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Budget 2016-2017 : au-delà de l’euphorie et du rêve

4 juin 2016, 07:35

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It’s now or never! Après l’euphorie provoquée par le jugement MedPoint (et le désormais célèbre baisemain y relatif), il est grand temps de focaliser, enfin, et pour de bon, toute notre attention sur l’économie.

Depuis l’entrée en jeu du gouvernement Lepep, qui nous avait promis de «façonner un deuxième miracle économique», dont nous attendons patiemment les premiers signes annonciateurs, il s’est passé bien des imprévus sur l’agenda. Après un Vishnu Lutchmeenaraidoo rêveur et nostalgique, allergique aux chiffres mais attaché à la philosophie et à la spéculation sur l’or, et un SAJ déjà débordé, qui a essayé de s’occuper des Finances du mieux de ses possibilités (en laissant à Roshi Bhadain le champ (trop) libre pour maladroitement négocier la fin du traité fiscal indien), nous voici donc – en moins de 18 mois – avec un troisième capitaine pour l’économie mauricienne : le revenant Pravind Jugnauth. Comme nous sommes blasés face aux éternels recommencements, le leader du MSM se voit applaudi par quasiment tout le monde, alors que personne ne semble s’inquiéter du changement trop fréquent de capitaine aux Finances...

Si le leader du MSM peut, potentiellement, apporter un sens de direction au navire Lepep, triste est de constater que nos soubresauts politiques demeurent tenaces et impactent durablement nos orientations et tendances économiques. Lors de la précédente législature travailliste (2010-2014), deux autres ministres des Finances avaient claqué la porte alors qu’ils tenaient la barre : Pravind Jugnauth en juillet 2011 (dans le sillage de l’affaire MedPoint) et Xavier Duval en juin 2014 (dans le sillage du rapprochement électoral PTr-MMM).

Dans la sphère économique, des actes politiques, comme ces départs de politiciens (pour des raisons de survie personnelle ou de parti), n’engendrent pas seulement un effet, mais des séries d’effets, qu’on voit progressivement, dans le temps. Depuis Frédéric Bastiat (1801-1850), les recherches démontrent que l’activité économique n’est pas une activité close. Et alors qu’on change de capitaines, on a tendance à perdre de vue deux indicateursclés, cruciaux pour notre développement économique : l’investissement et la productivité, qui sont, en fait, deux faces d’une même pièce de monnaie. En effet, depuis trop longtemps déjà, on constate, impuissant, la baisse de l’investissement – privé et public – alors que la productivité, elle, progresse bien trop mollement depuis plus d’une décennie déjà.

Tout cela résulte d’un leadership politique (quel que soit le gouvernement du jour) davantage affairé à ses petites affaires qu’aux grandes problématiques auxquelles il a à faire face : un taux de croissance qui ne dépasse pas les 4 %, un taux de chômage de près de 8 %, une dette publique de 64 % qui nous enlise, tous les jours, un peu plus et qui nous attire les regards réprobateurs de nos bailleurs de fonds, et un déficit budgétaire contenu artificiellement sous les 5 % (en bloquant des projets de développement et d’entretien).

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Malgré les espoirs suscités de part et d’autre (souvent davantage par opportunisme), il ne faudrait pas s’attendre à un «miracle» de la part de Pravind Jugnauth – qui n’est pas, n’en déplaise à ses fans, superman ! Le leader du MSM est conscient qu’un Budget demeure avant tout un exercice éminemment comptable avant d’être un instrument politique pour ses projets et ambitions futurs. Sur papier, sa marge de manœuvre reste assez faible, en termes de revenus et de dépenses – sauf peut-être pour l’exceptionnel item, cette compensation de la Grande péninsule de Rs 12,6 milliards (pour sucrer la pilule DTAA) sur laquelle on réfléchit beaucoup aux Finances ces derniers jours.

