Publicité

Ce cancer qui nous ronge

21 août 2016, 07:47

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

“I will cry, I’m sorry...” Quand notre compatriote Fabienne St Louis fond en larmes devant la caméra de la BBC (www.bbc.com/news/world-latin-america), à Rio, on reçoit son émotion de plein fouet. C’est un coup de massue. Personne, ni le journaliste, ni elle, encore moins nous, à Maurice, ne savait qu’à cet instant précis, elle allait craquer en révélant son cancer. Ses larmes n’étaient pas feintes, pas mises en scène. Elles traduisent simplement son courage de montrer qu’on peut avoir un cancer et pratiquer du sport au plus haut niveau. C’est un beau geste, un but louable, un acte de foi en soi.

L’annonce d’un cancer peut produire tous les effets possibles. Sur les patients eux-mêmes d’abord. Certains ne peuvent supporter la maladie et préfèrent ne plus donner de nouvelles et s’enfermer dans le silence. À Maurice, on retient surtout la confession du leader de l’opposition, un mercredi 23 janvier 2013. Dès que son début de cancer (à la gorge) s’est déclaré et qu’il a réalisé le risque de se retrouver en incapacité de travail, Paul Bérenger, nonobstant le débat sur vie privée et vie publique, a choisi de le faire savoir au grand public, par le biais d’une conférence de presse. Cela avait provoqué une onde de sympathie à travers le pays. Même les plus farouches adversaires de Bérenger étaient attristés par cette annonce. C’est l’une des rares fois ou Bérenger n’avait pas calculé son coup – et l’émotion était palpable, forte.

Aujourd’hui, il y a une profonde hypocrisie parmi nos acteurs politiques. Tout est factice, ou presque. L’émotion n’est pas là. C’est le règne de la communication outrancière, de la fabrication grossière d’image, où chaque mot est choisi, chaque geste est calculé, chaque sourire s’avère trompeur. Au Parlement, de la galerie de la presse, l’on rit devant les tentatives pathétiques de Roshi Bhadain, Pravind Jugnauth et Vishnu Lutchmeenaraidoo de faire croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, que ce gouvernement est plus solide que jamais, que les divergences font partie de la vie démocratique d’un parti.

Ce n’est pas vrai. Derrière leurs gestes, au-delà de leurs discours, tout le monde aura compris que ce gouvernement traverse une crise sans précédent. Après avoir eu la peau de Lutchmeenaraidoo, Bhadain essaie de défendre la sienne. Le cœur du pouvoir est le même : les Finances. Le projet de la discorde est le même : Heritage City. Les principaux protagonistes n’ont pas changé : il s’agit du Premier ministre, de son fils et du ministre Bhadain, devenu une source d’embarras et une bombe à retardement pour Lepep.

Les Jugnauth semblent avoir les mains liées et ne savent plus comment arrêter Roshi Bhadain, celui qui avait entrepris de démolir le leader du PTr et son puissant bailleur de fonds (la BAI). Après Heritage City, le remuant ministre de la Bonne gouvernance semble n’avoir plus rien à perdre. Bérenger, lui, essaie savamment de brouiller les cartes en soufflant le chaud : «ce n’est pas un Budget de relance économique» et le froid : «ce Budget contient des mesures intéressantes». Bien sûr, il y a des nuances dans ce qu’il dit, comme dans tous les dicours, mais l’homme de la rue est perdu en écoutant le leader de l’opposition et ses innuendos, surtout quand il apprend que les Jugnauth l’applaudissent pour son discours de 20 minutes ou ses PNQ relativement lisses sur le CSR ou la fièvre aphteuse, ou que le conseiller spécial de Pravind Jugnauth l’a rencontré, en toute discrétion, pour discuter. Quant à Ramgoolam, son meilleur agent pour un retour sur la scène est devenu sir Anerood Jugnauth. L’incapacité de celui-ci à trancher entre Lutchmeenaraidoo et Bhadain, puis entre celui-ci et le tandem Pravind Jugnauth/Gérard Sanspeur, ainsi que son âge avancé, lui ont valu ce surnom peu enviable : «Puppet Prime Minister».

Question : qui sont les marionnettes de notre histoire commune ? Les politiciens avisés ou le peuple divisé ?

Et si l’opinion publique sortait, enfin, de sa léthargie ? Face à la déferlante d’affaires et des politiciens avec leur moralité qui semble ne pas remplir leur ventre (un peu normal puisqu’elle vaut quatre sous), resterons-nous assoupis ?

Nous serons coupables si on laisse le cancer qui ronge notre pays se propager, au-delà du temps, jusqu’aux générations futures. Contrairement au siècle dernier, aujourd’hui, le cancer se soigne. Paul Bérenger le sait : non seulement on guérit de plus en plus du cancer, mais on identifie mieux les facteurs de risque. Et, après le règne quasi sans partage des Jugnauth et des Ramgoolam, on devrait avoir suffisamment de recul pour isoler les mauvaises cellules qui tendent à se développer de manière exponentielle ou anarchique...