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Le métissage, cette force économique

7 janvier 2017, 14:00

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Au-delà de la politique bien de chez nous, qui est un soap opera interminable depuis notre indépendance (avec nos sempiternelles familles dynastiques au fonctionnement clairement dépassé), les bien-pensants du pays semblent être globalement d’accord que ces deux dernières années ont surtout été du gâchis sur le plan économique. Des promesses, des espoirs, des votes ont volé en éclats sur l’autel de la ‘realpolitik’; notre ‘realpolitik’ étant cette tragédie mi-grecque, mi-mauricienne qui nous étouffe lentement mais sûrement.

La confiance est ébranlée au sein du public ; le miracle, certains n’y croyaient pas vraiment dès le départ, mais maintenant on n’y croit plus du tout. Et dans la rue, désespérément, ou pathétiquement, on parle de plus en plus de prochaines alliances, et on tend à oublier l’essentiel : notre développement économique et social dans un environnement mondial dynamique, compliqué et incertain. On parlait hier, en éditorial, du «pari économique» de Pravind Jugnauth. Beaucoup d’internautes ont, alors, souligné que ce challenge économique dépasse largement la personne du leader du MSM. Ils n’ont pas tort.

Nos distractions politiciennes risquent de nous coûter cher si le pays ne se reprend pas en main et s’invente un nouveau modèle économique réaliste et réalisable. Au lieu de faire des calculs machiavéliques pour consolider ou déstabiliser le pouvoir, les politiciens feraient mieux de se focaliser – enfin – sur l’économie, plus précisément sur ce dont nous avons besoin pour passer à un palier supérieur, en termes de revenus.

Il nous concerne tous, en effet – le développement de notre pays. Mais que comprend-on par développement ?

C’est la culture dominante de par le monde : la notion de développement est souvent réduite à celle de la croissance économique. Chez nous, on tente de se hisser laborieusement à un taux de 4 % – ce qui n’est guère suffisant pour atteindre les objectifs de développement fixés, notamment sur le plan des marqueurs macroéconomiques. Face à l’hésitation du secteur privé traditionnel devant les turbulences politiciennes, le gouvernement se voit contraint d’investir massivement pour faire démarrer les gros chantiers – dans l’espoir que cela va requinquer la machinerie économique qui roule au ralenti depuis trop longtemps. À cause des secousses au sein de son alliance, le 2e miracle économique, sous SAJ, est aujourd’hui devenu mirage, au soleil couchant.

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La complexité du développement est telle que l’on doit pouvoir se hisser au-dessus des considérations partisanes ou claniques – si on veut vraiment sortir la tête de l’eau agitée et être compétitif. C’est une façon réaliste et, hélas, cynique de concevoir notre monde – notre regard doit pouvoir se détacher davantage de la petite actualité de la semaine – le PMSD va-t-il perdre des plumes ? Le MSM aura-t-il 52 députés, est-ce que le ML va imploser ? – pour se focaliser sur plus grand, soit l’essentiel, le réel – et non pas le factice, l’illusoire.

Une économie comme celle de Maurice ne peut fonctionner sans une stratégie nationale pour faire émerger un réservoir de personnel hautement qualifié dans divers domaines, une dose d’innovation technologique et partant une productivité améliorée. Mais on ne va jamais y arriver si le milieu culturel n’y est pas préparé comme il se doit. Si, au nom d’un multiculturalisme ringard, on persiste à nommer des Gowressoo ou des Baboo à la Culture, on n’ira pas loin. Si on doit compenser la perte de Baboo par Ganoo, on va continuer à patauger au ras des pâquerettes ethniques, qui nous retiennent en arrière, dans un état obsolète.

Ignacy Sachs, directeur d’études honoraire à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, explique que l’idée de développement s’est peu à peu complexifiée pour se transformer en un concept pluridimensionnel grâce à l’importance grandissante des dimensions sociale, politique, culturelle et environnementale face à la dimension purement économique.

Ce n’est que sur le tard que les Nations unies ont commencé à travailler avec le concept d’«éco-développement», rebaptisé par la suite «développement durable» – un mot galvaudé et rabâché par nos politiques. «Il n’est pas légitime de parler de développement si la croissance économique est accompagnée de détériorations au niveau de l’emploi, de la pauvreté et des inégalités sociales.» Un constat important à l’ère des smart cities.

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Une géniale anthropologue parisienne, Julie Peghini, va lancer un livre important le 17 janvier. Le livre Île Rêvée, Île Réelle, Le Multiculturalisme à Maurice est une édition de sa thèse, réalisée à Maurice il y a quelques années de cela. Selon Suzanne Chazan-Gillig, qui a codirigé la thèse avec le socioéconomiste Philippe Bouquillion, la posture de recherche de Julie Peghini : historique, anthropologique, politique et économique est «courageuse». «Autant dire que Julie Peghini a déplacé le regard sur la société mauricienne au multiculturalisme avoué de manière à reconstituer l’histoire d’un concept, le ‘mauricianisme’ – notion dont le contenu a varié au cours du temps (…) Elle représente pour l’auteure la matrice de la domination de l’État colonial et des inégalités sociales qui perdurent, voire se creusent avec la mondialisation…»

Julie Peghini va ouvrir, dans les milieux des chercheurs en sciences sociales, une boîte de Pandore, loin du mauricianisme d’hier, qu’on se refuse à réinventer… Pourtant, le monde a bel et bien changé. Et le métissage est davantage qu’une bien belle réalité, il est une force économique qu’on néglige. Ouvrons les yeux !