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Les risques certains de l’eldorado

6 octobre 2015, 00:47

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Les risques certains de l’eldorado

Alors que la stratégie africaine est l’un des trois piliers sur lesquels Maurice mise pour atteindre un palier supérieur de croissance économique, il serait utile d’appréhender les risques du terrain en Afrique. Au fil des expériences, les entreprises mauriciennes prennent conscience de la difficulté du terrain, dont Innodis, AfrAsia Bank et Mauritius Union.

 

Si c’est un fait intéressant que le marché africain jouit pour le moment d’une très grande accessibilité (l’importation n’étant pas sujette à des restrictions), il y a différents degrés de risque à considérer pour tout entrepreneur avant de tenter sa chance dans l’eldorado africain, en raison de l’élément sécuritaire et du manque de structures à plusieurs niveaux.

 

Le coup d’État qui a secoué le Burkina Faso et le reste de l’Afrique de l’Ouest, le mois dernier, n’aura duré qu’une semaine tout au plus. Heureusement. Car les coups d’État sont légion en Afrique – il y en a eu une douzaine entre 2005 et 2015.

 

Prendre le pouvoir par la force est une des multiples caractéristiques de l’Afrique – d’où l’importance de ne pas se voiler la face par rapport à l’analyse des risques pour y faire du business.

 

Ce récent coup au pays de Thomas Sankara, lui-même putschiste, devenu après sa mort une icône révolutionnaire, n’a pas eu de suite car la transition démocratique est bel et bien en marche en Afrique – même s’il y a encore bien du chemin à parcourir.

 

En fait, l’Afrique est si immense et si différente d’une sous-région à une autre, d’une ville à une autre, que toute généralisation à propos de son environnement sécuritaire dynamique serait simpliste, voire inappropriée.

 

De même, les crises politiques et les conflits qu’on recense sont caractérisés par une diversité aussi grande que l’Afrique elle-même. Si les insurrections en Tunisie ont sans doute propagé le feu dans la rue égyptienne, principalement à cause d’un ras-le-bol similaire des peuples envers des pouvoirs ayant une vocation autoritaire – et souvent militaire –, la liste des conflits qui minent l’Afrique demeure longue : guerre des ressources, extrémisme violent et affrontements dus aux identités plurielles, crime organisé et trafics illicites (drogue, armes à feu), surpopulations et urbanisations incontrôlées.

 

Dans la presse, on a tendance à focaliser sur des pays et à ramener les conflits africains à des échelles nationales. Or, un vaste éventail de ces menaces sont d’ordre transnational et ces menaces sont certainement interconnectées. Aussi, comme on le sait, l’Histoire, qui n’a pas été tendre envers les pays d’Afrique, a laissé des cicatrices béantes, aujourd’hui des vulnérabilités. Tout cela complique les solutions. Par exemple, l’Afrique de l’Ouest est une plaque tournante en termes de trafic de drogue, d’armes à feu, de personnes. Or les approches ne sont pas toujours régionales ou sous-régionales, ou si elles le sont, il y a parmi les pays voisins des divergences. 

 

Avant le Burkina Faso, les instances de gouvernance et de sécurité de la CEDEAO avaient toutes les peines du monde à rétablir la paix en Côte d’Ivoire (2002). La SADC a, elle, connu les mêmes dissensions par rapport au cas malgache, un cas rendu encore plus complexe à cause des pressions internationales et du rapport difficile des Malgaches – qui revendiquent haut et fort leur différence avec le reste de l’Afrique et qui poussent vers une solution malgacho- malgache – avec la communauté internationale. Du coup, les problèmes restent bloqués, alors que d’autres foyers d’instabilité éclatent...

 

•Comment assurer stabilité et développement économique

 

Sans la sécurité, il ne peut y avoir de développement économique, et sans développement, il ne peut y avoir de sécurité. Les deux sont deux faces de la même pièce. Dans cette optique, à l’échelle africaine, les relations entre civils et militaires sont cruciales pour la stabilité. Dans le temps, l’armée servait à protéger les régimes en place au lieu du territoire.

