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Dessinons cette nation cinquantenaire...
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Dessinons cette nation cinquantenaire...
Pourquoi, quand nous sommes à l’école primaire et qu’il nous faut choisir nos camarades de jeux, nous n’avons pas (encore) de réflexes ‘communalistes’ ou ‘communautaires’? Pourquoi, quand il nous faut chercher un bon pédiatre ou dentiste pour nos enfants, la foi religieuse du (ou de la) professionnel(le) nous importe peu ? Pourquoi nous sentonsnous davantage Mauriciens à l’étranger qu’ici chez nous ? Ces questions nous affluent depuis que nous avons lancé notre initiative #50ansMoris – qui sonne comme un rappel des troupes de la diaspora éparpillée sur la mappemonde. Chacun avec sa propre perspective, chacun avec son vécu et ses préjugés.
À bien y réfléchir, quelle que soit notre ouverture d’esprit, bien souvent, ces réflexes propres au ‘noubanisme’ des petits pays insulaires se manifestent dès l’atterrissage de l’avion à Plaisance. «Mo pressé...laisse mo dessann avan ou.» C’est comme si on revenait dans notre monde figé dans le temps avec ces mêmes discours et discoureurs et tactiques déloyales. Est-ce pour cela qu’on dit «petit pays, petits esprits» ? Tout compte fait, que pouvons-nous, alors, souhaiter au pays ?
La série de voeux exprimés, au quotidien, en une de l’express, par des compatriotes apolitiques, captent l’attention et provoquent bien des débats. Ces débats, malgré quelques dérapages incontrôlables, sont essentiels à la consolidation et à l’approfondissement continus de notre démocratie, au perfectionnement de notre État, de notre nation, de notre État-nation...
La nation mauricienne, telle que nous la percevons aujourd’hui, est un produit de l’histoire. L’ancien MMM Dev Virahsawmy, celui qui avait contribué à révolutionner les réflexes castéistes en 1970, en se faisant élire, à Triolet, grâce au slogan «enn sel lepep, enn sel nation», regrette aujourd’hui que «cinquante ans d’indépendance, et nous ne sommes toujours pas une nation». Selon lui, il est «impérieux maintenant de travailler à la construction d’une nation-arc-en-ciel.» Comme beaucoup, il pense qu’un vrai métissage de la société avec des couleurs qui se mélangent réellement, au lieu de cheminer parallèlement, n’a pas encore vu le jour sous le soleil mauricien. Il n’a pas tort si l’on en juge par les voix hétérogènes de tous ces avocats du Best Loser System. Un système, aujourd’hui dépassé, qui place l’ethnicité (et non l’individu) au coeur de la Constitution mauricienne.
En revanche, le journaliste-historien Jean-Claude de L’Estrac ne rejoint pas, alors pas du tout, le poète-politologue Dev Virahsawmy. Celui qui a écrit Mauriciens, enfants de mille races lâche : «J’enrage quand je lis que 50 ans après l’Indépendance nous ne sommes toujours pas une nation ! Bien sûr que nous sommes une nation, et pas depuis 50 ans. Nous sommes un État depuis 50 ans mais nous sommes une nation depuis plus de trois siècles.» De L’Estrac enchaîne alors sur ce qui, pour lui, constitue une nation : d’abord et avant tout une construction politique, mais aussi une volonté de l’individu de vivre sur un même sol en partageant des valeurs communes.
À cet égard, il est important que l’on s’arrête, une fois pour toutes, sur une définition commune. Celle de l’Unesco nous semble un bon point de départ : «L’État-nation est un domaine dans lequel les frontières culturelles se confondent aux frontières politiques. L’idéal de l’État-nation est que l’État incorpore les personnes d’un même socle ethnique et culturel.» Cependant, la plupart des États sont polyethniques. Ainsi, l’État-nation «existerait si presque tous les membres d’une seule nation étaient organisés en un seul État, sans autres communautés nationales présentes.» Bien que le terme soit souvent usité, de telles entités n’existent pas vraiment, reconnaît l’Unesco. Ce qu’on retient aussi c’est que les moeurs, plus que les lois, font et caractérisent une nation. Honoré de Balzac, lucide, disait, lui, que «pour implanter un gouvernement au coeur d’une nation, il faut savoir y rattacher des intérêts et non des hommes.»
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Un autre terme qui est devenu cliché, c’est cette notion de «nation arc-en-ciel» – jadis un hymne au multi-culturalisme. Dans L’interculturel ou la guerre (2005) de notre collègue Issa Asgarally, Jean-Marie Gustave Le Clézio relève que «le pacifisme, à Maurice, n’est pas une idée intellectuelle, ni un luxe de philosophe. Il est une absolue nécessité. Lorsque, en 1999, à la suite du décès en prison du chanteur créole Kaya, les deux principales communautés de Maurice, Indo-Mauriciens et Créoles, étaient sur le point de s’affronter, chacun a pu mesurer la fragilité du multiculturalisme. Le rêve de l’arc-en-ciel est menacé à chaque instant par l’enfermement dans l’identité communautaire. Comme Issa Asgarally l’a dit luimême : la nature de l’arc-en-ciel est d’être éphémère.»
On estime, d’autre part, que placer la diversité au coeur du développement du pays et de la nation s’avère un investissement sûr dans l’avenir. C’est aussi synonyme d’une mondialisation bien comprise qui prend en compte les principes de la diversité culturelle. Le généticien Albert Jacquard, auteur du livre L’Éloge de la différence, estime que «notre richesse collective est faite de notre diversité». Si Maurice a une dimension multiculturelle incontestable, dans la vie quotidienne, cette diversité est contestée ; cette diversité, trop souvent, se réfère à juxtaposition, coexistence – comme les couleurs de l’arc-en-ciel précisément...
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Le débat est important pour qu’une société puisse faire sa vidange. À Maurice, pourquoi craint-on le débat sur la réforme électorale, malgré les maints effets d’annonce à ce propos ? Chaque jour qui passe, des citoyens déplorent l’attitude «fuite en avant» des partis politiques. Les chefs des principaux partis, comme reliés par un pacte de non-agression sur ce sujet, refusent de jouer le jeu citoyen et de se livrer, sans filet de protection complaisante, à la critique d’un public en quête de réponses aux promesses d’une nation idéale. L’alliance Lepep va essayer de «buy time» car elle pense, à tort, que le débat sur la réforme électorale peut être renvoyé, une nouvelle fois, aux calendes grecques. Le financement politique, que l’État subventionnera (les politiciens vont légiférer pour leurs propres intérêts), n’est qu’un morceau du puzzle de cette réforme tant nécessaire. Afin que la méritocratie (le mauricianisme) remplace l’ethnicité (le noubanisme)... au coeur même du pays.
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