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De témoins et de témoignages

26 novembre 2017, 09:00

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De témoins et de témoignages

Me Raouf Gulbul

Lactualité de la semaine a sans doute été dominée par la démission – précisée volontaire – de Me Raouf Gulbul comme Chairman de la Gambling Regulatory Authority et de la Law Reform Commission. La pression après de nombreux témoignages accusateurs devant la commission Lam Shang Leen était devenue intenable. Par contre, Me Gulbul dit avoir démissionné pour aller «sauver sa dignité». Ou du moins ce qu’il en reste. C’est un bien beau programme, mais sûrement quelque peu périlleux, puisque toute tentative dans cette direction en amont de la publication des conclusions de la commission d’enquête risque d’avoir à confronter (et va peut-être même susciter) de mauvaises surprises. Quoi qu’il en soit, et même si sa décision a trop tardé, saluons la ici, du moins en ce qu’elle nous rassure sur les restes de décence dans ce pays. Ils ne sont pas assez nombreux et ils sont donc d’autant plus précieux à mettre en exergue, présomption d’innocence ou pas !

De gauche: Siddick Chady,  Prakash Maunthrooa.

Autre item, toujours lié à des témoignages plus qu’embarrassants qui, cette fois, en bout de chaîne de manœuvres dilatoires systématiques et délibérées des avocats de la défense, aura mené la cour de Rotterdam à finalement arrêter sa collaboration. Il s’agit du procès de corruption intenté à MM. Chady et Maunthrooa quand ils étaient actifs dans le port. Ceux qui ont été à la manœuvre pour corrompre, c.-à-d. deux cadres hollandais de Boskalis, ont déjà été condamnés. Collaboration de Rotterdam ou pas, se peut-il que l’on puisse seulement condamner les corrupteurs, mais pas les corrompus ? Si cela devenait seulement possible et si c’était vraiment le cas, faudra bien nous expliquer la logique légale puisque, a priori, le corrupteur ne peut être dissocié du, ni être condamné sans… le corrompu !

De gauche: Vivek Pursun, Xavier Luc Duval, Showkatally Soodhun, Navin Ramgoolam.

Témoignage encore ! Cette fois, celui de Vivek Pursun. Vendredi dernier, il donne un statement écrit aux Casernes. Lundi, après avoir «bien réfléchi», aidé en cela par on ne sait qui, M. Pursun retourne aux Casernes et, selon les sources policières des journaux, aurait incriminé Xavier-Luc Duval dans un «complot» contre le ministre Soodhun. Un peu comme un certain Rahim incriminait, d’ailleurs, des journalistes de l’express de «complot» après un affidavit pourtant juré en cour une semaine plus tôt. Je précise bien «les sources policières», car comme j’ai eu l’occasion de le confirmer personnellement, par réponse écrite, la circulaire 5/12 du commissaire de police dicte, sur l’avis du DPP, qu’il ne faut PAS donner une copie d’aucune déclaration faite à la police, même pas à celui qui l’a faite ! Dans ces circonstances, aucun moyen pour les journalistes de vérifier ce qui est effectivement consigné dans une déclaration et dépendance totale (et verbale) sur leurs sources policières et les intervenants eux-mêmes. Ainsi M. Pursun, en direct face au journaliste de l’express, mercredi 22, contredit ce qu’il aurait apparemment dicté dans sa déclaration de lundi à l’effet qu’il y avait «manipulation» par XLD et qui ajoute même (le mauricien du jeudi 23) qu’on lui a offert Rs 5 M pour «sanz lanket» ! Ce qu'il confirmait dans un affidavit vendredi. Allez savoir quoi croire…

Navin Ramgoolam, Rakesh Gooljaury.

ET comment oublier le faux témoignage de Rakesh Gooljaury, «par amitié» pour et même à la demande de Navin Ramgoolam ! Se cherchant un nouveau protecteur, il fut sans doute «inspiré» à changer de version par le changement de régime de décembre 2014 et c’est ainsi qu’il était poursuivi sous la charge plus légère de causing public mischief. Une condamnation de trois mois de prison s’ensuivait, d’ailleurs généreusement convertie en 90 heures de travaux communautaires, soit à peu près 11 jours de travail de 8 heures, au service de la société ! Trois mois à un tiers de mois ! Sont poursuivis pour public mischief ceux qui font de fausses déclarations concernant une infraction imaginaire (article 298 du code criminel).

Ajoutez à tout ce charivari, les accusations répétées et troublantes à l’encontre de divers avocats quant à des «enquêtes dévirées» et vous apprécierez qu’il y a peut-être un véritable problème avec les témoignages et les témoins qui sont, cependant, la clé de voûte d’un système de justice qui marche !

La Cour suprême de Port-Louis.

Si les juges et les magistrats sont, à ce que je comprends, habilités à décider si leur cour est abusée ou non par les manœuvres délibérément dilatoires des avocats défendant leurs clients ou par les témoins eux-mêmes, la loi reconnaît déjà le problème potentiel de faux témoignages en ce qu’elle prévoit que toute infraction de ce genre est passible d’une amende de Rs 10 000 ou d’un temps d’emprisonnement de trois ans au maximum pour les faux affidavits (article 195 de la Court Act). Dans le code pénal mauricien, inspiré du code pénal français, on retrouve la notion de faux témoignage «aggravé» quand ce témoignage est complété contre une «récompense quelconque» (article 279) ou si le délit en question est de nature «criminelle» (articles 276 à 281), alors que dans le code pénal français (434-13) le faux témoin se met complètement à l’abri «s’il a rétracté spontanément son témoignage avant la décision mettant fin à la procédure rendue par la juridiction d’instruction ou par la juridiction de jugement».

Il faut cependant se poser la question de savoir, dans les circonstances, si les autorités sont suffisamment sévères contre les faux témoins qui minent les fondations même de la Justice avec un «J» majuscule ! Je n’ai aucune formation légale, mais le bon sens me dicte (1) que le cas Gooljaury a passé le message qu’un faux témoignage peut se rattraper politiquement et que le lesser charge de public mischief peut alors s’arranger jusqu’au point de voir 90 jours de prison être convertis en 11 «journées» de travail social et que (2) si la notion de rétraction d’un faux témoignage (434-13) faisait son entrée dans nos lois, il faudrait que cette rétraction ait lieu bien longtemps avant la «décision» de la cour, faute de quoi, les innocents paieraient de leur réputation pendant les longues années ou le procès cheminera en cour, tactiques dilatoires ou non. Quatre-vingt-dix jours pour se rétracter et dire la stricte vérité devraient suffire, vous ne trouvez pas ? 

Mais ce dont nous avons surtout besoin, évidemment, ce sont des témoins qui disent la vérité et qui peuvent témoigner.