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Conflit d’intérêts: éclairage nécessaire

9 juin 2016, 07:27

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Avouons-le : la décision du DPP de recourir au Conseil privé s’avère une bonne chose pour notre démocratie. D’abord, sur le plan institutionnel, elle prouve l’indépendance bienvenue d’un département crucial de l’État face à un puissant membre du gouvernement, pourtant applaudi par quasiment tout le monde depuis qu’il a été blanchi par la Cour suprême, et nommé (trop précipitamment ?) ministre des Finances. Au moins, il y a un rempart contre une éventuelle hégémonie Lepep.

Ensuite, sur le plan juridique, le recours au Privy Council permettra à la plus haute instance de notre système de trancher entre deux jugements contradictoires dans leur interprétation de l’article 13 (2) de la PoCA (qui porte sur l’épineuse question de conflit d’intérêts) : celui des magistrats Niroshini Ramsoondar et Azam Neerooa de la cour intermédiaire (malmenés par le Premier ministre) et celui, plus récent, du chef juge Kheshoe Parsad Matadeen et du juge Asraf Caunhye de la Cour suprême.

Plus précisément, il s’agit de clarifier si l’«intérêt» des actionnaires est différent de celui des compagnies. Dans ce cas de figure, selon le jugement Matadeen-Caunhye, il suffirait désormais qu’un «public official» crée une compagnie, avec, par exemple, son épouse, sa sœur et ses enfants, pour qu’il échappe à l’article 13 (2) de la PoCA. La décision des «Law Lords» permettra ainsi de débloquer plusieurs cas qui sont désormais en suspens devant la justice...

Par rapport à la bonne foi, il serait aussi intéressant de connaître l’interprétation des «Law Lords» sur l’application du concept du «Halfway House Defense» introduit par le jugement MatadeenCaunhye qui, jusqu’ici, était inexistant dans les procédures judiciaires locales. Ce concept quelque peu flou aura de sérieuses implications non seulement sur la PoCA mais aussi sur d’autres législations de notre arsenal juridique. À ce stade, il est difficile de comprendre pourquoi la Cour suprême a choisi d’introduire le concept de «Halfway House Defense» alors qu’elle avait déjà, au préalable, statué que l’infraction de conflit d’intérêts ne relevait pas du «strict liability».

Autre point juridique intéressant, le Privy Council aura à statuer sur la pertinence de l’arrêt US v Mississippi (ref : https://supreme.justia.com/cases/federal/ us/364/520/case.html), arrêt de la Cour suprême des États-Unis qui a confirmé la prohibition absolue en matière de conflit d’intérêts. Cet arrêt a été à la base même des arguments présentés par Me Rashid Ahmine lors de sa plaidoirie. Un extrait de cet arrêt des États-Unis avance que le conflit d’intérêts «… establishes an objective standard of conduct, and whenever a government agent fails to act in accordance with that standard, he is guilty of violating the statute, regardless of whether there is actual corruption or any actual loss suffered by the Government».

Sur le plan politique, en revanche, la décision du DPP pourrait provoquer une autre période d’instabilité – après l’accalmie qu’a apportée le retour au cabinet du leader du MSM. Pour l’économie du pays, ce n’est pas bien, surtout à quelques semaines du Budget 2016-2017. La décision de Me Boolell risque, d’autre part, de corser le chassé-croisé entre le gouvernement et le bureau du DPP. Dans ce conflit entre l’exécutif et une partie du judiciaire, il faudrait nous assurer que des fonctionnaires intègres ne soient pas écrasés, victimes d’une politique revancharde de certains.

Pour conclure, il est utile de rappeler que le même Pravind Jugnauth avait voté, en 2002, en faveur de la PoCA rédigée par Ivan Collendavelloo, à la suite d’un Select Committee sur lequel siégeaient, entre autres, les ministres Nando Bodha et Anil Gayan. À l’époque, ces politiciens pensaient qu’il nous fallait une loi avant-gardiste qui permettrait de brasser large afin de combattre le fléau multiforme de la fraude et de la corruption.

Pour que ce combat salutaire soit gagné, l’éclairage du Privy Council est nécessaire. Car, au fond, ce n’est pas qu’une affaire de loi, c’est aussi et surtout une question de maturité politique.