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ESPRIT INDEPENDANT, ES-TU LA ?

2 juillet 2017, 08:53

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Le sujet est délicat, mais important puisqu’il faut parler de régime politique et du bon fonctionnement de la démocratie. 

   

   Les opinions sur la question sont aujourd’hui aussi diversifiées que les cultures hétérogènes développées par l’humanité au cours des millénaires. Cependant, jusqu’à tout récemment, même s’il y avait des variantes, toutes les communautés humaines semblaient être régies par le même modèle : une large pyramide de sans-voix qui tolèrent – disons même qui supportent – une classe privilégiée de chefs, aristocratiques ou royaux, très largement de nature dynastique et sans contre-pouvoir aucun. Ici et là, des régimes théocratiques ou de fortes influences religieuses. Des Aztèques à la dynastie Tang, des Bourbons aux Saud, des Romanov aux Almoravides, le modèle a longtemps semblé aussi solide qu’immuable. Seuls le perturbait, de temps en temps, un régicide ou une révolte de paysans qui avaient faim… Pour consolider le système, on évoquait souvent le droit divin, impassible et toujours muet, mais invariablement effrayant et omnipotent. Si l’idée germait dans Athènes, ce n’est que beaucoup plus près de notre siècle que l’on élargissait la notion du droit universel à la parole, à l’opinion libre et au vote, sans exclusion sur la base de la fortune, du sexe, de la religion ou du degré d’instruction. Naissait ainsi une des idées les plus puissantes des siècles derniers : la démocratie ! Nous aussi avons le bonheur de vivre dans un état a priori démocratique. Cependant, ce bonheur n’est pas un droit acquis et irréversible. Car ce qui est clair, c’est que si on néglige ce privilège, si l’on ne s’en occupe pas, si l’on ne s’engage pas à le bichonner, il peut s’étioler, être kidnappé, voire être dévergondé. Pour vous en convaincre, pensez à l’Allemagne de 1932/33, à la Russie post-Gorbatchev, à la Turquie d’Erdogan, à la Hongrie d’Orban ou même aux tentations impériales épisodiques de chez nous. 

   

   L’ironie est, trop souvent, qu’on ne reconnaît de vraie valeur aux libertés démocratiques que quand elles sont perdues. C’est pourtant à la moindre alerte qu’elles pourraient être menacées qu’il faut s’en occuper, faute de quoi, la passivité s’installe et l’érosion des balises démocratiques peut devenir chronique. Jusqu’au point où une nouvelle royauté s’installe, exactement comme un Bourbon, dans ce qu’elle croit rapidement être son « bon droit « qui ne saurait trop tolérer… le droit et les aspirations des autres ! La question étant bien trop complexe pour en parler en 1 280 mots, on n’en évoquera qu’un seul aspect aujourd’hui. Pierre angulaire du système démocratique : les contre-pouvoirs. «Checks and balances », dirait les Américains ces jours-ci, dûment chatouillés par les velléités de Trump.

  La démocratie n’est pas sans failles et, quand elle marche, elle paraît souvent un peu embrouillée. Pour sûr, elle tâtonne plus qu’en autocratie. C’est le résultat direct d’un pouvoir qui n’est pas monolithique et inattaquable, mais bien au contraire, sujet à des vents antagonistes, à l’opinion publique féconde, aux contre-pouvoirs à qui l’on a confié des tâches bien particulières. Clairement, cette vivacité démocratique ne peut être assurée que s’il y a des esprits libres, beaucoup d’esprits libres, prêts à assumer leurs responsabilités vis-à-vis de la nation et des citoyens. La tentation totalitaire dans notre pays, comme dans beaucoup d’autres, a souvent existé ; les puissances politiques étant invariablement tentées de contrôler les axes décisionnels principaux. Ainsi, une préférence marquée pour des nominations de caniches divers, prêts à danser pour un petit os, le désir de punir ou de contrôler la presse et ce qui est décrit comme ses « fake news », le rêve permanent de pouvoir contrôler les « institutions « , la tentation de cataloguer les avis contraires aux siens comme étant « partisans ». 

