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Signe indien*
Certes, nous sommes à 30 mois des prochaines législatives – d’où ce Budget 2017-2018 qui caresse davantage l’électorat qu’il ne soigne notre avenir économique. Mais nous sommes, aussi et surtout, à neuf mois seulement de nos 50 ans d’Indépendance. Un cap important pour faire notre introspection. Dans les années ’60, l’Indépendance du pays marquait pour une majorité d’entre nous, le début d’un rêve commun. Au-delà du quadricolore et de l’hymne national, c’était l’espoir d’un changement de paradigme et d’une transformation d’une société alors quasi exclusivement bâtie autour du sucre. Le revenu par tête d’habitant était de seulement Rs 1 080 en 1965. Notre main-d’œuvre, alors abondante, intelligente et adaptable, qui ne voulait plus travailler au soleil dans les champs des propriétaires fonciers, représentait une belle opportunité à la fois pour les investisseurs et industriels de l’époque et pour nous comme pays et nation. Le peuple indépendant voulait tenir debout sur ses deux pieds et se frayer une place sur la mappemonde diplomatique. Mais beaucoup de Mauriciens étaient sceptiques, préférant émigrer, car ils pensaient que nos politiciens, qui avaient prolongé la doctrine du «divide and rule», n’allaient jamais pouvoir «rise to the challenges of our ambitions»...
En nous libérant du joug des Britanniques, nos dirigeants avaient cette lourde responsabilité : optimiser l’exploitation de notre nouvelle situation stratégique sur les plans militaire et économique. La Grande-Bretagne ayant eu sa part de gâteau (soit les îles Chagos, qu’elle a partagées avec les Americains au terme d’un sombre ‘security agreement’ conçu en échange des missiles Polaris), plusieurs autres pays de peuplement ou amis des non-alignés se sont bousculés à nos portes pour tisser des traités commerciaux bilatéraux. Outre le sucre, le textile et le secteur financier en ont grandement profité. Mais les traitements préférentiels, contrairement aux ‘security agreements’, ne durent pas éternellement, mondialisation oblige. L’Inde, trop consciente de l’impact qu’aura la fin effective du DTAA sur notre centre financier (dès 2019), nous a d’ailleurs compensés à hauteur de plusieurs dizaines de milliards, entre deux lignes de crédit avec quelques ‘strings attached’. Un ‘one-off’ que certains politiciens brandissent, à tort, comme une avancée historique.
Mais, aujourd’hui, le poids de l’Inde pèse considérablement sur nos finances publiques et notre stratégie nationale de développement. Ce qui soulève, de plus en plus, des craintes relatives à notre souveraineté. Je n’ai rien contre l’Inde, pays de mes ancêtres, mais on oublie souvent que la souveraineté du peuple doit être l’unique base (je ne parle pas, ici, de base militaire) sur laquelle on assoit la République. Dans le Droit de savoir, le journaliste Edwy Plenel, qui a visité Maurice sous l’ère ramgoolamienne, souligne ceci : «La souveraineté du peuple, c’est la nation à l’état abstrait, c’est l’âme du pays; elle se manifeste sous deux formes : d’une main, elle écrit, c’est la liberté de la presse; de l’autre, elle vote, c’est le suffrage universel.»
Chez nous, les dirigeants ont confisqué notre droit de savoir, et, à la place, nous promettent, avant chaque législative, un Freedom of Information Act. Avant notre Indépendance, les Chagos ont été excisées de notre territoire national dans le dos du peuple. L’histoire se répète. La puissance de l’économie indienne semble avoir remplacé le joug colonial des Britanniques : notre Premier ministre, pour boucher les trous béants de notre Budget national, a couru signer un ‘maritime security agreement’ avec l’Inde sans ressentir le besoin de nous révéler les termes de cet accord indo-mauricien – qui, pourtant, engage notre intégrité territoriale. Cela ne peut que créer des doutes.
Pourquoi l’Inde se montre-t-elle si généreuse envers nos leaders politiques ? Et pourquoi ces derniers donnent-ils l’impression d’avoir plus ou moins peur de froisser les Indiens ? Les opposants du gouvernement sont bien moins diplomatiques et autrement plus virulents sur d’autres dossiers pourtant moins stratégiques qu’Agalega ou la dette mauricienne envers la Grande péninsule. Pourtant, l’on chuchote que les Indiens veulent allonger la piste d’atterrissage d’Agalega (pour les avions militaires ?) et aménager un quai (pour navires de guerre et sous-marins ?) et que les Indiens pousseraient pour une utilisation «exclusive» de ces infrastructures agaléennes. En d’autres mots, comme c’est le cas pour les constructeurs de notre projet de métro, seuls les Indiens vont mettre la main à la pâte pour pétrir le gâteau national. Et puis l’on s’étonne qu’ils ne veuillent pas partager le gâteau ?!
Notre ambition avouée est d’accéder au statut de pays à hauts revenus dans quelques années. Dans cette quête, le modèle et les technologies indiens ne devront pas être notre seule référence. Aussi, il faut faire de sorte que l’économie ne soit pas prise en otage par la proximité entre dirigeants politiques et affairistes locaux et internationaux; cette proximité ne fait que fragiliser nos institutions; les affaires BAI, Betamax et Sobrinho n’en sont que des récents exemples de dysfonctionnement…
À bientôt 50 ans, il est temps de réaliser que le revenu par tête d’habitant s’avère une bataille nationale qui ne dépend pas de l’Inde et ce, malgré toute la bonne volonté et les bonnes intentions de celle-ci. Cette bataille nationale dépend uniquement de la production de chaque Mauricien, de sa quantité et de sa qualité de travail, bref de sa productivité sur l’échelle mondiale. Au fond, seuls nous pouvons nous aider. Que ce soit pour rembourser nos dettes et nous libérer des chaînes qui nous relient à nos casseurs modernes afin de nous émanciper, enfin...
*le titre original de cet article, paru dans l'express dimanche, est «Faut-il vaincre le signe indien?»
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