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Ne tirez pas sur le pianiste !

4 décembre 2015, 07:31

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Ne tirez pas sur le pianiste !

Parler d’irritation du gouvernement face à l’«inaction» du secteur privé à créér des emplois, ne serait-il pas méconnaître ce qu’est celui-ci, s’interroge l’auteur. Le secteur privé investit pour gagner  de l’argent et crée de l’emploi si c’est nécessaire à la réalisation de ses objectifs.

C’est Oscar Wilde qui, dans ses Impressions d’Amérique, raconte qu’en 1880, dans le saloon de Leadville, ville-champignon où l’on venait de découvrir des gisements aurifères, il y avait un panneau qui disait «Please don’t shoot the pianist. He is doing his best». Ce qui, en bon français, veut dire «Merci de ne pas tirer sur le pianiste. Il fait de son mieux». Ou encore, «Ne tirez pas sur le pianiste. Il n’est pas responsable

C’est à cette phrase que j’ai naturellement pensé en lisant la «une» de l’express du mercredi 2 décembre qui titrait : «L’inaction du privé irrite le gouvernement ». Ce qui n’était pas sans rappeler l’irritation du gouvernement socialiste en France, il y a quelques mois, qui jugeait que son «pacte de responsabilité», lancé, quant à lui, en janvier 2014, n’avait pas créé l’emploi … ou la reprise espérée*. Dans les deux cas n’est-ce pas plutôt méconnaître ce qu’est, en vérité, un secteur privé ?

Aucun secteur privé normal, local ou étranger, n’a pour objectif de «créer de l’emploi». Le secteur privé est un animal avec un «one track mind» qui investit pour gagner de l’argent et qui, au passage, crée de l’emploi si c’est nécessaire à la réalisation de ses objectifs. Ça ne le chatouille définitivement pas de créer de l’emploi, comme on l’aura fait, en d’autres circonstances, à la MaBC, aux casinos, à Air Mauritius, à l’Irrigation Authority, à la CHC, etc… Le discours du Premier ministre en août, à Ébène, a, en effet, créé une petite vague d’enthousiasme, mais les cadres et dirigeants de toutes les compagnies du secteur privé, FDI que l’on serine, y compris, ne vont pas investir s’ils ont des doutes ou s’il y a des contraintes à leur possibilité de générer des profits.

Emplois : quels secteurs ?

Or, qu’a-t-on vu en 2015 ?

Trois secteurs ont le vent en poupe et réunissent, a priori, les conditions de base d’investissements additionnels : l’hôtellerie, l’ICT et les services financiers. Le gouvernement y a rajouté l’économie bleue, le port et le concept de «smart city».

L’hôtellerie devrait avoir une excellente année. Cela découlera de trois facteurs clés (i) de bonnes initiatives gouvernementales sur le plan de l’accès aérien (Turkish, Emirates, la connexion Shanghai, le corridor Singapour ( ?)) et de la solide promotion publicitaire,(ii) la parité euro/dollar qui favorise notre destination largement axée sur l’euro et, ponctuellement, (iii) les difficultés spécifiques de concurrents directs (exemple : les Maldives qui, après l’attentat contre le président, virent l’arrestation du vice-président, la condamnation précipitée de l’ancien président et le licenciement du procureur général (DPP) qui ne voulait pas inculper le vice-président ! Pour le touriste européen, ça peut glacer …). Les taux d’occupation à Maurice sont excellents, les réservations aussi (+25 % jusqu’en avril, nous dit un grand groupe) et les profits vont suivre … Gregory de Clerck, CEO de l’ARHIM, souligne que le recrutement se fait naturellement déjà pour soutenir la demande des touristes supplémentaires. Par contre, les hôteliers grognent devant un zèle grandissant face aux demandes de renouvellement de permis de travail d’étrangers ! On peut soupçonner que, ce faisant, on espère que les hôtels vont recruter plus «mauricien» ? C’est sans doute un leurre, les hôtels n’étant, assurément, pas masochistes pour importer des employés qui coûtent plus chers et qui vont rester moins longtemps, à moins qu’ils ne soient «better value for money» ! Par contre, une décision d’investissement peut être perturbée par cette nouvelle attitude … qui n’est pas sans rappeler l’incident CMT de fin novembre où la même approche tentant de ralentir les permis de travail d’ouvriers étrangers (pour probablement favoriser l’employé (plus réfractaire …) mauricien) a bien failli se terminer dans l’exportation de 12 000 emplois !

