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Liberté constitutionnelle versus futur sécuritaire
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Liberté constitutionnelle versus futur sécuritaire
Continuer à se battre pour ses idées, chacun à son niveau, selon ses convictions et ses moyens, même, ou surtout, quand un gouvernement fait volte-face. C’est l’assiduité démontrée par des citoyens lambda comme Rajah Madhewoo, Jeff Lingaya et Ish Sookun dans leurs luttes respectives pour sensibiliser l’opinion par rapport à la carte d’identité biométrique. Souvent, ils ont l’air isolés. Des fois même réactionnaires, face à la puissance de l’appareil d’État. Mais force est de constater qu’ils ne sont plus si seuls que cela… La Cour suprême de l’Inde est aujourd’hui une puissante alliée à leur cause ; une cause que d’aucuns croyaient perdue, malgré la tentative de saisir des instances internationales.
«Right to Privacy is an integral part of Right to Life and Personal Liberty guaranteed in Article 21 of the Constitution.» C’est ce qu’a conclu, en fin de semaine, un panel de neuf juges de la plus haute instance de la Grande péninsule. Ce jugement de plus de 500 pages, dont les répercussions en Inde et à Maurice seront majeures, prend à contre-pied le gouvernement Modi. Il vient freiner son gigantesque projet national surnommé Aadhaar (qui signifie «base»). Lancé en 2009, Aadhaar compte à ce jour plus de 1,1 milliard d’Indiens dans son registre.
À Maurice, on se souvient des queues interminables aux quatre coins du pays ainsi que les angoisses de ces milliers de Mauriciens face aux pressions gouvernementales. Certes, le gouvernement a donné, chez nous, l’assurance qu’il n’y a pas de base de données, mais sur quoi devrait-on se baser pour le croire, quand l’on sait que les données numériques peuvent être copiées rapidement et facilement, surtout quand le prélèvement des données a été effectué par des contractuels, qui ne sont aucunement liés par des clauses de confidentialité.
En Inde, l’on a beaucoup mis l’accent sur la nécessité de recueillir les données biométriques afin de moderniser plusieurs services liés à la santé ou au paiement d’impôts. En 2014, afin de faciliter la lutte contre la pauvreté, les autorités ont commencé à conserver les données des citoyens indiens. Cette base de données allait, disait-on, être utilisée pour, entre autres, le programme des repas gratuits à l’école et des subsides pour le riz et autres produits de première nécessité. Seuls ceux et celles qui détiennent une carte d’identité biométrique vont en bénéficier, a prévenu le gouvernement Modi.
Mais les challengers de la carte biométrique Aadhaar ont argué dans leur plainte que cette base de données pouvait être utilisée pour déterminer le profil de chaque citoyen : son style de vie, son orientation sexuelle, ses dépenses. Ce qui constitue une violation de la vie privée.
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Cela fait plusieurs années que la biométrie provoque les appréhensions des associations citoyennes mais aussi des sociétés de protection des données. On redouterait une «société de surveillance», ou un Big Brother tel que décrit par Orwell.
Le débat concernant la biométrie s’avère, en fait, un choc de logiques : la sécurité versus la liberté. Certains pays justifient une surveillance accrue en raison de la menace terroriste.
Dès lors, les réponses juridiques et techniques aux défis que la biométrie soulève se révèlent inadéquates de par l’approche même qu’elles retiennent : il ne suffit pas d’arbitrer entre sécurité et libertés, ou de privilégier tel usage, moins intrusif, plutôt que tel autre.
C’est sur le projet social même de la biométrie que chaque pays devrait se pencher. Le jugement de l’Inde nous donne la possibilité d’entamer, de manière apaisée, cette réflexion collective sur nos besoins et nos craintes communs. Car, rendons-nous à l’évidence : la sécurité est peut-être la première des libertés. Sans elle, le citoyen ne peut jouir au mieux de ses droits fondamentaux, et constitutionnels. D’où le dilemme... Car tout est relatif : il n’y a pas plus de liberté absolue que d’égalité ou de justice absolue...
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