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Le Mauricien à l’Aube de l’Urbanité?

23 février 2016, 10:38

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Le Mauricien à l’Aube de l’Urbanité?

 

 

Ici plus qu’ailleurs, la notion de «smart city» interroge l’humain. Se fait alors jour l’idée d’un néo-citoyen contraint de considérer et d’évaluer un tel concept urbain et sociétal. Suivant ce fil conducteur, j’utilise dorénavant le terme «neo-morisyen» pour explorer les aspirations des Mauriciens contemporains. Ce terme est loin d’être péjoratif, il représente plutôt l’image d’une population consciente de son impact et avide de créer un avenir respectueux de son héritage et répondant aux besoins spécifiques de son contexte.

 

Le «neo-morisyen»

 

Aujourd’hui, le «neo-morisyen» est plus urbain qu’il n’ose se l’admettre. Nous avons créé un couloir urbain qui est l’un des plus denses de la planète. Nous sommes devenus tellement mobiles que le pays est tristement classé 6e mondial en terme d’utilisation véhiculaire par km2. Chaque jour, 340 000 voitures transitent par la capitale et chaque année, au moins 25 000 d’entre nous frôleront la mort sur l’asphalte. Donc, en outre de polluer notre air, nous perdons beaucoup de temps et d’énergie en déplacement au lieu de faire du sport, se détendre ou se reposer.

 

Le «neo-morisyen» a l’ambition de léguer un écosystème pérenne aux générations futures. Cependant, les chiffres démontrent qu’en 2014, nous avons augmenté notre consommation énergétique (+2,5%), conduisons plus de voitures (+4,9%), augmentons nos émissions de gaz à effet de serre (+3,8%), et produisons des quantités croissantes de déchets domestiques (+8,8%). Ces tendances sont d’autant plus inquiétantes que nous faisons de moins en moins de bébés! Effectivement, en 2039, la population «néo-morisyenne» sera réduite d’une centaine de milliers, et 20% de notre effectif humain sera âgé de 65 ans ou plus (en contraste avec les 8% actuels). «Notre» phénomène de vieillissement continuera de s’exacerber avec les dizaines de milliers de jeunes Mauriciens qualifiés qui continuent de déserter l’île. Au Canada, par exemple, 7/10 de notre diaspora sont âgés de moins de 35 ans. De plus, il semble que parmi tous ceux qui sont partis au cours des 10 dernières années, la majorité des revenants sont nés avant 1950…

 

Le «neo-morisyen» vise une éducation de qualité afin de sécuriser un travail à la hauteur de ses compétences. Effectivement, chaque année le nombre de jeunes s’inscrivant à l’Université de Maurice (sans considérer les autres institutions tertiaires) augmente de 10%. Néanmoins, la triste réalité reste que 42% de nos chômeurs sont âgés de moins de 25 ans. Si nous évaluons notre performance en termes de personnes inactives et de chômeurs enregistrés, 21 autres Etats africains font mieux que nous.

 

Finalement, le «neo-morisyen» aspire à une vie saine, active et dénuée de stress. Malheureusement, nous souffrons de symptômes indicateurs d’un mode de vie trop sédentaire, d’une nutrition malsaine et d’un environnement hautement angoissant. En effet, l’île Maurice fait partie des pays affichant les taux de prévalence de diabète les plus élevés au monde. Par ailleurs, plus de la moitié de notre population active est chroniquement malade, fortement médicalisée, et souffrant de cancers et d’insuffisance cardiaque ou pulmonaire. Que ces prévalences soient liées à des facteurs environnementaux, génétiques ou sociaux, la question ne se pose plus. Si l’on veut survivre, il faut engendrer un certain changement.

 

L’Espoir et le «neo-morisyen»

 

Tous ces indicateurs doivent nous faire prendre conscience de la nécessaire évolution de nos modes de vie. L’urbanité de demain peut être repensée pour nous permettre de vivre dans une plus grande symbiose avec notre environnement. Ici, il n’est surtout pas question de justifier la nécessité des laboratoires vivants, mais de questionner la vie que nous menons et que nous imposons à nos futures générations. Il est question d’explorer nos aspirations et nos besoins pour une meilleure qualité de vie. Dans des pays tels que la Hollande, l’Autriche, ou l’Estonie, la volonté de progrès émanant des citoyens a permis d’ériger des villes conscientes, vivantes et respectueuses de la planète. La ville y est alors perçue comme une partie évidente de l’Homme, et vice-versa; elle reflète ses aspirations et ses talents tout en utilisant des technologies et des connaissances régulièrement questionnées, recyclées, et constamment innovées. Le «neo-morisyen» réplique alors qu’Amsterdam, Vienne ou Montréal ne sont pas des exemples applicables à notre petite île tropicale!

