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Arrestations policières: que ferons-nous ?

4 février 2018, 08:05

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Arrestations policières: que ferons-nous ?
Peu après sa libération ce vendredi 2 février, David Gaiqui est revenu en détail sur le calvaire qu'il a vécu aux mains des policiers de la CID de Curepipe après son arrestation pour vol.

Ce que nous savons, c’est que David Gaiqui a été photographié dans le plus simple appareil, enchaîné à une chaise, au poste de police de Curepipe. Ce que nous savons aussi, c’est qu’il a déjà quelques condamnations et accusations à son actif et qu’il est donc un suspect potentiel, même si on n’a sûrement pas le droit de préjuger librement à partir de là. Ce que l’on sait depuis vendredi, c’est que David Gaiqui a été maintenant relâché, ce qui suggère que les faits qu’on souhaitait lui reprocher n’ont finalement pas pu être établis, session de déshabillage ou non.

(De haut en bas, de g. à dr.) Showkhutally Soodhun, le couple Ruhomally,
Manou Bheenick, Laina Rawat

Ce que nous savons aussi, c’est que cette pratique d’arrestation «sur suspicion» assortie d’emprisonnement temporaire et/ou de strip search n’est pas un nouveau problème. Notre consoeur Touria Prayag ayant mené une enquête plutôt minutieuse sur la question des provisional charges nous rappelle ainsi dans Weekly, cette semaine, que dans la plus récente vague du genre, il y a eu Ish Sookun, qui a subi huit fouilles corporelles en dix jours de détention, Manou Bheenick qui fut fouillé à nu deux fois en une nuit, Laina Rawat qui connut la même humiliationn même si enceinte et le couple Ruhomally qui a subi la fouille corporelle aussi, dans le sillage des enquêtes conduites sur lui à la suite de la dénonciation des factures impayées du ministre Soodhun ! On en est d’ailleurs «où» dans ce dernier cas ? Si ces aberrations n’étaient pas pour terroriser ou pour, selon l’expression locale consacrée, «met enn cracking», qu’espérait-on ainsi découvrir ? Des armes de destruction massive sur Sookun ? Une partie des réserves de devises du pays sur Bheenick ? Un parchemin indiquant où se trouvait la fortune des Rawat sur Laina ? Des documents prouvant le «complot avec des puissances étrangères» (Qatari ?) sur les Ruhomally ?

On ne peut pas dire que ces initiatives aient été bien avisées, n’est-ce pas…

D’autant que les victimes poursuivent toutes l’État, cependant que rien ne compensera jamais véritablement le traumatisme subi et que, surtout, ceux qui paieront la casse seront les contribuables plutôt que les vrais coupables ayant soit donné les instructions soit encore abusé des procédures !

Le pub Mulberry Bush à Birmingham est photographié après
l'attentat du 21 novembre 1974.

Ce que nous savons, d’autre part, c’est que le problème n’est pas l’exclusivité de Maurice et qu’il n’est pas simple. Dans un pays où l’on souhaite mieux maîtriser la criminalité, (vols, drogues, violences diverses, crimes à col blanc, terrorisme) l’on peut imaginer, voire parfois comprendre, l’impatience des autorités policières à obtenir des «résultats». Libérés de tout contrôle et/ou des normes agréées, il y a cependant de réels risques que la police dérape alors et obtienne des «résultats » à n’importe quel prix ! Donc à des prix inacceptables ! Rappelez-vous du cas des Birmingham Five où Scotland Yard (pourtant !) taisait délibérément des faits d’enquêtes qui disculpaient clairement les cinq Irlandais, qui furent ainsi condamnés à... 15 ans de prison ! (Voir au cinéma : 'In the name of the father' avec Daniel Day Lewis et Emma Thompson -1993).

Kaya, de son vrai nom Joseph Réginald Topize. Né le 10 août 1960, il est décédé le 21 février 1999.

Ce que nous savons aussi, c’est que la réaction du public n’est pas homogène. Elle s’insurge plus quand il y a une preuve photographique, par exemple (cas Gaiqui) ou des vidéos, ou si les personnes subissant des sévices sont des notables, ou encore des gens populaires (Kaya), mais la réalité qu’il ne faut surtout PAS oublier est que nous nous retrouvons au sommet d’un iceberg sous lequel croupit aussi une routine d’insultes, de claques, de coups divers (dont les fameux annuaires de téléphone qui ne laissent pas de trace), de strip search, de simulacre de noyade sur de pauvres anonymes, qui subissent tête basse, sont rarement défendus par un homme de loi et ne poursuivent pas, par la suite par peur ou faute de moyens.

Comment faire ?

Le principe des témoignages obligatoirement filmés a été concédé depuis longtemps, mais ne s’est pas généralisé apparemment. Il suffit de volonté ? De toute manière, on se retrouve avec le problème récurrent de savoir qui va surveiller que la police fait effectivement ce qu’elle dit qu’elle doit faire dans ces situations-là ? À l’étranger, même dans des démocraties vivantes, on connaît bien la pratique des black sites, en dehors des circuits transparents, filmés et policés, où l’on peut faire à peu près tout…

Me Antoine Domingue.

Alors, avec les risques que cela comporte, voici quelques suggestions :

D’abord, le strip search qui n’est, selon Me Antoine Domingue, réglementé par aucune loi. Malgré les efforts désespérés de leurs collègues du syndicat de justifier ces fouilles corporelles, il n’y a que très peu de circonstances où un strip search peut être utile. Il faudrait dès lors l’interdire dans tous les cas où les circonstances ne le demandent pas ! Par exemple, pour ceux qui ont un casier judiciaire vierge et dans toutes les affaires où il n’y a pas de drogue. Toute exception à cette règle devra alors être autorisée par un ordre de magistrat, qu’il faudra d’abord convaincre. Vous croyez vraiment que quelqu’un au casier judiciaire vierge peut s’introduire une lame de rasoir pour éventuellement l’utiliser pour attaquer un garde-chiourme, par exemple ? Moi pas ! Mais, le cas échéant, les rayons X seraient sans doute moins invasifs et plus «humains» à utiliser ?

Nandanee Soornack.

Ensuite, il suffirait d’obliger la police à travailler sous la directive et avec la permission de magistrats et toujours en transparence, c.-à-d. toujours filmé. Au moins ceux-là, les magistrats sauraient (devraient savoir !) ce qu’il faut faire ou pas pour assurer un charge sheet qui tienne en cour ! Je me souviens d’avoir lu celui de Mme Soornack pour son extradition de Bologne, de n’avoir pas du tout été impressionné par la maîtrise de l’anglais rédigé par la police et de m’être inquiété à quoi ce document finirait par ressembler quand finalement… traduit en italien ! Ce serait désormais au magistrat de décider si la méthode forte peut être autorisée ou non, par exemple, face à un caïd, un baron de la drogue, un récidiviste notoire, un terroriste avéré… Car, ne nous faisons pas d’illusion non plus, combattre le grand crime avec des gants blancs et de bons sentiments ne nous mènera pas bien loin en l’état de finesse actuelle de nos investigations policières.

Finalement, est-il trop facile de suggérer que la mesure d’une société civilisée est, à la fois, la manière dont on traite ses citoyens, ses suspects, ses prisonniers et ses animaux ?

À cette échelle-là, nous avons, assurément, encore beaucoup de chemin à faire…