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Ne soyons pas bernés par l’Indice Mo Ibrahim

6 octobre 2016, 07:36

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Faut-il se réjouir si Maurice caracole, depuis dix ans, en tête du classement Mo Ibrahim – qui mesure la régression ou la progression de la bonne gouvernance sur l’ensemble du continent africain ? Selon le dernier rapport de la fondation du milliardaire anglo-soudanais, publié cette semaine, quelque 70 points sur 100 séparent le meilleur élève (Maurice) du dernier de la classe (la Libye) ; les 52 autres pays se retrouvant entre ces deux extrêmes.

Y a-t-il de quoi festoyer si on fait mieux, selon l’Indice Mo Ibrahim, que le Zimbabwe, où Robert Mugabe s’est auto-boulonné sur le fauteuil suprême, ou encore le Burundi, où le président Pierre Nkurunziza, en briguant de force un troisième mandat en 2015, a provoqué une crise politique majeure, dans un bain de sang ?

D’ailleurs n’oublions pas, pour commencer, que le classement 2015 est basé sur des données du temps du régime de Navin Ramgoolam – un régime qui a été sanctionné par l’électorat aux dernières législatives – et qui a souvent été plébiscité par Mo Ibrahim, qui aime bien Maurice et ses palaces.

Il ne faut pas, alors que nous allons bientôt assister au passage de témoin entre les Jugnauth, se laisser bercer, ou berner, par des indices favorables comme celui de Mo Ibrahim, voire celui sur la compétitivité de la Banque mondiale. Notre triste réalité c’est que Ramgoolam père et fils comptent 28 ans comme Premier ministres alors que sir Anerood Jugnauth, qui a été à la tête du pays pendant un total de 19 ans, compte léguer le bâtiment du Trésor à son fiston et ce, sans passer par des élections !

Tout en reconnaissant les bonnes intentions de Mo Ibrahim, qui dépense sa fortune au nom de la bonne gouvernance, de plus en plus d’experts travaillant sur l’Afrique s’interrogent sur la pertinence et la méthodologie de ce type d’indicateurs. Les politologues insistent sur le fait que «la bonne gouvernance» (notion subjective à souhait) doit se fonder sur une réflexion philosophique préalable, faute de quoi les indices vont rester irréalistes. Ces indices comparent des pays qui n’ont pas les mêmes ressources, les mêmes systèmes politiques ou électoraux, quand ils ne mélangent pas des données de liberté de la presse, de santé publique, d’éducation, de rapports économiques, de droits, de culture… Bref un véritable fourre-tout!

Le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz a souvent critiqué ce type d’indice qui tente d’évaluer «les performances d’un conducteur en agrégeant en une seule valeur la vitesse d’un véhicule et le niveau d’essence… et pourquoi pas l’âge du capitaine ?». Selon lui, cette manière de réduire, sans l’expliciter, la complexité de la notion de valeur à des indicateurs quantitatifs de performance ne peut pas s’appliquer à l’Afrique, car elle procède d’une sorte de mondialisation dans la manière de penser le monde. Or, l’Afrique, en raison des cicatrices historiques, a une autre temporalité.

Un autre facteur qui ne joue pas en faveur de Mo Ibrahim c’est le troublant fait que l’aide au développement d’un pays ou d’une sous-région demeure, souvent, teintée d’opacité. Dans un article paru quelque temps de cela dans le journal Le Monde, on faisait ressortir que Maurice, le Botswana, les Seychelles et le Ghana, qui sont dans le peloton de tête, sont, dans une large mesure, considérés comme des pays à fiscalité opaque. «Les autres pays africains doivent-ils se lancer dans une course effrénée à la compétition fiscale pour attirer les entrepreneurs, se transformer en “autoentrepreneurs” dans le marché compétitif des paradis fiscaux, des moins-disant sociaux ?», questionnait l’article.

Notons, enfin, que les sept premiers pays au classement de l’Indice Mo Ibrahim (Maurice, Cap Vert, Botswana, Afrique du Sud, Namibie, Seychelles, Ghana) présentent, chacun à sa façon, de fortes inégalités de revenus parmi leurs habitants. Si la bonne gouvernance est un voeu pour établir une juste répartition des richesses au sein d’un pays, alors l’Indice Mo Ibrahim se voile, ni plus ni moins, la face sur ce plan aussi, d’où notre scepticisme.