Quant aux nouveaux projets hôteliers, La Cambuse est prisonnière de lobbies écologiques divers qui préfèrent des «dunes» aux emplois, les hôtels aux Salines Koenig attendent l’infrastructure et les seuls autres hôtels semblent tous liés à une smart city. Que leur dira-t-on ? Que les permis d’emplois seront «no problem» ?

Tiens ! Les «smart cities» ! En fait, une «smartisland» qui ne sera définitivementpas «smart» si lenoeud gordien de la connectivitén’est pas rapidementtranché ! Le développementde l’ICT en dépend aussi ! Le problème est connu. Ilne s’agit pas du réseau intérieurau pays qui se développe bien, mais de notreexternalisation vers le restedu monde et pour lequel untroisième câble a été identifiénécessaire et promis parPravind Jugnauth, du tempsoù il était ministre. Tant quecela ne vient pas et que l’oncontinue à stimuler la demandeavec une offre fixe,la qualité du service va sedégrader…. Un lecteur faitpart de sa nouvelle installationà Grand-Baie. On lui promettait 30 Mbps,on lui en mesure ….2. Lafibre optique ? Excellentepour le trafic local, mais une vidéo de 3 minutespeut, chez moi, prendre letriple pour «descendre» parpetites saccades énervantes.Le couloir ICT d’ Ébèneest sûrement privilégié etc’est bien ainsi, mais quelle«smart Island» construire ailleurs,avec ce qui reste ?

L’économie bleue reste bien floue et repose entre les mains du gouvernement pour le moment comme l’est le port où l’initiative du ministre des Finances de faire venir Dubaï Ports et la Singapore Ports Authority sont excitantes à souhait, mais vont vouloir dire une confrontation directe avec les «vested interests» en place, notamment à la CHC et à la MMA. Il reste le secteur des services financiers qui progresse très bien merci, à ce que l’on comprend, et qui recrute selon ses besoins mais qui reste, au moins en partie, dans l’attente de ce que décidera un grand frère … Alors de quoi parle-t-on ?

Préalables : acceuillir l’étranger et connectivité

Il y a deux forts préalables à l’investissement ces jours-ci : la connectivité ( pour la «smart island» et l’ICT) et l’ouverture sincère sur le monde et l’accueil des étrangers (smart island, ICT, hôtellerie, port, économie bleue), ce qui amènera, dans son sillage, les solutions pour les finances et la démographie, notre île n’ayant ni les moyens, ni les populations ou encore les pouvoirs d’achat pour enclencher les prochaines étapes vers le statut de «high income country» que nous pourchassons. à cette fin, essayons de ne pas trop mélanger les signaux (ex : permis de travail, discours de Subron sur l’intérêt stratégique de garder le «contrôle» du port, fut-il poussif, distractions style Gorah Isaac ou autres…), libérons les octets (nous sommes en bout de piste et il faut absolument un troisième câble après LION et SAFE), ouvrons grandes nos portes sur les étrangers et leurs apports multiples, financiers, idées, consommation et FORMONS ou réformons, entre-temps, notre jeunesse aux métiers d’avenir qui s’annoncent (plutôt que de leur fourguer des diplômes sans valeur, illusoires, voire parfois… dangereux !)

Par contre, reprocher au secteur privé la «carte blanche» accordée sur le CSR alors que le gouvernement l’a fait au motif que le privé sera plus «efficace», relève de mauvais procès, pour ne pas dire pire ! Et menacer de punition (on parle déjà de taxer pour permettre plus d’investissement public !) si les emplois ne se créent pas, ne va aider personne, sinon les concurrents de notre pays qui se frotteront les mains en voyant notre auto-flagellation intempestive ! Qui aura clairement le mérite d’attirer encore plus le regard de NOS investisseurs …CHEZ EUX !

Dans cette perspective, gageons que le dialogue, l’écoute et un tir rectifié s’ajouteraient très probablement à une approche plus productive que la menace de punition ou que le fouet lui-même ?

 

*Contrairement au monde anglophone ou à l’Allemagne où la «compétitivité par les coûts» assurait un dynamisme d’investissementplus rapide.