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Démocratie abâtardie
Le fondement même d’une démocratie, c’est la séparation des pouvoirs, avec les «checks and balances» qui empêchent la suprématie omnipotente des uns sur les autres. Or, quand ces contre-pouvoirs ou ces institutions supposés agir en toute indépendance sont noyautés ou, pire, se soumettent volontairement aux diktats du pouvoir politique, la démocratie libérale s’effrite et l’on se rapproche alors dangereusement d’une hégémonie de la pensée. Ou de la volonté.
Cette dégradation constante de notre démocratie ne date pas du 10 décembre 2014, mais a été un fait systématique depuis fort longtemps. Y compris de ceux actuellement au pouvoir ! Ce qui n’est nullement une raison pour continuer. D’autant plus que leur mandat, à eux, est de nettoyer et de ne pas reproduire ce qui a assuré la fin de la dynastie ramgoolamienne. Le glissement est inexorable depuis l’indépendance : les institutions supposées être «libres» et «indépendantes» ont presque toutes, les unes après les autres, systématiquement été ramassées par le pouvoir politique qui souhaitait non pas y trouver une pensée autonome, mais bien… son ombre.
Qui pourrait croire aujourd’hui que l’ICAC, la police, les ministères divers, les corps parapublics, la FSC, la BoM sont capables d’agir «in their own deliberate judgement» ? La preuve n’est-elle pas la cécité, parfois absolue, souvent troublante, de ces institutions face à tout ce qui était anormalement accepté ou pratiqué par le gouvernement précédent et/ou leur soudaine découverte (parfois par les mêmes personnes !), depuis le 11 décembre que ce qui se passait était intolérable ? N’avons-nous pas, aussi, désormais confirmé être une nation de «poupet» ?
Prenez la Bramer Bank. De deux choses l’une : soit l’ancien gouverneur a trop toléré une situation compromise au point où, en février 2015, on constate, soudain, une insuffisance de capital de Rs 3,5 milliards, soit le nouveau gouverneur a été plutôt arrangeant pour le nouveau pouvoir (son interview exclusive qui paraîtra demain dans l’express apporte plusieurs éléments de réponse). Dans un cas comme dans l’autre, la victime va être la crédibilité de l’institution. Il eut été tellement plus réconfortant de savoir que les deux gouverneurs «libres et indépendants» (ou au moins l’un d’eux) ont des approches différentes qui ne sont pas basées sur des questions d’affiliation. Pourraiton le démontrer svp, surtout après la conférence de presse de vendredi dernier où le ministre des Finances nous annonce que c’est le PM qui a dit d’agir vite ?
Pensez, comme deuxième exemple, à l’ICAC et à son changement radical d’approche dans le dossier MedPoint ! Les mêmes «faits» peuvent-ils vraiment mener à deux conclusions diamétralement opposées ?
La démocratie c’est aussi la foire d’empoigne d’une campagne électorale où l’on choisit ses représentants parlementaires tous les cinq ans sur la base d’un manifeste. Mais c’est loin d’être suffisant ! On pourrait même dire que l’on passe à côté de l’essentiel de l’esprit démocratique si on le résume à ce match quinquennal où l’on divise le pays en deux et où l’on remplace «les leurs» par «les miens» au point de menacer l’indépendance des institutions.
On pourrait être un tantinet cynique et se poser la question : qui a besoin d’une démocratie et qui est disposé à se battre pour ? La réponse pourrait être inquiétante : des démocrates, pardi ! Et les vrais démocrates, combien sont-ils et où se trouvent-ils ?
Une grande partie de la population se dédouane de ses responsabilités civiques entre les élections en comptant sur l’opposition parlementaire. C’est très bien une opposition, mais quand celle-ci est chahutée comme maintenant, ça ne suffit plus. En effet, le MMM saigne de dissonances comme jamais jusqu’ici et les travaillistes ayant accepté (saluons ici Boolell de s’être enfin réveillé !) de mettre leur parti en attente (et donc en panne) jusqu’au grand retour de Navin, la société civile et l’opinion publique se doivent d’être plus présentes, plus courageuses, plus exigeantes. Comme le Bar Council de Me Domingue cette semaine.
Signer un blog anonymement, c’est bien, mais c’est du deuxième degré. Dire son opinion ouvertement mais seulement «entre amis», indique que l’on réfléchit, mais que l’on a peur. Se contenter de consommer et de n’avoir pour seule «cause» que son pouvoir d’achat frise la démission. Je concède volontiers que la recherche d’un toit sur sa tête ou d’un bol de riz pour son enfant peut primer sur le besoin démocratique… et encore !
Maurice sera donc un État démocratique seulement si ses citoyens le désirent au point où ils se feront entendre, sans crainte et avec ferveur. Il faut espérer que ce gouvernement verra cela de manière plus adulte que son prédécesseur. Ce dernier prenait la critique négativement et punissait ou boycottait. Celui-ci ferait bien d’être moins réactif et plus pondéré, afin de ne pas risquer la déculottée qu’il a lui-même fait subir à ses prédécesseurs…
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