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Problèmes de famille
La famille ! Pivot de la société. Plateforme de construction d’avenir des jeunes générations. Structure incontournable pour ancrer la société. Et pourtant ! Elle n’est plus aussi sacrée ni aussi indestructible qu’à l’époque. Les familles monoparentales sont de plus en plus fréquentes. Comme les divorces, évidemment, avec des taux de plus de 60 % en Espagne, en République tchèque, au Portugal, en Hongrie et au Luxembourg, avec une championne toute catégorie en Belgique : 70 % ! Il semble aussi bien établi que plus on évolue en pays riche (ce qui coïncide, d’ailleurs, avec de plus grandes possibilités d’autonomie financière pour les deux partenaires du couple), plus il y a des chances de divorce…
Cependant, en politique, les familles semblent être beaucoup plus soudées et plus portées à rester ensemble. C’est à se demander pourquoi! J’ai essayé de trouver des cas de familles qui éclataient à la suite de divergences d’opinions alors que l’un des leurs occupait la plus haute fonction du pays et je n’en ai pas trouvé. On peut citer les cas d’Arvin et de Satish Boolell, par exemple, ou d’Ahmad Jeewa et de sa soeur Fazila, qui se sont retrouvés dans des partis différents, mais de famille régnante qui éclate, je n’en ai pas trouvé jusqu’ici. Il y a bien une raison à cela ?
Dans le même ordre d’idées, on ne peut que noter une très forte propension à ce que la politique soit traitée comme fonds de commerce familial. Notons d’abord que la politologue Brenda Van Coppenolle (London School of Economics) estime que les politiques à arbre généalogique bénéficient d’un avantage dynastique d’environ 25 %. Le phénomène n’est ni exclusivement mauricien, ni même seulement tiers-mondiste. Les Roosevelt, les Kennedy, les Bush ou les Clinton en sont des exemples modernes aux États-Unis. Les Michel en Belgique, les Le Pen en France en sont d’autres exemples en Europe. Mais il semblerait aussi qu’à quelques contre-exemples près, plus un pays est démocratiquement mature, plus il est probable que le renouvellement politique ne se fasse pas par équation dynastique. Macron, Merkel ou May n’ont pas d’antécédents politiques au sommet de l’État équivalents à Gnassingbé (Togo), Aquino (Philippines), Nguema (Guinée équatoriale), Papandreou (Grèce). À noter aussi que dans trois cas en Afrique : Kenyatta, Khama et Ramgoolam, les fils ont dirigé leur pays, mais seulement longtemps après leurs pères. Soit 34, 27 et 13 ans après respectivement et tous après des élections. Le cas de transmission de pouvoir de père à fils du vivant du père, le cas Jugnauth, reste, à notre connaissance unique.
Est-ce cela qui aide à expliquer les problèmes d’instabilité grandissante du régime en place ? En partie, sans doute, puisque le mandat populaire et le charisme personnel ne se transmettent définitivement pas aussi facilement qu’un bâton témoin en relais 4x400 ! Pravind Jugnauth fait bien des efforts, mais cela ne semble pas suffire pour se faire respecter ou craindre par des troupes qui, au-delà du cercle familial immédiat qui, lui, est constamment investi dans la protection du pré carré dynastique, se comportent de plus en plus comme une kyrielle d’individus pressés par leurs intérêts personnels. De Teeluckdharry, avec ses per diem à Rampertab, qui «se voyait déjà», on sent la même agitation. S’il est vrai que Dayal et Lutchmeenaraidoo se sont retrouvés sur la touche sous le règne de SAJ, d’aucuns suggèrent que cela ne se serait pas passé avec un SAJ plus gaillard. Yerrigadoo et Soodhun ont payé le prix d’en avoir fait à leur tête, ce qu’ils auraient peut-être hésité à faire si leur chef leur faisait plus peur ! Le phénomène n’est, cependant, pas nouveau. Ramgoolam, lors de son deuxième mandat, craint mais non respecté, ne faisait plus confiance à ses ministres et tançait, parfois sévèrement, ses nominés politiques. Vous vous souvenez, par exemple, du tsunami qui n’est jamais venu ?
Et c’est là, cruellement, qu’il faut peut-être identifier l’une des autres raisons de la déchéance de notre leadership politique. S’il est vrai que nous avons des élections libres et qu’il y a alternance – même si on n’alterne qu’entre deux familles seulement depuis 50 ans, y compris quand cette alternance comporte un «compromis à l’israélienne» pour accommoder un tiers comme Bérenger – la vérité aussi c’est que la qualité des politiciens que ce système attire, ainsi que la qualité de ceux qui se font nommer aux diverses responsabilités publiques, baisse dramatiquement d’année en année. Le leader politique favorise la loyauté inébranlable, le «yes man», peu importe ses qualités intrinsèques et sa capacité à travailler pour le progrès du pays. De plus en plus d'institutions supposément indépendantes du pays sont ainsi mises au pas ou sous influence. Il y a des exceptions, bien sûr, mais quand notre représentant à la COP21 est Raj Dayal, vous vous attendez à laisser quoi comme image du pays à Paris ? On licencie Megh Pillay, mais on garde Choomka ! Comment justifier le ministre Koonjoo qui, cette semaine même, répondant à la question de savoir s’il avait déclaré son conflit d’intérêts après l’allocation de 28 hectares à un projet d’ostréiculture partiellement possédé par un parent, déclarait, avec superbe : «Je n’ai pas cette information !» Vous vous rappelez sans doute du livre de chevet de Baboo et de Choonee qui affirmait que «les autres aussi ont des droits, mais vous en avez davantage !» au no5. Et vous en savez bien plus que moi (ou vous êtes plus brave !) si vous me suggérez que Roubina Jadoo-Jaunbocus a l’épaisseur ministérielle souhaitée…
Dans la plupart des pays qui se respectent, dans la plupart des compagnies privées qui comptent, on choisit les meilleurs. Rationnellement, on choisit son élite. On choisit ceux que l’on admire, que l’on respecte, que l’on veut suivre, que l’on veut imiter, de qui on veut s’inspirer. Il est, sans doute, hasardeux de conclure trop vite ici, en mille mots, mais, à ce titre, ils ont raté leur coup aux États-Unis en décembre 2016 et nous ne faisons pas mieux qu’eux depuis bien plus longtemps…
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