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Diego: les vraies questions
La situation reste essentiellement la même : une réelle faute humanitaire, lancinante et purulente perdure à Diego Garcia. Les victimes ne sont pas tant mauriciennes que chagossiennes. Même si les habitants des Chagos n’étaient pas des propriétaires terriens, détenteurs de titres de propriété, ils ont été arrachés de LEUR terre, de leur savoir-faire, de ce qu’eux-mêmes décrivent comme leur douceur de vivre. Et grâce au cynisme conjugué des Anglais, des Américains et des leaders politiques mauriciens de l’époque (SSR en tête), ils ont été déportés qui à Maurice, qui aux Seychelles, qui à Londres pour les vulgaires intérêts… des autres! L’indépendance de SSR a ainsi été troquée contre les «besoins de défense» de l’Ouest et les victimes collatérales en ont été… les Chagossiens! Cette injustice, masquée par des subterfuges les uns plus désolants que les autres et envenimée par un cynisme effrayant («Man Fridays», «these islands need to be sanitized», «Tarzans», «We are able to make up the rules as we go along », la farce de la Marine Protected Area – avec une base militaire au beau milieu ! – révélée par Wikileaks en 2010, le «Order in Council» de 2004… etc), reste une sacrée injustice. Pire ! Chaque année qui passe voit la liste des victimes directes être imparablement raccourcie. Par la mort! Bientôt, il ne restera plus de victimes directes. Pense-t-on, dans certains salons feutrés, qu’à ce moment-là, il n’y aura plus d’injustice non plus ? Et que la question sera ainsi réglée ?
Les compensations payées, toutes acceptées dans le désespoir profondément creusé par la déportation et possiblement reconnues, en ces circonstances difficiles, «in full and final settlement», n’étaient évidemment pas capables de tout régler! Dans un registre un peu différent, on offre ces jours-ci des «compensations» aux éleveurs de bétail ou de cabris qui subissent la fièvre aphteuse. Vous pensez qu’ils peuvent refuser ? Ils n’ont pas le choix ! Mais pourront-ils, par contre, vivre décemment et dignement pendant les prochaines années ? Je parie que s’ils avaient un CHOIX, ils choisiraient plutôt un nouveau troupeau, sain et vacciné, plutôt que de l’argent. Mais on ne leur a pas offert ce choix ! Les plus forts, les plus malins ont décidé pour eux. Comme pour les Chagossiens, ils n’avaient pas voix au chapitre.
Le week-end dernier, je me suis entendu dire par un membre du Parlement britannique, par ailleurs charmant et à la carrière légale brillante, que le rapatriement des Chagossiens est «déraisonnable» parce que trop coûteux. Il faut s’entendre! Il n’y a aucune raison de trop dépenser ! Si des îlois peuvent vivre à Agaléga ou à St.-Brandon, de leur libre arbitre, on doit pouvoir le faire à Peros Banhos, que diantre! D’autant que, juste à côté, le gendarme du monde possède des hôpitaux dernier cri, un signal satellitaire pour la télé ou l’Internet, des bouteilles d’eau s’il venait à en manquer au puits d’eau saumâtre… Les standards étudiés par KPMG peuvent, en effet, s’ajouter à plusieurs dizaines de millions, mais ils sont au moins partiellement superflus. Et si on commençait par le commencement, avant qu’ils ne crèvent tous : donnez-leur le droit de retour, en leur dessinant avec précision ce vers quoi ils retournent – des maisons en dur, un dispensaire, une navette rapide et une radio pour contacter Diego en cas de besoin, une chambre froide, une chapelle (que le «chaplain» de Diego peut visiter une fois la semaine, sans trop se fouler la rate ?), une liaison maritime vers Maurice pour exporter le poisson et quelques bungalows (même sommaires pour des visiteurs amateurs de nature et de pêche…) et voyez s’il reste une demande concrète. Cela fait presque 50 ans que ce péché a été commis. Ce n’est toujours pas assez pour faire son mea culpa et assumer sa pénitence ?
