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Électrochoc
Souvent, pour justifier le relèvement de ses prévisions de croissance, Statistics Mauritius évoque la mise en application des mesures budgétaires. Cela a été notamment le cas en mars dernier où référence avait été faite au grand oral de Vishnu Lutchmeenaraidoo pour soutenir les projections de 3,9 % pour 2016. Or, l’histoire nous la connaissons depuis le temps qu’elle nous est contée. Comme Godot, la reprise se fait toujours attendre.
Se pose alors la question : pourquoi l’État peine-t-il à transformer ses multiples annonces en projets ? Au fil des années et de changements de gouvernement, la réponse est devenue évidente : l’absence d’une structure dotée de tous les pouvoirs pour veiller à ce que les décisions politiques soient exécutées efficacement.
L’attention des pouvoirs publics a d’ailleurs été attirée sur ce manquement de taille. Dans un rapport lié au décaissement d’un prêt au développement, la Banque mondiale avait établi un constat des plus cinglants. Selon l’institution, le fait que des retards sont systématiquement enregistrés lors de la mise en chantier des projets d’infrastructures se reflète dans la faible utilisation du budget de développement. «Cela ne démontre pas uniquement que les ressources financières sont inadéquates, mais est également révélateur des faiblesses institutionnelles et humaines s’agissant de l’implémentation», souligne l’institution de Bretton Woods.
Or, dans notre cas, le nerf de la guerre c’est justement l’investissement. Alors que le privé se montre dur d’oreille face aux nombreux appels des autorités – en témoigne le taux d’investissement de 13 % du PIB –, il incombe à l’État de prendre le relais afin de sortir l’économie de son état de piétinement avancé. Une tâche qui s’est avérée herculéenne jusqu’ici malgré les dotations budgétaires se calculant en milliards de roupies pour le développement infrastructurel.
La preuve : le taux d’implémentation des investissements publics a été de 59 % seulement en 2015-16. C’est ce que révèle la firme d’experts-comptables PwC dans un document intitulé : «Are we shaping our future?». PwC relève que sur les Rs 27,1 milliards budgétisées pour l’année fiscale, l’État n’a dépensé que Rs 11,2 milliards.
Si besoin est, ces chiffres viennent renforcer l’analyse de la Banque mondiale. C’est d’ailleurs l’une des plus virulentes critiques formulées par le chef de l’Opposition, Paul Bérenger, contre l’ancien ministre des Finances, Vishnu Lutchmeenaraidoo. Bérenger reprochait à ce dernier d’avoir sacrifié le budget de développement au profit des dépenses courantes. Résultat : la croissance n’a été que de 3,1 % l’an passé. Cela, alors que l’institut des statistiques annonçait le 31 mars 2015 que : «on the basis of information gathered on key sectors of the economy, past trends, and measures announced in the budget, GDP/GVA at basic prices is forecasted to grow by around 4.1% in 2015…»
Mieux, l’agence de l’État avait aussi prédit un rebond du secteur de la construction en se basant, tenez-vous bien, sur les «major public and private investment projects announced in the budget (such as Bagatelle water treatment and associated works, road improvement and upgrading, land drainage, replacement of water pipes, air and sea transport infrastructure at Agalega, IRS/RES and other private megaprojects).» Évidemment, il n’en fut rien. Pire, au lieu du rebond, la construction s’est contractée par 4,7 %. Un plongeon que Statistics Mauritius attribue aux retards dans la mise en œuvre des projets d’infrastructures.
Cette situation n’est pas nouvelle. Nous la vivons depuis quelques années déjà. Contrairement à d’autres pays, la raison ici ne se résume pas uniquement au besoin de se présenter aux bailleurs de fonds comme le bon élève de la classe donc on coupe les dépenses d’investissement. Non, à Maurice malheureusement nous souffrons également de l’incapacité chronique des gouvernements à ouvrir les chantiers. Qui ne se souvient pas de l’engagement de transformer Maurice en un vaste chantier ?
Pourquoi en sera-t-il autrement avec Pravind Jugnauth comme ministre des Finances ? Ce n’est certainement pas un énième comité qui changera la donne car même celui de haute instance chargé d’actionner la Vision 2030 n’a pas encore fait ses preuves. Cela veut tout dire ! Le mal est beaucoup plus profond qu’on ne l’imagine.
La bureaucratie a besoin d’un électrochoc. Faute de quoi, on se retrouvera une fois de plus à se morfondre des delays observed in the implementation of public investment projects à la fin de la présente année financière pour expliquer les ratés sur le plan de la croissance. À moins que le ministre des Finances se décide à mettre au pas cette mafia – le terme est à la mode – qui a noyauté les départements et agences du gouvernement au point d’en bloquer l’efficience, voire le fonctionnement. Une manière de faire avancer son agenda. Il est inconcevable qu’en 2016, nous continuions à poursuivre dans cette voie.
Certes, nous pouvons être d’accord ou pas avec Paul Bérenger, mais il faut reconnaître qu’il avait vu juste lorsqu’il s’était retrouvé aux affaires en 2000. À Maurice, l’exécution des décisions repose sur un full-time monitoring. D’où sa démarche de présider une série de comités en dépit des critiques. Une instance bien réglementée, dédiée à l’implémentation et dotée d’indicateurs de performance pourrait être une force motrice de la croissance économique dans la présente conjoncture.
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