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À qui fait-on confiance ?

21 octobre 2015, 06:52

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À qui fait-on confiance ?

Idéalement, le but d’une loi c’est de régler un problème, pas d’en créer d’autres. Parfois cependant, comme, par exemple, dans la lutte contre le terrorisme, il y a un «trade off»  inévitable entre les besoins pour l’État de mieux protéger des dangers de la violence terroriste et les devoirs de ce même État de protéger les libertés citoyennes. Pas facile de réconcilier les deux objectifs. Cela, on le comprend bien. 

 

Mais quel est le problème que l’on nous propose de régler avec le Good Governance and Integrity Reporting Bill ? Il s’agit du «unexplained wealth».  Contrairement au terrorisme, aucun citoyen n’y risque sa vie !  Le «onus of proof»  et la présomption d’innocence ayant basculé, voudrions-nous y risquer les bavures inévitables et les abus possibles contre la satisfaction de bloquer plus rapidement ceux qui ont «bien mal acquis» des actifs ? Peut-être, mais cela dépendra de l’envergure du problème , et on ne nous a rien suggéré de précis, à ce titre… 

 

Mais avant d’aller plus loin, faisons un autre  point important. Le commun des mortels comprend que l’on parle de fortunes acquises illégalement, mais la loi ne dit pas «illegally acquired and unexplained wealth», évidemment parce que l’utilisation du terme «illegal»  présupposerait un jugement, après «due process», ce qui ne sera évidemment pas le cas avec cette loi. 

 

La raison d’être de cette loi, c’est qu’actuellement, sous le régime criminel, les procédures sont lourdes, souvent abusivement exploitées par les truands et que ça traîne, parfois péniblement avant que justice ne soit rendue ou pas… des années plus tard ! Le pivot en est qu’au lieu de s’attaquer à la personne, elle s’attaque aux biens, illicitement acquis, ce qui est plus rapide et théoriquement moins coercitif. 

 

Cela ressemble à, et pourrait même être, une avancée, mais cela dépendra évidemment de la bonne foi et du sens de discernement exercé en la circonstance par ceux à qui cette loi sera confiée ! Comme toujours ! Car, malgré le «safety net» judiciaire, il y a des risques  d’abus ou d’erreurs possibles : l’Agency peut ainsi demander  à n’importe qui d’où proviennent les fonds utilisés pour l’acquisition d’un bien (article 5(1) (b)). Il faut répondre dans les 21 jours, faute de quoi (article 8) on devient passible d’une amende de Rs 50 000 ou d’un an de prison. Ce n’est pas particulièrement amusant et je connais des innocents qui, si questionnés, ne se comporteront pas comme des paillassons. Et ils auront raison ! Même s’ils finissent en prison… 

 

Cette loi donne aussi le pouvoir  à l’Agency de s’inscrire sur les biens de la personne «soupçonnée»  ou Kronik«dénoncée», avant même d’en référer au Board présidé par un ex-juge ou (préférablement) un juge «neutre» du Commonwealth. C’est un pouvoir que possède la MRA de toute façon, mais  si c’est la lenteur des cours de justice  qui, au départ, justifie le Good Governance and Integrity Reporting Bill, c’est cette même lenteur qui pourrait laisser traîner ces «liens»  pendant des années… Et agir ainsi comme un sacré levier ! Le doute est permis d’autant que l’on a bien vu des cas où la MRA est, selon les circonstances, intéressée à embêter quelqu’un qui gêne le pouvoir ou, a contrario, souffre de cécité inquiétante quand il s’agit d’oublier un protégé du pouvoir politique… En quoi est-ce que l’Integrity Reporting Services Agency (IRSA) ou l’Integrity Reporting Board (IRB) serait à l’abri des soupçons qui perdurent sur la MRA, la Police, la FSC, l’ICAC ou les autres… ? 

 

 L’étape qui suit le soupçon et le  «lien» préventif, c.-à-d. le «Unexplained Wealth Order» qui permet, lui, de confisquer les biens «mal acquis», est  bien mieux balisé puisque dépendant soit d’un juge, en chambre, ou, s’il se récuse, de la Cour suprême pour être jugé par «due process». 

 

On peut comprendre la vexation et l’irritation du ministre de la Bonne Gouvernance de ne pas pouvoir arrêter des trafiquants de drogue ou des voleurs à col blanc plus rapidement, mais, au-delà des clauses de la loi, la clé en la circonstance est bien la qualité des hommes et des femmes à qui cette loi sera confiée.  

 

Or, dans un pays où l’on a très souvent fait fi de l’indépendance des institutions, où l’on a délibérément nommé des individus qui ne sont que trop contents de s’aplatir face aux politiciens, notamment ceux qui les nomment ou de qui ils dépendent, on est en droit de craindre le pire plutôt que de concéder la bonne foi trop facilement.  Un scénario : à la suite de prochaines élections générales, un nouveau gouvernement, fraîchement arrivé au pouvoir sur la promesse de «ne pas faire comme Lepep», fait au moins un  peu… comme Lepep, et change le directeur de l’Agency et du Board prévus sous le Good Governance and Integrity Reporting Bill sur une base de copinage , et commence  à interpeller, au moindre soupçon, ceux ayant fait partie de ou qui ont été sympathiques à ou favorisés par l’ancien régime.  Ce «baté, rendé» prévisible ne saurait être au profit de l’avancement du pays, de son économie, et de sa population !  Et vous savez quoi ? Ce nouveau gouvernement, comme l’ancien, aura été élu sur la base d’un manifeste promettant que «Tout citoyen sera libre de démontrer publiquement son appartenance politique (ou son indépendance d’esprit ?) sans crainte de sanction, de discrimination ou de harcèlement de la part du gouvernement». (Commandement No 12, page 8). 

 

On connaît tout ça vraiment bien…  Cela a été notre réalité, presque quotidienne, depuis bientôt cinquante ans !