«D’AUTRE PART, HORMIS QUELQUES GROUPUSCULES, LA GRANDE MAJORITÉ DES MAURICIENS EST PROBABLEMENT INDIFFÉRENTE À LA QUESTION DE LA BASE AMÉRICAINE À DIEGO OU, AU MIEUX, EST POUR. LÀ N’EST PAS LE PROBLÈME.»
Reste alors la question de souveraineté nationale et de realpolitik. Diego nous appartient, si l’on se base sur la résolution 1514 des Nations unies. D’autre part, hormis quelques groupuscules, la grande majorité des Mauriciens est probablement indifférente à la question de la base américaine à Diego ou, au mieux, est pour. Là n’est pas le problème. Sir Anerood, selon les Anglais, a longtemps tergiversé à ne pas répondre aux invitations au dialogue dans le sillage du jugement de mars 2015 sur le MPA à Diego (dont, notamment à une lettre conciliante de David Cameron). SAJ, dans sa déclaration au Parlement le 17 mai, parle, lui, de lettres diverses et de deux réunions de travail le 09/11/2015 et le 11/05/2016 et évoque neuf sujets de discussion avec «hardly any progress». Il réclame des Anglais, avant le 30 juin 2016, une date précise pour le retour de Diego sous juridiction mauricienne, faute de quoi Maurice agira sur le plan international, y compris aux Nations unies. C’est une menace claire. Elle est inélégante, mais on la comprend face aux mensonges et aux manœuvres des 50 dernières années. Le communiqué conjoint anglo–américain de fin juin 2016 n’était pas, en fait, le début du cercle vicieux, mais seulement la réponse à la déclaration guerrière du PM au Parlement le 17 mai 2016. Mais elle alimente le feu, en menaçant aussi. On voit bien que l’on a maintenant enclenché la vrille infernale où personne ne veut perdre la face. Le courage de SAJ est admirable, mais si les anglo-Américains punissent Maurice, comme ils menacent de le faire, qui va payer? Le leader ou le peuple? Et regardons quand même où l’indignation de Mugabe aura mené le Zimbabwe, par exemple !
Il n’est pas question de perdre notre dignité dans l’affaire, mais le Premier de nos ministres aurait intérêt, maintenant qu’il a fait voir à quel point la question lui importe (la motion est présentée à la session du 13 septembre?), de considérer la suspension de son action onusienne de quelque six mois, s’il y a, maintenant, une offre «digne et sincère». Au-delà d’une initiative forte en faveur de nos cousins Chagossiens, cette offre doit aussi trouver un moyen d’imbriquer, désormais plus solidement, les intérêts et les opinions de Maurice. Si les Américains, sur leurs bases étrangères**, peuvent tolérer les «indigènes» aux Philippines, en Turquie ou au Japon, que trouvent-ils de si difficile avec les «indigènes»propriétaires ultimes des Chagos, qu’ils occupent? Stuart Barber, citoyen américain et architecte véritable de cette base au milieu de l’océan Indien, écrivait avant sa mort que l’expulsion des Chagossiens n’était «pas nécessaire du point de vue militaire» et souhaitait vivement que l’injustice causée soit redressée. Bien évidemment ! Et il est peut-être temps et nécessaire de traiter l’île Maurice aussi en partenaire. Au moins circonstanciel… Car les temps changent !
Après tout, s’il est indéniable que les Anglo-Américains ont les moyens économiques et militaires d’imposer leur Guantanamo de l’océan Indien, pourquoi souhaiteraient-ils, simultanément, nous transmuer en… Cuba en nous punissant? Pour venir, comme Obama, dans encore 50 ans, tenter de recoudre les morceaux déchirés par eux-mêmes au départ ?
** The Economist du 13/08/16 nous apprend que pour un budget d’environ 100 milliards de dollars, les États-Unis gèrent, à l’étranger, presque 800 bases dans… 70 pays différents.
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