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Pravind Jugnauth, allez-vous changer de costume ?
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Pravind Jugnauth, allez-vous changer de costume ?
Nos destins sont liés, notre devenir interconnecté. Ce qui se passe (ou se passe- ra) en Chine, en Europe ou aux États-Unis impacte(ra) immanquablement notre économie, aussi éloignée et petite soit-elle. C’est pour cela que la principale préoccupation de notre Grand argentier – qui est de relancer la croissance économique – ne doit pas être dissociée de celle des ministres des Finances et gouverneurs des Banques centrales des 20 économies les plus importantes de notre planète (le G20-Finances).
Réunis récemment dans la capitale du Sichuan, dans le sud-ouest de la Chine, leur principal sujet d’âpres discussions : le Brexit et les conséquences de celui-ci sur une reprise économique mondiale qui s’avère «toujours inégale et cahotante».
Le Fonds monétaire international (FMI), qui prévoit de difficiles lendemains dans l’après-Brexit, a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l’économie mondiale, à 3,1 % en 2016 et 3,4 % en 2017. Et les Chinois, malgré un vif ralentissement de leur économie, incarnent le moteur essentiel de la croissance planétaire. Mais ils ne veulent plus être aux fourneaux: «Il faut davantage de coordination. Il nous est impossible de porter le fardeau du monde entier sur nos épaules. Les pays qui ont des marges budgétaires doivent les utiliser, notamment pour soutenir l’investissement (...)». À Beijing, nos interlocuteurs, issus de cercles politiques et du milieu des affaires, tiennent un même discours : la Chine vise désormais un rééquilibrage vers la consommation intérieure, l’innovation et les services, au détriment d’industries lourdes, obsolètes et endettées. «Nous ne voulons plus être uniquement l’usine du monde.»
Outre le Brexit, les ministres des Finances du monde discutent des voies et moyens pour favoriser une croissance plus «inclusive» – par ailleurs, un puissant levier politique pour tout politicien en quête de réélection.
Faire partager les fruits de la croissance à un plus grand nombre, relancer l’investissement (qu’il soit privé ou public) et vaincre le chômage devront donc être également au cœur de la politique budgétaire de Pravind Jugnauth. Les challenges macroéconomiques (dette publique, déficit budgétaire, croissance négative des secteurs-clés) ont été suffisamment vulgarisés dans l’express, notamment par l’économiste citoyen Rama Sithanen, dans une série de cinq pré-papiers budgétaires. Nous n’allons pas y revenir...
... Mais parmi les possibilités dans la boîte à outils de Pravind Jugnauth, relevons une éventuelle taxation progressive sur les hauts revenus pour les plus riches (encore qu’il faudra soupeser la démotivation ainsi causée face aux sommes minables récoltées), un mécanisme de ciblage pour les pensions universelles (ou tout autre système de subvention généralisée – riz, farine, santé ou école publique), des crédits d’impôts pour les moins fortunés, des investissements courageux dans les infrastructures de transport (dont le métro léger, qui est remis sur les rails après avoir été enterré par pure revanche politique), des programmes innovants de formation pour les travailleurs affectés par des délocalisations, disons vers l’Afrique, ou par l’importation de la main-d’œuvre plus compétitive (pour ne pas dire moins ingrate).
Ayant accepté de troquer son habit de chef de parti pour celui de ministre des Finances, Pravind Jugnauth a, par là même, choisi de se mettre au service de l’État et de TOUS les citoyens (qu’ils soient rouges, mauves, bleus ou blancs ou incolores). Il aurait dû prendre le temps de cerner ce qui est du ressort de l’économie : documenter les inégalités (de richesse et de revenus) et proposer des politiques efficaces (non gaspilleuses d’argent public) pour obtenir un niveau de redistribution donné.
