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De la realpolitik à la politique du réel

20 septembre 2015, 07:52

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De la realpolitik à la politique du réel

Le monde a bien changé depuis la fin des années 60. À Maurice, une poignée de barbus et de révolutionnaires d’hier se retrouvent pris dans un perpétuel marchandage intérieur entre les valeurs d’antan et le monde des réseaux sociaux d’aujourd’hui. Entre une économie mondialisée et un fax qui bug ou un jeune député qui les provoque à l’Hôtel du gouvernement, ils ne réalisent pas vraiment qu’ils ont vieilli, qu’ils ne peuvent pas se battre avec autant de pugnacité qu’avant et, surtout, que ceux qui idolâtrent le leader maximo Paul Bérenger sont de moins en moins nombreux. Ils le savent peut-être mais ils ne veulent pas admettre qu’ils sont, en fait, coupés de la masse des travailleurs, des étudiants, des clubs de jeunesse et même de 3e âge. Ils sont entre deux mondes.

 

Sur leur sinueuse route d’alliances et de mésalliances, les militants ont dû renier beaucoup de leurs valeurs, croyances et pratiques : hier, ils rejetaient l’investissement privé et les élections, aujourd’hui, ils ont compris que, in fine , ils ne peuvent que compter sur l’économie de marché et le système électoral légué par les Britanniques. Aux dernières élections, Bérenger affirmait, avec son ton hautain et déconnecté, qu’il n’avait que faire de Facebook, mais aujourd’hui la (re)conquête des jeunes et des militants se fait laborieusement sur les réseaux sociaux avec un retard conséquent sur les autres partis. Hier ils étaient à l’extrême gauche, aujourd’hui ils sont plus à droite que le PMSD de Gaëtan Duval. Hier Paul Bérenger était le leader charismatique, aujourd’hui il est encore aux commandes en attendant que l’un de ses enfants le remplace…

 

Ce dimanche, pour marquer les 46 ans des Mauves, Paul Bérenger flattera bien évidemment l’histoire «unique» du MMM et minimisera les départs qui ont vidé ce parti de sa substantifique moelle : une pensée critique et une conscience intellectuelle. Les Mauves, selon les mots du leader maximo lui-même, ont versé dans le «réalisme politique» ; il préfère ce terme à «déviance», on peut le comprendre. Cela fait plus pragmatique.

 

Il y a dix ans de cela, l’on se moquait de la «fin de l’histoire», cette notion développée par le politologue américain Francis Fukuyama, mais de nos jours, après nombre d’études sur le capitalisme et ses travers au fil du temps, dont l’enquête magistrale de l’économiste français Thomas Piketty, l’on redevient «fukuyamistes», faute de mieux. Selon le philosophe Slavoj Zizek (considéré comme une rock-star dans certains milieux intellectuels européens), le capitalisme libéral-démocratique est unanimement accepté comme la formule de la meilleure société possible. «Tout ce que nous pouvons faire est de le rendre plus juste, plus tolérant, etc.» C’est fini les discours révolutionnaires, l’heure  est désormais à la «realpolitik», comme le  répétera aujourd’hui Bérenger pour justifier ses zigzags historiques.

 

Mais, pour autant, ce n’est pas une raison de cesser de s’interroger, de douter, de critiquer. Comment réagir, chacun dans son pays et chacun à son niveau, à cette acceptation généralisée d’un système économique incontournable et des contradictions qu’il engendre. 

 

À Maurice, nos partis poussent tous vers plus de croissance mais ne pensent pas suffisamment, par exemple, à l’apparition de nouvelles formes d’apartheid, de ces nouvelles «gated communities» aux «smart cities», ou à la menace d’une catastrophe écologique, ou encore aux limites de la croissance.

 

Contrairement à hier, prendre position sur ces questions de développement ne veut pas dire qu’on est contre le développement. C’est précisément sur ce plan que le MMM, absorbé par ses stratégies de survie, a démissionné du débat public face aux enjeux du pays. C’est dans cette posture-là que Paul Bérenger pourrait s’avérer utile, en surveillant le gouvernement et le pays. Pas en essayant d’arracher le pouvoir quel que soit le prix.

 

***

 

Une note positive : le Conseil des ministres a approuvé que Maurice s’inspire du modèle estonien pour ce qui est de l’e-gouvernance. Voilà un bon dossier pour notre ministre Roshi Bhadain qui assure l’intérim aux TIC, voilà un bon plan surtout pour qu’il oublie un peu la MBC et qu’il modernise nos services gouvernementaux et notre pays. En compagnie de son PS Dev Phokeer, qui sévit également à la station de radiotélévision nationale, Bhadain pourra jauger l’impact économique et social de la mise en œuvre de l’e-gouvernance, c’est-à-dire comment on peut éliminer le gaspillage, le mauvais service de certains départements et le manque de transparence autour de certains dossiers. L’Estonie, surnommée le «Tigre de la Baltique», pays européen d’un peu plus de trois millions d’âmes, est passée en quinze ans d’une économie complètement aux mains de l’État et de ses fonctionnaires à une économie de marché performante avec une politique d’ouverture libérale. Un principal maillon du succès estonien est le fait qu’Internet est un bien commun au même titre que l’eau ou l’électricité – avec un tarif uniforme et subventionné. En Estonie, on utilise sa carte d’identité électronique pour voter à domicile et plus de 95 % des déclarations d’impôts sont effectuées sur le Net… À Maurice, on peut émuler, à condition que nos décideurs ne perdent  pas leur temps dans des guéguerres de  pouvoir et d’ego !