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Dans la République des pachas
Le mot pacha (turc : pasa, parfois transcrit pascha ou baschaw) est, dans le système politique de l’Empire ottoman, un titre de haut rang accordé aux gouverneurs de provinces, aux titulaires du grade de vizir et à ceux qui, délégués par le pouvoir, rendaient «grand service» au sultan. Sultan et empire étant souvent confondus. Par extension, il caractérise tous ceux qui, dans le contexte moderne, se voient récompensés pour leur loyauté et les services rendus aux chefs. Mais l’expression qui nous concerne aujourd’hui est aussi celle qui parle de ceux qui «mènent une vie de pacha», qui prennent leurs aises, qui se sentent monter des vapeurs au constat de leur chance inespérée d’être «au pouvoir» et qui se croient parfois sortis des cuisses de Jupiter, au seul regard de leur chèque de fin du mois et des avantages divers, dont les per diem, les voitures tax free, les chauffeurs en livrée, dont ils bénéficient.
Ce n’est pas le cas de tous au Parlement. On peut même compter, allez – on pousse un peu – deux bonnes douzaines de parlementaires et de ministres qui valent leur solde et qui travaillent dur, même si cela leur arrive de gaffer. Parfois grossièrement. Généralement, ce sont ceux qui, si sortis de la politique, pourraient se retrouver à leur propre compte ou employés dans une firme, avec à peu près les mêmes conditions. Mais tous les autres, ayant simplement pris le bon train, à la faveur d’une électioncoup-de-rotin, se retrouvent projetés, selon l’expression consacrée de Tom Peters, «way beyond their level of competence». Certains ont un talent pour s’occuper des problèmes de la circonscription et sont donc souvent – au-delà du fait de solutionner des problèmes réels – des artificiers au service du parti au pouvoir plutôt que de la nation. Beaucoup, cependant, rechignent même à ce travail-là et n’ont pas plus de réussite quand il s’agit de promouvoir une cause valable ou un principe, d’analyser un projet de loi et d’y apporter des commentaires valables, de faire des suggestions pour améliorer l’ordinaire du pays ou même de faire un simple discours cohérent ou à valeur ajoutée.
Et pourtant, ils sont très bien payés et ils vont être augmentés !
On ne peut évidemment pas, dans le cadre de cette chronique, faire une analyse HR détaillée sur le «value for money» que le citoyen obtient de chacun de ses 62 parlementaires ou ministres. Mais il suffit de mettre en exergue le salaire du président des États-Unis, qui est de Rs 1.9 million par mois, comparativement aux Rs 290 000 pour notre PM mauricien (ce dernier bénéficie d’un «package» salaires plus allocations de Rs 552 650 après les ajustements PRB et ce n’est sans doute pas cher payé pour les responsabilités engagées dans la fonction). Et de souligner que s’il nous faut (avant allocations) payer Rs 24.98 à notre PM pour chaque million de dollars de PNB dont il a la garde et le devoir de faire progresser, le citoyen américain ne paie, lui, que Rs 0.11 à son président pour le même service ! Pour le PM de l’Inde, dont le salaire mensuel est déraisonnablement bas, soit Rs 84 000 par mois, il faut littéralement… 4 sous pour la responsabilité de chaque million de dollars de PNB annuel. Pour la France, le chiffre équivalent est de 35 sous.
Il faut évidemment que nous tenions compte des effets d’échelle, mais le point est fait et illustre sans doute la folie furieuse d’augmenter, à la faveur d’une réforme électorale ou constitutionnelle, le nombre de parlementaires ou le Cabinet des ministres ou les PPS, dans un petit pays comme le nôtre…
Les PPS feront l’objet de ma deuxième remarque. Ils toucheront, après allocations, Rs 246 210 chacun. Ils sont dix bienheureux. Ils se nomment :
M Sharvanand Ramkaun
Mme Roubina Jadoo-Jaunbocus
M Rajcoomar Rampertab
Mme Sandhya Boygah
M Stephan Toussaint
M Eddy Boissezon
M Toolsyraj Benydin
M Mohamad Salim Abbas Mamode
M Thierry Henry
M Francisco François
En avez-vous entendu parler au cours de ces 18 derniers mois ? Et si vous répondez «oui», était-ce pour les bonnes raisons ? En a-t-on eu pour notre argent?
Faites le même exercice pour les backbenchers (ils toucheront Rs 157 485, allocations comprises) ou les ministres (Rs 349 685) et faites-vous, vous-même, une opinion. C’est votre droit de contribuable et votre devoir d’électeur !
***
Cette semaine, deux juges de la Cour suprême ont renversé, dans le cadre de l’affaire MedPoint, une condamnation de Pravind Jugnauth sous le Prevention of Corruption Act (PoCA). Quand on est loin d’être un spécialiste légal, il ne faut surtout pas s’aventurer à se prononcer pour ou contre; les deux jugements étant, pour le commun des mortels dont je fais partie, extrêmement bien motivés et apparemment cohérents. Sous notre Constitution, c’est au Directeur des poursuites publiques de décider s’il y a matière à faire appel ou pas au Privy Council et d’établir ainsi de manière définitive le rayonnement et la portée du PoCA dans notre combat déclaré contre la corruption.
Mon propos du jour est ailleurs.
On comprend le bonheur des parents de Pravind Jugnauth et de ses partisans les plus proches. Le chef de parti, ayant frôlé la correctionnelle, retrouve une fonction ministérielle, les Finances, à un cran autrement plus important que celui de décembre 2014, l’ICT. Les pétards éclatent, les baisemains inattendus fusent, les réceptions et les félicitations (tactiques ou sincères ?) se multiplient, les demandes de «rencontre» aussi. Tout cela dégage une petite vague d’excitation, une ambiance d’expectative et même d’espérance. Mais ce serait rendre un très mauvais service à Pravind Jugnauth que de penser qu’il incarne désormais l’espoir de renverser la vapeur sur tout ce qui a dérapé, par rapport aux attentes et aux promesses de décembre 2014 ! Après tout, il faisait partie du train et avait déjà une vaste influence sur tout ce qui se passait. Même s’il n’avait pas un billet de première classe pendant quelques mois, il n’empêche que l’on venait déjà souvent dans le wagon de seconde pour qu’il donne son opinion ou qu’il décide ! Et il est loin d’être un surhomme.
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