 

Les exemples de dysfonctionnement abondent. Avant le Burkina Faso, l’Afrique de l’Ouest avait déjà tremblé avec les événements en Côte d’Ivoire. Justement, Laurent Gbagbo était resté au pouvoir car il était protégé par une armée qui lui était restée fidèle – en raison de ses gros moyens financiers et de son appartenance ethnique. Ravolomanana avait, lui, perdu le pouvoir car les militaires l’avaient lâché pour Andry Rajoelina. En Guinée, le gouvernement d’alors avait lâché ses gorilles en tenue de combat pour taire – avec des armes à feu – l’opposition politique. En Tunisie, Ben Ali avait pris la poudre d’escampette en voyant que les militaires, par ailleurs des citoyens eux-mêmes, s’étaient rangés derrière les manifestants. En Égypte, Hosni Mubarak, président déchu, avait tout fait pour garder son armée sous son emprise, mais celle-ci était profondément divisée. La révolution tunisienne a démontré que le mur de la peur contre les systèmes régaliens a chuté. Mais le problème dans nombre de pays, c’est que les soldats sont davantage des instruments du pouvoir en place, alors que leur rôle se doit d’être neutre.

 

• La présence des armes à feu

 

Autre particularité du terrain africain : il y a des millions d’armes en libre circulation sur le continent. La plupart sont des armes de petit calibre aux mains des mouvements rebelles, non officiels. Ce processus de désarmement, par exemple, n’a pas marché en République démocratique du Congo (RDC), vaste pays ceinturé par plusieurs autres, où les frontières n’existent guère, où les espaces ne sont pas gouvernés, où les femmes et les enfants sont violés sur le terrain de guerre pour accaparer les ressources de ce pays – qui a tant souffert malgré la formidable richesse de son sol... L’exemple de la RDC démontre que les nombreux groupes rebelles agissent comme des associations criminelles transnationales. Ils continuent de faire leur loi car il y a un sérieux déficit de gouvernance démocratique et d’institutions communes à toute la sous-région.

 

• D’autres risques

 

L’Afrique est tout de même le continent qui a produit les dictateurs que sont Bongo, Déby, Nguesso, El-Béchir, Dos Santos, Abacha, Jammeh, Museveni, Mbasogo, Bokassa, Mugabe, Biya, Kadhafi, Amin Dada, Wade, Mobutu et bien d’autres. C’est aussi le continent de la dysenterie, du virus Ebola, de la malaria, du typhus, de la maladie du sommeil (trypanosomiase), de la cécité de rivière (onchocercose), de la bilharziose, de villes entières avec des égouts à ciel ouvert, de «flying toilets», de trafics de diamants, de génocides connus, de mutilations génitales de femmes, d’enfants soldats…

 

• Comment s’en sortir

 

Bien évidemment, l’Afrique n’est pas que cela, il y a des prospects certains, mais soyons au moins circonspects quand on se remue pour se diriger vers l’eldorado !

 

Pour arriver à une stabilité durable, il convient de pousser vers davantage de coordination cohésive. On assiste, au quotidien, à la faillite de plusieurs opérations de maintien de la paix : la désintégration de la Somalie, la rébellion et la répression au Darfour qui continuent de provoquer la révulsion de la communauté internationale, sans parler de la perspective éventuelle d’une reprise de la guerre civile entre le Nord et le Sud du Soudan.

 

Les experts qui se penchent sur l’Afrique sont d’avis que pour résoudre les conflits africains, il nous faut des stratégies multidimensionnelles, surtout celles qui sont limitées par les règles du droit.

 

En élaborant notre stratégie africaine, le gouvernement mauricien devrait négocier à haut niveau afin de garantir les risques entrepris par les investisseurs mauriciens alors que nous nous lançons, de bon coeur, vers l’eldorado africain, à la conquête de son milliard d’habitants.

 

Il faut sans cesse qu’on se rappelle que l’Afrique est difficile et que si les rendements sur investissements y sont plus élevés, c’est qu’il faut d’abord qu’ils réussissent ! Dans tout grand classique de «high risk – high return», on a tendance à évoquer le «high return» quand les investissements sont des succès et à se montrer plutôt discret quand le «high risk» se concrétise en pertes !