S’il est tenu de ne pas trop s’écarter des pas du Budget Lutchmeenaraidoo et de la Vision 2030 énoncée par SAJ, Pravind Jugnauth peut, néanmoins, remettre de l’ordre dans la hiérarchie et le calendrier des projets déjà annoncés. Par exemple, va-t-il accepter qu’une part du gâteau indien (de l’ordre de Rs 3,7 milliards) aille au projet Heritage City alors qu’il y a bien d’autres priorités nationales ? Va-t-il soutenir la hausse des salaires des ministres, PPS et députés, comme recommandé (et non pas imposé) par le PRB ? Ce serait une façon pour lui d’imprimer sa marque, son leadership. Il va, certes, froisser ses amis du gouvernement, mais il se fera beaucoup d’autres amis au sein du grand public...

Après la chute de l’empire BAI, le gouvernement Lepep a tendu la main au secteur privé. C’est ainsi qu’un nouveau comité mixte secteur public-secteur privé a été mis sur pied pour accroître la productivité, relancer la croissance, créer des emplois et, partant, arriver à l’objectif de $ 25 384 par tête d’habitant à l’horizon 2030.

Mais cela n’a pas fonctionné.

Et SAJ a dû, plus d’une fois, hausser le ton pour sortir le secteur privé de sa tendance irrésistible à s’assoupir, la tête enfoncée dans le sable, histoire de ne pas trop se faire remarquer. Et, aujourd’hui, l’on est toujours à se demander comment concrètement on pourrait passer de 3,5 % de croissance à 5,5 % ? Et, surtout, comment arrive-t-on à 20 000 emplois alors que la tendance annuelle a été ces derniers temps de 6 500 ?

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Le test de Pravind Jugnauth est le suivant : pourra-t-il quitter son rôle de politicien pour entrer dans celui du catalyseur du développement économique ?

Le monde évolue constamment et il est parfois difficile de suivre toute l’actualité économique. De par le monde, les tendances et les perspectives changent. Par exemple, hier on nous disait que les BRICS sont en train de conquérir le monde, et aujourd’hui on sait que seule la Chine est à casser des briques, et que dans le moyen terme seule l’Inde pourra l’imiter... Entre 2003 et 2013, la Chine rachetait la dette américaine, aujourd’hui elle tend à la vendre, alors que la croissance de la population chinoise, qui connaissait jadis des hauts, est désormais en baisse... Tout cela pour rappeler que rien ne demeure statique en économie. D’ailleurs le prix du baril, qui était une sacrée aubaine pour le gouvernement Lepep, vient de reprendre l’ascenseur en dépassant, cette semaine, la barre des 50 USD, bien loin des 27 USD enregistrés il y a quelque temps...

C’est pour tout cela qu’il importe de relire le Budget 2011 présenté par Pravind Jugnauth en novembre 2010, alors qu’il était ministre des Finances sous Navin Ramgoolam et alors qu’on pataugeait en pleine crise de la zone euro. Le leader du MSM avait alors bâti son discours autour de trois axes : rééquilibrage de la croissance, amélioration de la productivité et développement de la justice sociale. En 2010, le déficit budgétaire était à 4,5 %, la dette publique de l’ordre de 60,7 % et le taux de croissance de 4,2 % – et le taux de chômage était à 7,5 %.

Dans la foulée, Pravind Jugnauth avait formulé un rêve: «...as we rebalance growth we must also make a great leap forward on productivity in order to propel the economy on a modern development path– a path to emerging opportunities– to a GDP of one trillion rupees by the 2020s and to an income per capita of USD 20,000 and higher (...) We will also need to integrate the development of the tourism industry in the duty-free shopping paradise vision. It is a new industry that will have a major impact on most key sectors of our economy. It will attract franchise rights of international brand labels and open up significant opportunities for locally manufacturing the luxury and prestige brands, and even more premium and fashion brands in Mauritius. It will generate an unprecedented synergy and put Mauritius on the same development track where countries like Singapore and Dubai have treaded before us...»

Six ans et un gouvernement plus tard, au vu de la présente situation, le discours de Pravind Jugnauth demeure plus que jamais d’actualité, mais pourra-t-il passer du rêve à la réalité ?