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Quand le ciblage devient mirage…

3 août 2016, 09:00

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Dans son analyse sur le Budget, le «Senior Partner» de PwC André Bonieux a une nouvelle fois fait la différence. Tout en reconnaissant qu’il y a une réelle volonté de la part de Pravind Jugnauth de réformer l’économie, celui-ci, estime-t-il, n’est pas allé assez loin dans ses réformes. Il part du postulat que celle, tant attendue, portant sur le ciblage des bénéficiaires des prestations sociales n’a pas été enclenchée. C’est ce qui aurait permis aux défavorisés de la société de grimper les marches de l’échelle sociale.

En même temps, reconnaissons-le : cette mesure, le fils du Premier ministre l’a déjà initiée et testée en 2004, alors qu’il occupait les mêmes fonctions. Mais les conséquences politiques qui se sont ensuivies, couplées aux débats passionnés suscités sont probablement encore trop fraîches dans son esprit. Le ciblage était devenu malgré lui une thématique de campagne de 2005 de l’opposition d’alors, ce qui lui a d’ailleurs coûté son siège de député.

Comme le chat échaudé qui craint l’eau froide, le Grand argentier n’a pas souhaité lancer une réforme qui serait potentiellement explosive pour lui sur le plan politique. Cela d’autant plus qu’il n’a pas droit aux faux pas et qu’il arrive après Lutchmeenaraidoo qui n’a pas été à la hauteur des espoirs. Et qu’en plus le poste suprême de Premier ministre est dans sa ligne de mire.

Ici même, dans ces colonnes, nous avons plus d’une fois défendu la rationalité de la politique du ciblage tout en concédant que sa mise en œuvre reste problématique. Personne ne peut contester cette vérité qui transcende toutes les considérations politiques et économiques : à savoir pourquoi le dirigeant d’entreprise de Queen Mary Avenue doit régler la facture de sa bonbonne de gaz ménager au même prix que le modeste maçon de Karo Kaliptis. Pour- quoi doit-il toucher sa pension de vieillesse d’un peu plus de Rs 5 000 alors que ses revenus mensuels, s’il est toujours actif professionnellement, dépassent les Rs 200 000 ? La liste est longue et touche aussi les soins de santé, les frais éducatifs, le transport public, entre autres.

Certes, on sortira l’argument que ce groupe aux revenus élevés ne représente qu’une minorité et qu’en définitive, ces personnes ont contribué au développement économique du pays et que c’est leur droit légitime de bénéficier de ces prestations aux mêmes prix que tous les autres Mauriciens. Sans doute, oui. Mais la démarche doit être avant tout volontaire, voire volontariste et laisser au gouvernement le soin de prendre le relais par la suite à travers le «means test», même si on sait que cet exercice est susceptible de stigmatiser les bénéficiaires dans la vie de tous les jours.

L’Inde, avec ses préjugés et son conservatisme, a introduit la carte Aadhar pour mieux cibler les bénéficiaires du programme social, à travers une carte biométrique de 12 chiffres équipée d’une puce électronique détenant des informations telles que la couleur des yeux et les empreintes digitales, entre autres. Le titulaire de cette carte peut ouvrir un compte bancaire lié à son numéro à 12 chiffres et recevoir directement l’aide gouvernementale. L’idée, qui revient à Nandan Nilekani, pionnier de l’informatique en Inde et cofondateur de la multinationale Infosys, vise à éviter que les subventions n’aillent pas jusqu’à leurs desti- nataires. Quelque 37 % de la population indienne vit encore sous le seuil de pauvreté.

Loin de nous l’idée de dire que ce système doit être répliqué à Maurice. Nous pourrions nous en inspirer, d’autant plus que le Budget de Pravind Jugnauth souhaite s’attaquer aux racines de la pauvreté à travers le lancement (enfin !) du Plan Marshall pour sortir 6 400 familles de la pauvreté absolue. Il est surprenant de noter que depuis l’annonce de cette mesure, l’interrogation des uns et des autres est portée surtout sur l’urgente nécessité que ce fonds de Rs 500 millions, étalé sur deux ans, soit effectivement canalisé vers ceux qui sont dans la misère noire et qu’il n’atterrisse pas dans les poches de certains intermédiaires corrompus ou encore dans des comptes d’associations fictives…

Pravind Jugnauth a néanmoins lancé une réflexion sur le sujet. Souhaitons qu’il passe courageusement à l’acte.