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Du devoir de mettre en perspective…
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Du devoir de mettre en perspective…
Je lisais, l’autre soir, dans un des derniers numéros de TIME, quelques courts propos remplis de bon sens de Steven Pinker, professeur de psychologie à Harvard. Dans un monde où les chiffres disent pourtant que les populations vivent plus longtemps, sont mieux nourries, plus riches, mieux sécurisées, plus connectées, mieux éduquées, il notait que ces mêmes personnes étaient tout autant pessimistes à propos du monde qui les entoure.
Ce n’est pas tant que l’humain soit naturellement négatif, dit Pinker. En fait, leurs propres vies leur apparaissent généralement plaisantes ou satisfaisantes, là où ils se trouvent, mais c’est l’état global de ce qui les entoure qui suscite leurs points de vue les plus maussades et les plus noirs. La théorie de Pinker est que cette rupture entre le soi et le monde des autres est principalement alimentée par la nature des nouvelles que nous consommons, généralement sur tiers, que celles-ci nous parviennent à travers nos médias ou, peut-on penser, même informellement à travers des réseaux de «palabres». Le point est que les «nouvelles» décrivent toujours ce qui se passe de nouveau, ce qui choque, ce qui sort de l’ordinaire et non point la norme. Elles décrivent, donc, des incendies, des licenciements, des tueries, des attaques possibles de requins sur des humains… La plupart de ce qui se passe en situation normale n’intéresse que peu le consommateur de «nouvelles» . C’est pourquoi les titres ne parleront que rarement des pays où il n’y a pas la peste, d’hôpitaux où tout marche bien, de requins qui mangent du poisson…
Et Pinker de souligner que nos intuitions sont alimentées non pas par les statistiques ou des équations globales, mais par des clichés, des anecdotes, des images dramatiques et des histoires croustillantes, généralement de ce qui va mal. Ailleurs que chez soi. Les médias ne concoctent pas nécessairement le négatif : ils les relaient en fonction de ce que le consommateur cherche ou, dans le meilleur des cas, ils se sentent le devoir de souligner ce qui est inacceptable, aberrant ou hors normes. Il est, dès lors, plus facile de comprendre que les auditeurs ou les lecteurs de médias puissent conclure négativement sur l’orientation du monde qui les entoure ! Un débat peut aussi s’ensuivre sur ce que sont ces aberrations qu’il faut mettre en exergue ou dénoncer. Certains diront même que l’aberration de l’un peut être la norme de l’autre ! Ce qui est certain, c’est que l’opinion publique n’est presque jamais monolithique et que les divers médias reflètent ce que leurs publics cherchent ou désirent. Fox News n’est pas CNN et Breitbart n’a sûrement pas l’angle du Washington Post… Quant aux télévisions style MBC, elles relaient délibérément une vision nettement plus positive de l’environnement national, mettant l’accent sur ce qui marche ou sur ce qui s’inaugure plutôt que sur ce qui cloche ou sur ce qui manque. On peut aussi appeler cela de la propagande…
Autre effet avec lequel il faut composer : la mémoire qui s’estompe avec le temps, principalement sur ce qui composait les images de ce qui allait mal. C’est, d’ailleurs, la grande chance des «revenants» en politique. Sir Anerood Jugnauth en a bénéficié en 2014. Navin Ramgoolam va en profiter en 2019, mais, comme le notait cyniquement le chroniqueur Franklin Pierce Adams, cité par Pinker : «Rien n’est plus responsable de la nostalgie du temps passé… qu’une mauvaise mémoire.»
Il n’y a qu’un antidote à ces points de vue tronqués et à ces déformations : la mise en perspective, notamment grâce aux statistiques ! Quand notre perception du monde est exclusivement fondée sur des titres accrocheurs ou des images choquantes, elle sera bien évidemment loin de l’image de l’ensemble. Le gros avantage des statistiques, c’est qu’elles cooptent le bon et le mauvais, le normal et l’inacceptable pour former une image intégrée, composite, globale qui est bien plus proche de la «réalité» de tous, que de l’une «nouvelle» ou une autre. Il faut, dès lors, s’insurger contre la facilité coupable avec laquelle les propos de Disraeli, cités par Mark Twain, se sont infiltrés dans le discours du citoyen lambda, puisque c’est Twain qui écrivait que : «Les faits sont têtus, mais les statistiques sont plus coulantes» ou encore qu’«il y a les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques».
En vérité, le monde moderne démocratique a besoin de ses médias et de leur faculté à relever ce qui est anormal et à proposer ce qui est mieux. Encore faut-il reconnaître que les médias ne chassent pas tous le même gibier de la même façon et que leur crédibilité intrinsèque est capitale, ce qui leur laisse peu de champ à de la manipulation ou à l’erreur. De plus, il est toujours important, ayant consommé la «nouvelle» de la mettre en perspective, de prendre conscience des chiffres qui y sont pertinents et de soupeser l’événement dans le contexte du «big picture» alimenté statistiquement.
Et, en passant, on ne peut pas tout prouver avec des statistiques ! On peut seulement tenter de tout prouver en manipulant les chiffres de manière déraisonnable. Par exemple, Boolell, candidat travailliste au n°18 A ÉTÉ LE GRAND GAGNANT de la partielle, en décembre 2017, avec 35 % des votes exprimés ET donc 65 % des votants n’ont pas voté pour lui ALORS QUE 45 % des électeurs inscrits n’ont voté pour aucun des 40 candidats présentés !
À vrai dire, ces trois statistiques sont vraies et se complètent…
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