Selon Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, il importe pour des pays qui veulent monter en gamme de se pencher sur «le changement de technologie qui favorise les compétences élevées, à travers l’émergence de l’économie digitale, et plus généralement le renforcement de l’économie de la connaissance (...) Cela est particulièrement visible dans le haut de la distribution des rémunérations». Comme ancien ministre des TCI, Pravind Jugnauth doit déjà le savoir. Tout comme il sait qu’on ne pourra pas aller plus loin dans ce cybermonde si Mauritius Telecom continue à limiter la vitesse (dans quels buts ?) de la connexion Internet.
Pravind Jugnauth aurait dû aussi s’être rendu compte que la mondialisation a accru la concurrence pour les talents et que nos cerveaux les plus brillants quittent le pays ou ne reviennent pas après leurs études, même si celles-ci sont financées par les contribuables mauriciens. Combien de Steve Jobs mauriciens avons-nous ainsi à l’étranger qui correspondent quotidiennement par Skype avec leurs parents restés, eux, ici ? (Uniquement aux États-Unis j’en connais une bonne dizaine!). Réalisons-nous que c’est coûteux pour Maurice en termes de création d’emplois, de revenus fiscaux et d’environnement d’innovation ? Avons-nous seulement mesuré l’ampleur de la fuite des cerveaux sur l’économie mauricienne ? Sommes-nous conscients qu’en parallèle, un des seuls moyens de compenser cette hémorragie c’est d’ouvrir nos portes toutes grandes aux étrangers compétents ?
Autre paradoxe bien ancré dans nos moteurs : le système éducatif qui affiche depuis notre Indépendance des objectifs égalitaristes, mais qui continue de créer de fortes inégalités au détriment des plus défavorisés de notre société. Et en faveur des mieux informés et de ceux qui habitent des quartiers aisés et qui fréquentent les gens du pouvoir.
Encore une inégalité connue et archi-documentée : la santé publique. C’est vrai que les soins sont gratuits, que cela fait partie, comme l’éducation, de notre coûteux «Welfare State» (fierté du régime travailliste qui a rajouté le transport gratuit pour écoliers et étudiants et 3e âge) mais avons-nous atteint les minima en termes de services offerts ? Par exemple, êtes-vous allé, Pravind Jugnauth, au petit coin dans des toilettes d’un hôpital public ou avez-vous goûté aux repas que l’on y sert (à noter qu’il existe quelques rares services qui s’en sortent tant bien que mal grâce à quelques fonctionnaires dévoués) ?
Comme ministre des Finances, vous savez mieux que nous que les inégalités ne doivent pas être mesurées uniquement sous l’angle financier disons d’un Sanspeur ou d’un Manraj, aussi compétents et patriotes soient-ils. Que les inégalités, que vous voulez combattre, revêtent d’autres dimensions que l’argent, comme l’intégration dans la société, surtout pour nous qui aspirons à devenir un pays à haut revenu ?...
Concluons sur une note optimiste. Votre équipe de flatteurs et de béni-oui-oui ne vous le diront peut-être pas, voire peut-être jamais, de peur, sans doute, de ne pas/plus être dans vos bons papiers par la suite. Mais nous voulons croire que vous allez vous surpasser dans votre discours aujourd’hui.
Que vous allez tout faire pour que notre État ne soit pas capturé par des intérêts parti- culiers au détriment de l’intérêt collectif.
Que vous n’allez pas vous embarrasser de considérations politiciennes et faire le jeu des lobbies conservateurs qui nous retiennent en arrière (comme celui des autobus qui ne veulent pas du métro léger), au lieu de nous propulser en avant.
Que vous allez nous donner les moyens d’entreprendre une vraie réforme électorale (pour attirer des compétences autres que des Gowressoo, Baboo, Choonee, par exemple, sur le plan culturel). Que vous permettrez l’avènement d’un Freedom of Information Act et d’une MBC «libre», comme promis par votre parti en décembre 2014.
Bref, que vous allez être davantage ministre des Finances à la barre du pays alors que l’on se trouve à un moment crucial et tumultueux de notre histoire économique commune, au lieu d’être uniquement le capitaine du bateau MSM.
On saura d’ici peu à qui réellement nous avons affaire, et quel est ce costume que vous avez choisi de porter en ce 29 juillet 2016.
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