Publicité

Sintétik: péna nisa ladan !

4 février 2018, 00:30

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Sintétik: péna nisa ladan !

Si David Gaiqui est désormais libre et célèbre (notoire il l’était déjà), c’est à cause de l’opinion publique et du choc de la photo prise par l’avocat Anoup Goodary et publiée, en exclusivité, par l’express, samedi dernier. Pour faire avancer une cause : la photo et sa dissémination (de préférence par l’express) sont essentielles. Dans le Yerrigadoogate, ce sont les documents incontestés et incontestables. Dans la chute de Soodhun, c’est la bande sonore qu’on nous a remise et que nous n’avons pas diffusée (contrairement à quelques pyromanes en manque de scoops).

Cette semaine, les images de ce jeune homme hurlant comme un éléphant, devant le corps inerte de son ami, sous la varangue d’une boutique, ont enflammé la blogosphère mauricienne. Les deux étaient sous l’effet d’une nouvelle recette de drogue synthétique. Depuis le fameux C’est pas bien jusqu’au redoutable Crocodile, les effets, ou plutôt les méfaits, de la drogue synthétique sont désormais largement connus et répertoriés à Maurice comme à l’international.

Comme journalistes et citoyens, nous ne pouvons donc que saluer et soutenir l’appel lancé, hier, par le ministre Soodesh Callichurn (témoin des ravages de cette drogue parmi les jeunes de sa circonscription) pour une campagne nationale contre les drogues synthétiques qui ont infiltré les écoles et les collèges. Les nouvelles du terrain sont alarmantes : désormais, nos consommateurs d’héroïne se rabattent, eux aussi, sur les doses synthétiques car elles sont bien moins chères et disponibles pratiquement à chaque coin de rue.

Le marché des drogues de synthèse n’a jamais été aussi complexe et étendu. C’est ce qu’affirme l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) dans son dernier rapport. «Il offre en particulier une variété croissante de substances aux effets stimulants, telles que les traditionnels stimulants de type amphétamine. L’évolution rapide des drogues de synthèse requiert la mise en place de moyens criminalistiques (matériels et ressources humaines) adaptés, ainsi que l’adoption de nouvelles méthodes de collecte de données sur l’usage de drogues, car de nombreux usagers ignorent souvent la composition des produits qu’ils consomment.» Les travailleurs sociaux de Maurice réclament plus ou moins la même chose.

La révolution des ‘smartphones’ ouvre de nouvelles perspectives aux trafiquants. De nos jours, ces derniers n’ont pas besoin d’être en contact direct avec les clients ; des jockeys, souvent à moto, la tête dissimulée sous un casque intégral, jouent le rôle de «coursiers» et collectent l’argent liquide. Les revendeurs indiquent alors aux acheteurs l’endroit où il faut aller chercher leur drogue par des messages envoyés sur des réseaux cryptés, à l’abri des regards de l’ADSU. Aux States, le «darknet» permet d’acheter des drogues dures (la marijuana est quasi en vente libre) au moyen de bitcoins. La livraison à domicile se fait en toute discrétion. Les acheteurs types font un usage récréatif d’«ecstasy», de cocaïne, d’hallucinogènes et de nouvelles substances psychoactives (NSP).

Qu’est-ce qui explique le craze pour les drogues synthétiques ? Selon l’UNODC, «contrairement à celle d’héroïne et de cocaïne, la fabrication de drogues de synthèse n’est pas géographiquement restreinte puisque le processus ne comprend pas l’extraction de constituants actifs de plantes qui nécessitent des conditions précises pour pouvoir pousser». Les données sur les saisies et sur la consommation portent à croire que l’offre est en augmentation. Statistiquement, drogues de synthèses et autres, on estime que 250 millions de personnes, soit environ 5 % de la population adulte mondiale, auraient consommé des drogues au moins une fois en 2015. «Les opioïdes, notamment l’héroïne, restent le type de drogue le plus dangereux pour la santé.» Leur usage est associé au risque de surdose, souvent mortelle, et de maladie infectieuse (comme le VIH ou l’hépatite C). Le rapport de l’UNODC révèle qu’un lien de plus en plus complexe existe entre l’usage d’héroïne et celui des drogues synthétiques. L’apparition de dérivés de médicaments soumis à prescription considérés comme des NSP, en particulier d’analogues du fentanyl. Les comprimés et poudres contenant des substances de synthèse constituent une menace pour la santé publique, d’autant plus que la concentration et la puissance de leurs principes actifs sont variables.

À quand une étude sur le lien entre trafic de drogue et corruption à Maurice ? En attendant le rapport Lam Shang Leen, il est temps que notre pays s’inspire des études, faites à travers le monde, qui démontrent comment l’injection dans l’économie d’argent blanchi, provenant du trafic de drogue, entraîne mondialement une diminution des taux de croissance annuels, en particulier dans les pays les plus petits et les moins développés. Un rapport de l’OCDE sur 17 pays de sa zone a permis d’estimer qu’une augmentation d’un milliard de dollars du volume d’argent blanchi pouvait réduire la croissance économique globale de 0,03 à 0,06 point de pourcentage. L’argent de la drogue a plusieurs effets économiques : flamber les prix de l’immobilier, fausser les chiffres des exportations, renforcer l’inégale répartition des revenus et des richesses et accroître la corruption. Entre-temps, des entreprises respectueuses de la loi, qui n’ont pas accès à des fonds illicites (ou autres caisses noires), peuvent se faire évincer du marché. Le développement d’une économie underground, qui échappe à la MRA, contribue à affaiblir l’état de droit et favorise la corruption. En ce sens, le combat contre la drogue synthétique, initié, hier, par Soodesh Callichurn, nous concerne tous. Si tant qu’on souhaite des lendemains meilleurs à notre petit État cinquantenaire...