   

   La question ne se pose pas ici seulement. Quand une cour de justice déboute Trump, qui est bien loin d’être démocrate, au sens propre comme au figuré, il la trouve évidemment «partisane». Parfois même « trop mexicaine » ! Quand elle va, par contre, dans le sens de ses désirs, ne serait-ce que partiellement, il se déclare « gratified ». Quand James Comey enquête sur Clinton, il est digne d’éloge, mais quand il le fait sur la connexion Russe du camp Trump, c’est une chasse aux sorcières. De même, chez nous, surveille-t-on les arrestations de la police pour y trouver des «tendances partisanes», soupèse-t-on les enquêtes diligentées par l’ICAC pour y déceler du favoritisme, ou analyse-t-on les décisions du DPP sur des toiles de fond familiales. Voilà, pourtant bien, quelques institutions qui, en milieu démocratique, doivent de manière impérative être menées par des esprits libres ! C’est pourquoi d’ailleurs notre Constitution ou nos lois les mettent souvent à l’abri et tente de les protéger d’influences despotiques. Ce qui n’est pas toujours une réussite, malheureusement ! Ce qui est sûr, c’est que quelqu’un qui occuperait ce genre de poste et qui n’assumerait pas ses responsabilités d’homme libre et indépendant, motivé par le seul bien commun, participerait, très clairement, à l’assassinat de la démocratie. Remarquons, finalement, qu’être libre de ses opinions ne garantit aucunement l’infaillibilité, dans le sens papal du terme, mais qu’il dépend crucialement d’un jugement de bonne foi et aussi avisé que possible.

   

   Tout aussi important, bien évidemment, est notre propre regard sur ces personnes et ces situations. Prenons deux exemples. Bientôt, notre Premier ministre pourrait  se retrouver devant le Privy Council  pour établir  son innocence  (sa culpabilité !) ou non sous le POCA 2002. Son père, notre ancien PM vient de faire, aux Nations unies, un réquisitoire plutôt saignant et productif face à nos anciens maîtres coloniaux. Du moins fut-il productif en termes de votes onusiens, au risque de l’être moins, mettons, commercialement. Le Privy Council peut bien confirmer le jugement de notre Cour suprême, mais combien d’entre nous vont percevoir un éventuel jugement négatif du Privy Council à l’encontre de Pravind Jugnauth comme une « punition des Anglais » pour leur avoir fait perdre la face devant 94 nations de la planète ? Alors qu’une telle décision pourrait tout simplement être le meilleur jugement en la circonstance ! Si nous pensons que ce Privy Council, à qui on a jusqu’ici fait confiance, est vraiment capable de tels dévergondages, est-ce parce que c’est ce que nous aurions fait nous-même … à leur place ? Regardons-nous bien en face ! Nous sommes tous, à divers degrés, pétris de préjugés et un peu comme dans le Rashomon du cinéaste Kurosawa, les mêmes faits génèrent alors des interprétations bien différentes ! De même, quand le DPP n’instruit pas une charge formelle contre un homme du pouvoir qui précède, est-il nécessairement partisan ou est-ce que le dossier qu’on lui remet n’est pas suffisamment  étoffé? Une fois encore, notre réaction n’est-elle pas trop prisonnière de nos propres préjugés ou de nos propres souhaits ? Dans ce contexte, il est sans doute utile de rappeler qu’en cas de doute de partisannerie ou de médiocrité soupçonnée, toute partie se sentant vexée ou lésée peut, depuis le « ruling » du Privy Council dans l’affaire Mohit, demander un « judicial review » d’une décision du DPP…..

   

Caption

   Car un judiciaire, crucialement libre, est aussi bien un contre-pouvoir au DPP que ne l’est, par exemple, une presse, libre, face aux tentations totalitaires des politiques. D’autant que, contrairement à la Prosecution Commission qui pourrait bâillonner en amont, il ne donne son avis qu’ex post facto. Ainsi respire une démocratie, en s’assurant du bon fonctionnement de ses institutions indépendantes. Quant à nous, respirons-nous librement ou avons-nous déjà besoin d’un masque à oxygène ? Ou dit autrement et comme le répétait mon aîné préféré : si nous sommes effectivement en démocratie, y trouvons-nous assez de citoyens foncièrement démocrates ?