Publicité

DOIT-ON DOUTER DE TOUT ?

26 février 2017, 09:10

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

lexpress.mu | Toute l'actualité de l'île Maurice en temps réel.

Dans un pays normal, les biscuits de Sheila Hanoomanjee auraient pu ne pas soulever ne serait-ce qu'un de nos sourcils.  

 Dans un pays «normal»  tout le monde aurait sa chance égale de gagner un contrat au Duty Free Paradise, d’aspirer au poste de chancelier à l’université de Maurice, de devenir directrice de l’IBA, de ne pas payer ses loyers d’Airway Coffee, d ‘«oublier»  de payer sa note de clinique chez Apollo, de bénéficier d’un lopin de terre sur la plage publique de Trou-aux-Biches pour construire un restaurant, de voir la route devant son industrie être asphaltée, de ne pas se voir éjecter de son poste au motif d’avoir tenté de discipliner un cadre protégé par une cuisine bien particulière….

 

Mais nous ne sommes pas dans un pays «normal», largement régi par l’équité, l’egalite des chances et la méritocratie. Depuis plus de 50 ans, nous avons des partis politiques à la tête du pays qui, invariablement, voient l’Etat comme une occasion de protéger «mo banne», parfois sa famille politique, et dans sa version plus pernicieuse et beaucoup plus étroite, sa famille biologique. Même le MMM, le parti le plus propre de la bande, a perdu sa virginité, entre autres, avec Alan Ganoo accordant, un jour, un bail de terrain à sa maîtresse... Il faut aussi punir ceux qui ne se conforment pas aux désirs du prince, bien entendu !

 

Cette valse vers l’enfer a sans doute commencé modestement, peut-être avec les bourses d’étude que l’on accordait plus «aux siens» qu’aux autres, les occasions de voyage et de per diems focalisés vers ses préférés, les occasions de promotions diverses… Rapidement, le dévergondage amplifiait. Le festival de la terre au cours duquel on distribuait ouvertement – sous le prétexte du développement –de multiples baux à des mignons du PMSD (qui les revendaient souvent par la suite) fut sans doute une étape particulièrement criarde. S’ensuivait alors régulièrement, grâce au jeu de la démocratie électorale, sans renouvellement de direction politique – sauf dynastique – le règne de deux familles, les Jugnauth et les Ramgoolam. Quelles qu’aient pu être leurs promesses électorales – notamment leurs promesses mensongères sur la méritocratie ! – ces deux familles s’évertuaient, une fois arrivées au pouvoir, à «arracher les mauvaises herbes» des autres, à planter les leurs et puis à «protéger leurs montagnes», dans un cercle vicieux qui frise aujourd’hui la démence ! 

 

Entendons-nous : tout nouveau gouvernement a le droit de demander de nommer les hommes et les femmes qu’il aura choisis dans les postes clés. Les milliers d’emplois qui se renouvellent ces jours-ci aux Etats-Unis sous le mandat Trump en sont l’illustration, MAIS il y a la manière et il est des normes. La compétence doit primer en toutes circonstances. Certains postes qui, dans le respect de la séparation des pouvoirs, demandent des hommes capables d’indépendance d’esprit, doivent être particulièrement soignés si l’on veut fédérer au-delà de ses militants. C’est ainsi que les présidents qui se respectent, plutôt que de ne nommer que des partisans ou des bailleurs de fonds directs, nomment au moins quelques hommes ou femmes reconnus par tous, idéalement des personnes de l’autre camp ou, à défaut, des personnes affirmées dans l’opinion publique comme des esprits libres et indépendants !  Un exemple parmi d’autres : Robert Gates, le secrétaire de la défense de George W. Bush (2006-2009) fut aussi nommé, sur la base de sa compétence, au même poste, par Barack Obama (2009-2011). Chez nous, cependant, Lepep avait promis, sans trop réfléchir et peut-être démagogiquement, des appels à candidatures tout azimuts pour convaincre  de son «sincère» désir de pratiquer la méritocratie et finissait par faire grossièrement le contraire ! 

 

 Cette valse folle de nominations et de protection de parents, amis et connaissances contient évidemment son propre poison : quand un nouveau gouvernement arrive, il ne souhaite pas travailler avec les protégés du gouvernement précédent, les arrache donc et installe ses protégés à la place. Dans cinq ans, c’est la valse contraire (exception faite des puces qui parviennent à changer de chien !). Mme Soornack ne peut donc faire affaire que sous un gouvernement rouge. Il est probable que Sheila Hanoomanjee ne peut pas, alors, accéder au Duty Free Paradise. On peut reprocher la «protection»  des siens par un gouvernement, mais l’argument imparable des derniers arrivés au pouvoir c’est que l’on n'a pas le droit de ne pas profiter parce qu’alors quand le gouvernement changera, «les nôtres» seront pénalisées une deuxième fois ! 

Et c’est ainsi que tout est pourri et qu’une bonne partie du pays, comprenant les opposants ainsi que les «sans opinions» qui s’efforcent de faire un choix tous les cinq ans, n’opère, en permanence, qu’avec une narine car elle n’a pas un cordon ombilical avec le pouvoir. Le pays n’arrive ainsi que très rarement à mobiliser toutes ses forces dans un objectif commun et  national. Autre conséquence : on soupçonne le mal partout, tout sent la conspiration, le frelate, la déliquescence. C’est vrai que c’est souvent le cas, mais on a tendance, en passant, de remplacer la présomption d’innocence par …la présomption de culpabilité, ce qui mine le 3e pouvoir et constitue une dysfonctionalité nationale de plus. C’est grave, parce que les gens honnêtes, et disciplinés, se découragent d’être amalgamés avec cette masse informe de déliquescence à la tête du pays et regardent parfois vers l’étranger. Les jeunes, constatant la pourriture et les chances inégales, ne retournent pas. Le «trou noir» de la pourriture finira par aspirer tout …

On ne s’en sortira pas sans un grand coup de balai et un changement de direction fondamental qui nous libérera de cette valse infernale des deux familles qui nous mène tout droit à la situation des deux bégums parasitaires du Bangladesh. Vous voulez du Bangladesh comme modèle de société, vous ?

Si on veut s’en sortir, il faut puiser l'espoir de l’initiative de Mesdames Kasenally, Bunwaree, Dookhony qui imaginent un «Mauritius Society Renewal» qui fédère le pays plutôt que de le laisser aux mains de deux familles s’appuyant sur des organisations socioculturelles «ki fer elektion» (voir la demie bulle de l’express du vendredi 24 février, page 5) et aspirent à garder le PM dans un «guest house» à Grand-Bassin. En boutade ?

 

En attendant,  vu l’état de la nation, il faudra douter de et enquêter sur tout ! N’est-on pas au pays où l’on peut faire du «business» en utilisant la photo du domaine d’Eureka sans demander la permission et remballer des biscuits Esko pour revente avec des marges… d’enfer ?  

Ah, l’enfer ! Je ne sais pas si le paradis existe – mais il me semble, ayant écrit cette chronique, que l’enfer a bien besoin d’exister !