 

Effectivement, l’idée de construire d’innombrables villes exclusives en utilisant le terme «city» ne semble guère appropriée pour notre territoire insulaire restreint. Alors, s’agit-il simplement d’une mauvaise interprétation sémantique ou de présuppositions erronées sur la définition même d’une «smart city»? Et si tout d’un coup, ce concept clivant disparaissait? Cette peur traumatique du béton gris et amorphe cèderait-elle enfin de la place à L’Espoir d’une vie créative, sensible et avant-gardiste? Ailleurs, par exemple, on parle d’«éco-quartiers» pour refléter l’idée de l’intelligence urbaine et de connexion entre les gens… Il est donc crucial d’établir une formule conciliante des visions opposantes et rassemblant les projets éparses afin de respecter notre réalité géographique, écologique et sociale.

 

La voix du «neo-morisyen»

 

Il est vrai que l’émergence des villes intelligentes suscite des mouvements d’engagements civiques à travers le monde. A Maurice, les arguments à l’encontre de nouveaux projets ayant pour but d’entraîner un nouveau «miracle économique» se font entendre. Un argument crédible n’a pas de date de péremption, mais il est important d’évaluer si ces voix sont représentatives de tous les Mauriciens. Appartiennent-elles à ceux qui recherchent frénétiquement un emploi, un logement, ou un mode de transport public plus efficace? Appartiennent-elles à ceux qui voient leurs quartiers s’étendre de façon erratique, devenant des monstres toujours plus laids, plus polluants et producteurs de déchets? Appartiennent-elles à ces groupes qui vivent encore sous le seuil de pauvreté, à ceux qui ne suivront jamais de formation professionnelle ou qui sont discriminés de par leur appartenance ethnique, et pire encore, de par leur genre?

 

Je reste convaincue qu’en tant que «neo-morisyens», nous sommes capables de porter une analyse critique sur notre impact et sur nos trajectoires individuelles; aussi subjectives soient-elles. Et puis, c’est inévitable, il faut que la voix du «neo-morisyen» résonne! Mais cette voix se doit d’être informée et soutenue de réalités empiriques, et non idéologiques. Réfuter catégoriquement l’idée d’un développement urbain intelligent avec l’argument d’un écocide certain est un raccourci trop facilement emprunté et souvent exagérément acclamé. Il est naturel et crucial d’exprimer toutes les appréhensions, et de considérer des stratégies de protection de l’écosystème, de la sécurité alimentaire ou du changement climatique, mais c’est le pragmatisme, et non le drame qui doit être à la page! Il serait utile de remettre en question les choses qui nous tiennent à cœur, que l’on comprend objectivement, et sur lesquelles nous avons un pouvoir économique, politique et surtout, humain.

 

Une morale ?

 

Non, il n’y a pas de morale à cette histoire. Il s’agit simplement d’éveiller une prise de conscience collective. Oui, nous sommes tous responsables du futur de notre planète. Malheureusement, nous oublions trop souvent notre devoir envers la condition humaine et les défis qu’elle doit relever face à une globalisation galopante, entraînant avec elle une urbanisation souvent trop rapide, trop gourmande. Dans l’irréversibilité, les opportunités pour faire preuve d’intelligence, ou pour être un «neo-morisyen», se présenteront en cadence accélérée. Comme il n’est plus question de l’outil, le high-tech n’a de sens seulement si nous sommes connectés et futés. Alors, ne parlons plus de capteurs et de technologies, parlons d’expériences et de vécu! Il est temps de choisir ce que l’on veut défendre, en tant qu’humain, en tant que Mauriciens contemporains et surtout, en tant que citoyens du monde.

 

Meelan Thondoo (Anthropologue, 17 février 2016)