plaque. Pire, il dit des âneries. En effet, le FDI allant vers l'Inde transite par Maurice et n'est évidemment pas inclus dans notre Produit national brut de 12 milliards de dollars. Cependant, ce que la presse étrangère rapporte (surtout si l’on ne réfute pas de manière officielle) peut impacter directement sur la décision des investisseurs étrangers d’opter pour Maurice ou non. D’où l’importance pour le gouvernement mauricien d’être mesuré dans ses propos et dans ses actes. Pour soigner notre image à l’international, il y a lieu pour le gouvernement, outre de rassurer l’opinion qu’il n’a agi par simple «vengeance politique», de démontrer – et de démonter – ce «vaste Ponzi Scheme de Rs 25 milliards». Car, sans preuves et sans faits, on a comme l’impression que le terme «Ponzi» a été jeté en pâture à la presse, mais que dans la réalité ce n’est pas tout à fait cela. Il s’agirait plutôt de non-respect des règlements de la part de la BAI qui a investi l’argent de son pôle assurance dans des «related party companies» qui n’ont pas réussi à décoller. Sinon comment expliquer qu’outre les autorités régulatrices – dont la Banque de Maurice pour la Bramer Bank et la Financial Services Commission (FSC) pour la BAI Insurance –, les deux anciens ministres des Finances de Ramgoolam, nommément Pravind Jugnauth et Xavier Duval, n’ont pas daigné lever le moindre petit doigt durant tout ce temps, si c’etait un vrai «Ponzi» ? Et comment se fait-il qu’aucun actuaire ou simple analyste n’ait conclu à une insuffisance d’actifs pour couvrir les multiples engagements BAI qui investissait dans tout ce qui bougeait durant la décennie Ramgoolam (2005-2014) ? Qu’est-ce qui a bien rendu tout le monde aveugle et sourd, incapable de dire non ?
Ce n’est pas un secret que Me Iqbal Rajabalee, premier directeur de la FSC, avait tiré la sonnette d’alarme sur la BAI durant le 2nd semestre de 2004. Sous sa houlette, la FSC avait statué que la BAI avait enfreint la règle sacrosainte que l’on n’investit, en aucun cas, pas plus de 10 % des dépôts de ses clients dans des «related party companies» – ce que la BAI a fait impunément, pendant des années, soutenue par une présence médiatique des plus agressives. Certes, nous dit-on, que la FSC a exercé un contrôle strict, réclamant l’actualisation des chiffres de la BAI sur une base mensuelle. On raconte aussi que la loi avait des «loopholes». Il faut, cependant, retenir que l’histoire a pris une tout autre direction avec l’arrivée au pouvoir des Travaillistes en 2005. Et Me Rajabalee, lui, a été viré un mois plus tard.
Depuis 2004, la BAI est donc restée «a disaster in the waiting». En 2007, un rapport du FMI a souligné, à double trait rouge, les niveaux élevés de «related party investments» d’une compagnie d’assurance-vie. Tous les regards se sont alors tournés vers le groupe de Dawood Rawat, y compris ceux des régulateurs. Malgré cela, le groupe a obtenu sa licence bancaire en août 2008.
De 2012 à 2014, une cinquantaine de réunions se sont tenues à la FSC pour discuter de la BAI. Tout cela n’a abouti à rien. De manière anti-patriotique, on a laissé pourrir la situation. D’ailleurs le nouveau ministre des Services financiers et de la bonne gouvernance ne s’est pas gêné, samedi, pour le faire rappeler devant la CEO de la FSC qui, contrairement à la Banque centrale, a la même équipe dirigeante, menée par Clairette Ah-Hen : «On n’est pas satisfait de la façon dont les régulateurs ont travaillé.» Virer des gens et en placer d'autres ne résoudra rien si on ne change pas la culture d'impunité elle-même, si ceux devant prendre des décisions indépendamment des influences politiques ne les prennent pas et si on ne promeut pas la transparence.
Nous l’avons constaté samedi, à la mairie de Port-Louis : dans l’imaginaire populaire et comme sujet de discussions, l’affaire BAI a relégué le Budget de Lutchmeenaraidoo au second plan. Mais pire, le «feel good factor» tend à disparaître aussi. C'est bien de rétablir la confiance au plus vite pour 4 000 employés à la BAI, les 30 000 clients de la Bramer Bank et 135 000 «regular life policy holders» de la BAI Insurance, mais il faut faire bien plus encore pour rassurer le public en général à travers la presse locale et étrangère. Il ne suffit pas de tenir des conférences répétitives, mais il faut apporter des preuves et des solutions concrètes.
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