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Émotions et futilités

23 avril 2017, 08:37

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On ne pourra jamais raisonner de manière non émotionnelle sur les questions de salaires, de richesse et de succès. On admire le succès, on veut être un succès soi-même, mais quand on ne peut pas, personnellement, concrétiser, on développe souvent du ressentiment, de l’amertume ou même de la jalousie. Bizarrement, on ne jalouse pas ce qui n’est pas juste «à côté». On ne jalouse pas, par exemple, les salaires de Mr Alan Clark, CEO de SABMiller en Afrique du Sud, à Rs 27 millions par mois ou celui de Wayne Rooney à Rs 13,7 millions PAR SEMAINE. Ils ont sans doute des talents un peu rares ?! On ne regarde pas, souvent, au-delà de nos frontières, provinciaux que nous sommes, mais on souhaite tous apparemment que le pays progresse, les salaires avec, vers ce qui se passe ailleurs. Or, si nous épousons la logique des économies libérales, il y aura toujours une pyramide de salaire et il y aura forcément certains au sommet et beaucoup d’autres, talents moins rares, en de moins bonnes positions. Rezistans ek Alternativ a peut-être un point de vue radicalement différent, mais même en régime communiste, Poutine ou le patron de Yukos Oil touchent bien plus que le cheminot du coin… même 100 ans après la révolution d’Octobre !

Une rémunération dépend de plusieurs facteurs. Le pays où l’on se trouve, pour commencer ! Si l’on en croit Bloomberg, par exemple, les salaires des CEO des compagnies cotées en Bourse, dûment pondérés par la capitalisation boursière, sont quatre fois et demie plus élevés aux États-Unis qu’à Hong Kong et 9,6 fois mieux qu’en Malaisie. Le salaire de l’ouvrier de bâtiment suit. Un salaire doit, dans l’idéal, refléter un «mix» du poids des responsabilités assumées et des capacités de l’employé à apporter du résultat. Je ne suis pas en position de dire si Mme Sumputh ou M. Sanspeur valent leurs salaires, mais ce qui est certain, c’est que si leurs revenus mensuels ne sont pas une exagération quand comparés, sans analyse 1 : 1, avec certains salaires du secteur privé, ils suscitent, inévitablement, incompréhension et stupeur quand comparés aux rémunérations moyennes dans le pays – soit Rs 29 360. C’est encore pire si l’on souligne que 72 280 foyers ont des revenus de moins que Rs 12 000 par mois ! Les salaires d’un ministre, allocations comprises, étant à Rs 330 000 par mois et leurs responsabilités étant (du moins dans les ministères «lourds») plus importantes que ceux de Sumputh ou de Sanspeur, peut-on s’avancer à dire que les résultats de ces derniers, mesurés par rapport à leurs KPIs – (ils en ont, ou non ?) – sont à ce point meilleurs ? Remarquez que nous ne parlons pas, ici, des compétences des ministres et encore moins de leurs capacités à «faire du résultat», mais seulement et exclusivement de leurs responsabilités ! C’est ce qui explique d’ailleurs que tous les ministres sont payés la même somme mensuelle ? On sait, par ailleurs, que les revenus de M. Sanspeur sont, eux, consolidés sur neuf fonctions différentes. Est-ce bien raisonnable d’assumer autant de responsabilités ? En outre, remarquons que si la méritocratie était généralement opérante, tant dans le privé que dans le public, les rancœurs auraient été, pour sûr, bien moindres.

 Reste la question de la relativité salariale. On évoque, à ce titre, le fameux coefficient de Gini. Dans une courte analyse de 142 nations faite par «l’express» en novembre 2015, on faisait ressortir que trois groupes de pays se précisaient. Un premier groupe de 22 pays, dont 15 étaient «riches» (PNB/tête>12 746$), était relativement égalitaire et affichait des Gini inférieurs à 0,30. Un deuxième groupe de 61 pays, dont plus de 23 «riches» et dont faisait partie Maurice, affichait des Gini d’entre 0,30 et 0,40 alors qu’un dernier bloc de 59 pays alignait seulement cinq pays riches et avait des Gini de plus de 0,40. Maurice, dont le Gini était à 0,39 en 2006, est passé à 0,41 en 2012. Conclusion ? Un pays peut être riche en étant relativement inégalitaire (exemples : Hong Kong : 0,54 ; Singapour : 0,46 et USA : 0,45), mais la probabilité est qu’un pays qui est riche est plutôt égalitaire. Maurice, rappelons-le, n’est pas encore «riche» et un Gini de 0,41 est loin donc d’être anormal.

   

 

Une autre façon de tacler la même question est ce fameux ratio arbitraire proposé de 40 entre le salaire le plus élevé d’une entreprise et le salaire le plus bas. à mon sens, c’est un exercice futile et inadéquat. Pour exemple : si le salaire du PM (allocations comprises) est de Rs 522 000, faut-il vraiment que le dernier salaire dans le secteur public soit de Rs 13 000 ? Ce serait vraiment bien trop mécanique comme approche et probablement insoutenable de toute façon ! Autre exemple, si nous avions besoin des services spécialisés de Bill Gates et qu’il nous les fournissait pour Rs 10 millions par mois et que le pays en tirait, de son côté, Rs 1 milliard de bénéfices par an, son planton devrait-il toucher Rs 250 000 par mois ? Bien plus raisonnable serait de considérer un salaire minimum qui respecte la dignité humaine, mais ne lamine pas trop l’emploi ! C’est ce dont on parle ces jours-ci et ce ne sera pas de tout repos…

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 On veut des emplois, mais on ne veut pas laisser «kokin nou laplaz» en construisant des hôtels. On veut de l’électricité, mais on ne veut pas qu’on en produise dans son voisinage immédiat. On veut continuer à jeter sa saleté, soi, parfois n’importe comment, mais on ne souhaite pas voir de dépotoir centralisé dans un rayon de 10 kilomètres à la ronde. On ne veut pas voir autant d’étrangers à Maurice, mais si c’est pour lui piquer son argent comme visiteur ou acheteur temporaire, alors c’est OK. On n’est pas contre le Metro Express, mais on ne souhaite pas perdre son terrain de football. On est radicalement contre les «bouchons» de voitures sur la voie publique, mais on ne veut pas mettre de l’asphalte partout pour maculer le paysage. On veut des augmentations salariales, mais pas en contrepartie de meilleure productivité personnelle. On veut être un «high income country» sans travailler plus dur ou être plus discipliné. On aime bien les services «gratuits», mais on veut qu’ils soient évidemment plus performants que les équivalents payants…Aux frais de qui ? 

  «On» rêve !

 Dans la confrontation entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, l’intérêt particulier peut-il jamais gagner ?

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J’ai rencontré, jeudi, une des rares personnes à n’avoir PAS écouté Madame Nandanee Soornack lors de sa conférence de presse. Affichant un léger embonpoint, l’air plutôt distingué et vaguement rêveur, ce monsieur, devant la consternation de ceux qui l’entouraient, semblait dire qu’il avait mieux à faire de son temps, que Soornack relevait seulement des pires frivolités de princes déchus et qu’être ainsi obnubilé par du «people»  en ces temps où la planète (et Maurice !) semble être en mode «death wish» relève d’insouciance, voire d’inconscience. à moins que le chant d’une sirène ne soit une façon élégante et vivifiante de s’évader de la crasse du monde ?