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Ce qui nous aspire vers le bas

19 novembre 2016, 07:00

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Le départ d’Obama de la Maison-Blanche et son remplacement par Trump marquent la fin d’une ère à bien des égards. On ne parle pas de vision économique ou de stratégie politique ici. On parle du langage, tout simplement. Du discours public. Du choix des mots. «Rhetoric, the study of the theory and practice of public language, was once considered the queen of humanities. Now she lives out her days in genteel obscurity. We have to make the case for putting her back on the throne», soutient Mark Thompson, CEO du NewYork Times, dans son excellent ouvrage «Enough said : What’s gone wrong with the language of politics?»

Dans un monde où les infos sont distribuées au millième de seconde près, où chacun donne un avis (éclairé ou pas) sur sa page Facebook, l’authenticité se perd forcément, les faits se diluent, l’essentiel s’égare et les palabres prennent le dessus, analyse Thompson. «We saw it in the Brexit campaign; we are seeing it, multiplied a hundred-fold, in Donald Trump, who seems hell-bent on proving the old showman Phineas T. Barnum’s huckster maxim : ‘there’s a sucker born every minute.’ Fact-check Trump’s assertions, damn them as non-sense, and to what effect ? None. If authenticism demands a populist coarseness, then why not. Contrived? Quite probably. But it works.»

Aujourd’hui, l’argument compte de moins en moins que l’histoire colportée par des tweets. Un vulgaire clip «vire mam» peut faire chavirer tous les bien pensants de Maurice. Nous sommes réduits à cela. On est impuissant. L’accessoire devient le mode de vie. Peu importe si c’est vrai ou pas, le politique met l’accent sur son message essentiel afin de formater l’opinion qui conforterait son action et son pouvoir.

Exemple tout bête : hier, Lepep nous serinait les oreilles avec l’égalité des chances ; aujourd’hui, le pouvoir nous dit : pa atak nou fami ! Soornack a changé de visage. Mais ce qu’elle incarne perdure royalement. L’intolérance, ici comme ailleurs, est en marche. Lepep a oublié ses promesses et réincarne les mêmes travers qu’il dénonçait. C’est pour cela, en grande partie, que les politiques attirent de moins en moins de sympathie.

Obama a connu une ascension inédite grâce à la puissance de son verbe. Il incarnait l’espoir d’un devenir meilleur pour l’homme et la femme, quel que soit notre hasard de naissance. La politique a ainsi repris du gravitas. La diversité n’était plus perçue comme un problème, mais comme un «asset». Trump est, lui, venu déchaîner les passions (des féministes, entre autres) à cause de son langage grossier et sa politique de rupture. La diversité est redevenue un problème à gérer. Il a adapté le Brexit à la sauce McDo en misant sur l’envie croissante d’une bonne partie des Américains de se replier sur soi – loin des tribulations d’un monde en déliquescence. Au pouvoir, il a vite fait de déchanter. C’est bien plus facile de crier dans un micro que de diriger un pays comme les États-Unis. Le fantasme du bouton nucléaire n’est qu’un fantasme.

En France, où le populisme version Le Pen s’épanouit dans le lit douillet du terrorisme, six citoyens sur dix accueillent favorablement la candidature d’Emmanuel Macron, un homme qui se veut du «centre», ni à gauche, ni à droite, loin des extrêmes. Et qui a l’ambition, s’il est élu l’an prochain, de «réancrer Trump dans le camp de l’occident, du progrès et des droits de l’homme».

En attendant, avec la sortie de scène d’Obama, les yeux sont obligatoirement rivés sur Angela Merkel, dont la cote de popularité est au plus bas en Allemagne en raison de sa politique migratoire jugée trop généreuse par les nationalistes. À bien voir, elle seule peut désormais faire la balance face à Trump, Poutine, Erdogan. Selon Timothy Garton Ash, professeur à Oxford, il faut espérer que Merkel obtienne un quatrième mandat en 2017 afin qu’elle puisse assumer ce rôle nécessaire de leader du monde libéral. «Elle est peut-être le dernier rempart capable d’éviter que l’Europe ne se fasse dévorer en son coeur.»

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À travers le monde, on constate beaucoup de colère contre les élites politiques – incapables de répondre aux aspirations plurielles de leur électorat fragmenté. Selon l’Edelman Trust Barometer, qui mesure le degré de confiance en gouvernements, médias et ONG dans 28 pays, la désillusion est en croissance nette. «In both America and Europe, near-term desillusion with mainstream politicians – caused by their failure to do anything about income inequality or to punish anyone after the financial crash, by rising anxiety about globalisation and immigration, and by the bitter residue of the war in Iraq – have exacerbated and accelerated adverse trends in our political systems that were already causing concern.»

Les mots sont gratuits et chaque politicien en abuse, sans toujours penser aux conséquences de ses paroles, au sens des mots. À travers les siècles, les paroles ont influé sur le cours des choses : la paix, la guerre, le progrès, l’égalité, l’équité sont tributaires des mots employés. Et, partant, sur la vie des gens ordinaires, comme vous et moi. On va bientôt nous balancer les travaux parlementaires en direct. Pensez-vous que nos enfants vont en bénéficier ? Que cela va rehausser le niveau des langues parmi les étudiants – ou au contraire on va aller vers un nivellement par le bas, au ras des pâquerettes de Mahen Jhugroo et consorts ?

Si vous voulez, comme moi, vous infliger une peine face à nos élites politiques : lisez l’excellent rappel historique par Swalay Kasenally,  de ce qu’était la qualité des hommes et femmes au Parlement, avant 1982, pour réaliser à quel point on est tombé bien bien bas, au fil des alliances et des législatures qui se sont enchaînées sur l’autel de la realpolitik. Il faut rompre avec cette tradition électoraliste. Et monter en gamme. Si on veut vraiment sortir de la médiocratie actuelle, il faut remplacer des Duval, Collendavelloo et autres Gayan, qui tètent les dynasties actuelles pour jouir du pouvoir, par des Sheila Bunwaree et des Roukaya Kasenally, par exemple… qu’en pensez-vous ?