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Pouvoirs corrosifs

10 août 2017, 07:27

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Ainsi, cette fois-ci, c’est le Premier ministre et le Sun Trust qui ont pris ombrage par rapport aux personnes avec qui je déjeune ! Selon Pravind Jugnauth, c’est l’ultime preuve, au-delà de mes écrits, que l’auteur de ces lignes ne serait pas indépendant. Le PM discourt comme si l’objectivité journalistique, ou l’objectivité tout court, pouvait exister quand on vit dans un pays où les scandales, en termes de gouvernance et d’égalité des chances, s’enchaînent à la vitesse du TGV. Le chef du gouvernement parle de nous comme si nous étions employés de la «MBC Happy Land», pour reprendre l’expression de notre collègue Touria Prayag.

D’abord, encore heureux que l’on puisse encore déjeuner et échanger librement avec qui l’on a envie dans ce pays, et éviter ceux que nous choisissons précisément d’éviter en raison de leur pouvoir à forte tendance corrosive. Dans d’autres pays, ce serait impossible. Relativisons donc. Mais, plus important, nous concevons notre métier de journaliste comme un combat en faveur des idées, et non pas contre ou pour des hommes ou des femmes. Un journaliste libre joue le rôle d’un historien au jour le jour, qui est au service des faits, de la vérité – aussi complexe, dérangeante et nébuleuse soit elle. Notre but n’est pas de plaire mais d’éclairer l’opinion – pour qu’elle puisse, elle, décider, choisir et agir, en toute liberté. Malgré les précautions d’usage, il peut nous arriver, surtout en l’absence d’une Freedom of Information Act, de nous tromper. Mais face aux faits honnêtes et têtus, alors, nous devons – en fait nous ne pouvons que – faire amende honorable.

Les quatre commandements du journaliste libre, selon Albert Camus, sont l’ironie, la lucidité, le refus et l’obstination : qualités, alliées à une indépendance vis-à-vis des puissances de l’argent et du pouvoir politique : «Le droit à l’information n’est pas un privilège des journalistes, c’est un droit des citoyens.» Cette citation donne la vision subversive et citoyenne du journalisme libre, du moins celui que nous défendons.

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Bien au-delà des chefs politiques et de leurs préoccupations de survie politicienne, et des gouvernements qui viennent et qui s’en vont, l’express s’inquiète de l’incidence socioéconomique de l’héroïne sur Maurice.

On sait bien que son juteux trafic a déjà infiltré des institutions-clés, comme une partie du barreau et de la police, les prisons, la douane, le port, l’aéroport et les services postaux. Il y a donc lieu d’analyser le pouvoir corrosif de la drogue dure sur l’ensemble du développement économique de notre pays, qui constitue un élément déterminant du développement humain.

Dans les pays producteurs, comme l’Afghanistan, la Bolivie et le Perou, l’industrie illicite de la drogue offre des emplois à un grand nombre de personnes ayant peu de compétences (petits agriculteurs, passeurs) et aussi à du personnel qualifié : chimistes, laborantins, grossistes, blanchisseurs de capitaux, revendeurs et trafiquants. Ces emplois peuvent être importants en termes économiques pour les pays où la culture illicite est pratiquée et où le taux de chômage est élevé.

Chez nous, des groupes grandissants de personnes sont impliqués dans le commerce illicite de la drogue – la salutaire commission Lam Shang Leen lève en ce moment même le voile sur tout un pan d’activités obscures. Ils brassent de grosses sommes d’argent et génèrent d’importants bénéfices du trafic de la drogue, et financent des fois des partis politiques, alors que ces activités illicites restent préjudiciables pour la grande majorité de Mauriciens.

Il s’avère difficile, mais pas impossible, de mesurer avec précision les revenus dégagés du trafic illicite de l’héroïne et son incidence sur notre économie. Selon le Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues (Maurice étant un pays sous observation en raison de notre surconsommation d’héroïne, qui a fait de nous l’un des leaders mondiaux), l’industrie de la drogue peut déstabiliser non seulement l’État et l’économie, mais également la société civile.

Le problème de la drogue doit être considéré dans un cadre global de l’économie et du développement du pays. Il y a une corrélation négative entre le trafic illicite de drogues et la croissance économique d’un pays d’une part ; et de la déstabilisation de l’État (et des partis politiques) et de la sociéte civile d’autre part. C’est de cela qu’il faut débattre. Pas de nous !