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Notre degré de civilisation

23 janvier 2016, 07:44

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Notre degré de civilisation

 

La bande sonore incriminant faussement un ministre, qui a défrayé la chronique cette semaine, est loin d’être un simple cas d’arnaque. Elle révèle les dessous d’un trafic de travailleurs étrangers qui se passe, depuis des années, sous nos yeux blasés. Pourtant, la sonnette d’alarme est tirée régulièrement, tant par des organismes rompus aux ramifications internationales du trafic humain que par des  observateurs locaux. Dans leur dernier rapport sur le trafic humain, les Américains confirment la mauvaise réputation de notre pays par rapport aux conditions d’emploi des travailleurs étrangers et le manque de ressources du gouvernement – la Special Migrant Unit dispose d’un staff squelettique – pour lutter contre l’exploitation de la main-d’oeuvre bon marché qui fait tourner nos boulangeries, restaurants, usines, et autres chantiers.

Originaires du Bangladesh, de l’Inde, de la Chine, de Madagascar, du Sri Lanka, du Népal, les quelque 37 200 travailleurs qui vivent chez nous, comme jadis nos ancêtres, dans l’espoir d’une vie meilleure, sont exploités par un système inhumain – comme le confirment le ministre du Travail (voir page 8) et notre enquête sur les nouveaux coolies (à lire demain dans l’express-dimanche). Ceux qui s’intéressent un tant soit peu à leur sort savent pertinemment bien qu’en l’absence de Foreign Worker Regulations et de sanctions contre des agents recruteurs, intermédiaires et employeurs véreux, les droits des travailleurs étrangers ne seront jamais respectés – et leur voix jamais entendue. Par exemple, celle d’Aslam, rencontré hier, errant dans les rues de Baie-du-Tombeau. Après ses longues heures à l’usine, six jours par semaine, cet ouvrier bangladais se met à chercher un petit job à la tombée de la nuit afin de se faire des sous – souvent il tombe sur des gens qui se moquent de lui, à cause de sa tenue ou de son accent. Il en a marre : il veut s’en aller, mais pour pouvoir repartir, il lui faut repayer le billet d’avion que détient son agent (qui retient aussi son passeport). En attendant, les dimanches après-midi, il a nettoyé un terrain vague pour jouer au cricket – afin de tuer le temps, de tromper l’ennui, de se fatiguer afin de trouver le sommeil qui lui fait oublier, momentanément, sa tragédie.

Aslam n’est pas un cas isolé. Dans son village, ils sont des dizaines de milliers à être victimes de la servitude pour dettes – qui constitue probablement la forme la moins connue d’esclavage. C’est dans un contexte de pauvreté extrême qu’il faut placer le départ de plus de 22 000 Bangladais pour Maurice. Qui font, chaque dimanche (leur seul jour de repos), la queue aux abords des banques et des guichets de transfert de fonds pour transférer leur paie d’une semaine à leurs proches restés là-bas, dans des taudis.

Pourtant, notre pays, en raison de notre histoire de peuplement, aurait pu donner l’exemple en rendant leur dignité aux travailleurs étrangers. Le travail forcé tel qu’il est toléré à Maurice peut être éradiqué à condition qu’il y ait un engagement de tout un chacun : le gouvernement, les employeurs, les travailleurs, les syndicats et la société civile. Le ministre Soodesh Callichurn semble prêt à relever le défi. Il a besoin d’être soutenu car il y va de l’image de Maurice – surtout à un moment où nous voulons attirer davantage d’investisseurs et de touristes.

On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux, nous enseigne Gandhi. Cela vaut encore plus pour ceux et celles qui quittent leurs proches et leurs terres pour cuire notre pain quotidien, faire tourner les machines dans nos usines ou sortir les bâtiments de nos terres et, partant, doper notre croissance économique, n’est-ce pas ?

 

***

On peut être d’accord ou pas avec le ministre Roshi Bhadain, mais on ne va pas nier son courage de politicien. Face aux journalistes indépendants et quelque peu impertinents de La Sentinelle, il ne s’est pas dégonflé, jeudi, dans les locaux de l’express. Certes, il n’a pas pu tout contrôler, comme cela semble être le cas à la MBC, mais n’empêche que, malgré deux ou trois dérapages, il s’en est plutôt bien sorti – en défendant bec et ongles ses dossiers, le nettoyage de Lepep, et la gestion de l’affaire BAI. Toutefois, par rapport à ses critiques enflammées contre le DPP, cela n’augure rien de bon. On ne peut que déduire que la tension entre le bureau de celui-ci et l’alliance au pouvoir ira crescendo dans les prochains jours. Et c’est clair qu’indépendamment du jugement de la Cour suprême dans l’affaire MedPoint, c’est au Privy Council que celle-ci va se régler. Entre-temps, reste à souhaiter que ce bras de fer qui a déjà débouché sur une crise institutionnelle ne nous entraîne pas dans une impasse constitutionnelle. Le respect des institutions et de la Constitution par nos dirigeants est aussi révélateur de notre degré de civilisation...