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Plaidoyer pour une Constitution proche du peuple (et loin des politiciens)

2 septembre 2017, 07:32

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«La grandeur d’une nation réside dans sa fidélité à la Constitution (…)» C’est la conclusion de la Cour suprême du Kenya dans un jugement historique, livré hier, eu égard à l’élection présidentielle du 8 août (voir aussi en page 32). Selon ce jugement, qui fera date dans l’histoire des élections en Afrique, les irrégularités présentées par l’opposition ont bel et bien eu un impact sur le résultat du scrutin. Par conséquent, les résultats sont déclarés nuls et non avenus !

L’élection présidentielle kenyane avait, pour rappel, vu la «victoire» du chef de l’État sortant, Uhuru Kenyatta, par plus de 1,4 million de voix d’écart (54,27 % des suffrages) contre 44,74 % pour l’éternel opposant, Raila Odinga. Les résultats avaient été annoncés le 11 août et suivis de manifestations et d’émeutes, vite réprimées par la police, au service du puissant Kenyatta.

Toutefois, une fois n’est pas coutume, le «Ballot» du peuple a pu avoir le dessus sur les «Bullets» des puissants.

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Texte fondateur de toute démocratie, la Constitution, qui regroupe les droits fondamentaux (dont le droit à la propriété privée) demeure l’arme suprême contre le despotisme ou l’absolutisme du pouvoir, dont des dynasties politiques. La Constitution mauricienne, il est utile de le rappeler, n’a pas été rédigée par des citoyens mauriciens, mais par des experts britanniques. À la rigueur, elle a été discutée par des chefs politiques mauriciens, représentant les tribus respectives d’alors, lors des fameuses consultations de Lancaster House dans les années 60. Ces politiciens ont d’abord défendu leurs propres intérêts, et ceux de leur descendance… Descendants qui aujourd’hui nous toisent du regard, au nom de leurs pères respectifs.

L’ouvrage – majeur – de Milan Meetarbhan, Constitutional Law of Mauritius, qui vient d’être lancé, nous permet de contextualiser la naissance de notre Constitution dans le cadre des 50 ans de notre indépendance.

À ce chapitre, on oublie trop souvent que l’indépendance elle-même ne faisait pas l’unanimité parmi les Mauriciens. Les élections du 7 août 1967, qui faisaient office de référendum officieux, étaient serrées et sanglantes : après une campagne survoltée, le bloc progressiste en faveur de l’indépendance, mené par SSR et soutenu par des journalistes patriotes, a obtenu 39 sièges avec 54,13 % du vote populaire ; alors que les réactionnaires du PMSD, dirigés par sir Gaëtan Duval et sa clique, en jouant sur la peur d’une décolonisation britannique, ont pu grappiller 43,99 % du vote.

Milan Meetarbhan signe chaque copie de son ouvrage (qui devrait être un compulsory reading pour les politiciens, enseignants, militants des droits humains et journalistes) en soulignant la date du 22 août (clin d’œil à la première séance de la nouvelle assemblée législative qui s’est tenue le 22/08/1967). Lors de cette séance parlementaire, le Premier ministre d’alors a déposé la motion qui devait nous conduire tous à l’indépendance. La motion se lit ainsi : «That this Assembly requests Her Majesty’s Government in the United Kingdom to take the necessary steps to give effect, as soon as practicable this year, to the desire of the people of Mauritius to accede to independence within the Commonwealth of Nations (…)» Meetarbhan nous rappelle que SSR a présenté sa motion pour notre indépendance avec ces mots (c’est nous qui soulignons) : «Independence will enable us to think as a nation, for our country will be our hope and our people our first concern. In this atmosphere of freedom and equality, a new spirit and endeavour will seize our people and in this century of hope a new Mauritius is being born, unfettered and friendly, small but with the indomitable spirit to make good with other nations. There would be no prison bars of colonialism, no discrimination between one Mauritian and another but a united country fulfilling its own destiny.» Bien entendu, le PMSD n’a pas soutenu cette motion. Raison invoquée : «By voting for Independence, Mauritians would lose their British passport.»

Finalement, après une déchirure et des exodes, le Parlement britannique devait adopter la Mauritius Independence Act le 29 février 1968. Un Order in Council a été fait le 4 mars 1968, avec en annexe la Constitution de Maurice, qui porte la griffe du Professeur S. A. de Smith, selon le modèle Westminster-Whitehall.

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Cinquante ans après, il est temps de moderniser notre Constitution, afin de la mauricianiser (et surtout la dé-communaliser). Il y a de bons points dans notre Constitution, mais force est de constater qu’elle doit être remise au goût du jour pour les 50 ans à venir – sinon, elle va nous retenir en arrière, alors que le monde évolue de plus en plus. Comment le faire ? Est-ce au gouvernement, au Parlement, à un Select Committee (tous issus des rangs de politiciens) ou est-ce à la société civile de s’approprier ce texte fondateur afin de l’arracher des mains pouvoiristes de nos politiciens ? Rendons-nous à l’évidence. Ce n’est pas compliqué de réviser notre Constitution, mais ce sont les politiciens qui disent que c’est compliqué, car ils veulent la réécrire eux-mêmes, en tenant les citoyens à l’écart afin de sauvegarder leurs intérêts et ceux de leurs progénitures. Récemment, avec le Prosecution Commission Bill, on a vu leurs intentions machiavéliques. Et cela ne peut que faire frémir les citoyens lambda que nous sommes…