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Inégalités salariales: pourquoi et quoi faire ?
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Inégalités salariales: pourquoi et quoi faire ?
La Banque mondiale a publié son rapport visant à rendre plus équitable le marché de l’emploi, source d’écart croissant de revenus. À sa lecture, on constate, encore une fois, que la base, le remède, c’est l’éducation.
Un rapport de la Banque mondiale (BM), cela ne se résume pas facilement. Prenez celui diffusé le 26 mars, en présence du ministre du Travail, Soodesh Callichurn. Il s’intitule Adressing Inequality, through more equitable labour markets, fait 136 pages, comporte neuf encarts d’explications, 52 références, 85 tableaux, graphiques ou statistiques.
Combien de temps a été passé à la rédaction de ce document extrêmement touffu et utile ? Ce n’est pas précisé et on peut le regretter. Mais nous vivons dans un monde où les consommateurs éventuels de ce document, soit les lecteurs de journaux qui en publieront des comptes rendus, les syndicalistes et les fonctionnaires des ministères concernés, y passeront probablement bien moins de temps ! On peut d’ailleurs aussi rappeler que depuis 50 ans, de bien nombreux rapports similaires ainsi qu’une foultitude d’études et de recommandations ont été déposés entre les mains de nos décideurs, avec peu ou pas de suite…
C’est sans doute une des raisons qui a permis en partie la révolte des Brexiteers et des Trumpistes contre les avis d’«experts» et qui rend possible, désormais, que l’on fasse fi même des faits et de la raison, pour prendre les décisions les plus intempestives (sur la globalisation, le marché commun, les accords commerciaux, la COP 21, par exemple).
Essayons, tout de même, d’en dégager l’essentiel, en avouant, pour commencer, n’avoir lu que l’Executive Summary (17 pages), avec un renvoi que très occasionnel au reste du rapport !
Inadéquation
La conclusion principale du rapport est que l’inégalité salariale s’est aggravée – le coefficient de Gini se détériorant de 16,4 % entre 2001 (0,37) et 2015 (0,42) et l’écart entre les revenus des 10 % les mieux payés (P90) et les 10 % les moins bien payés (P10) ayant progressé de 37 %.
Bien ! Mais pourquoi donc ? Et que peut-on y faire ?
Le rapport décrit, avec justesse, la toile de fond d’une île Maurice structurellement métamorphosée ces 15 dernières années. Ce n’est pas tant que les salaires inférieurs n’ont pas progressé, mais seulement qu’ils ont progressé plus lentement qu’au niveau supérieur. Entre 2001 et 2015, les 10 % les moins bien payés (P10), englués dans des emplois à plus faible valeur ajoutée, progressaient de 22 %, alors que la fraction P90, dopée par des emplois nouveaux où l’offre était systématiquement en dessous de la demande, progressait de 62 % !
Le rapport dépeint un pays qui, au cours des 15 dernières années, s’éloigne des secteurs traditionnels (agriculture, manufacture, textile) pour émigrer vers le secteur des services, en général plus rémunérateur, d’autant plus qu’il existe un «mismatch» grandissant entre les emplois offerts et ceux qui sont à la recherche d’un emploi ! Les forces du marché sont donc à la base de ce fossé grandissant entre haut et bas salaires.
L’effet est mécanique et presque inévitable. Quand arrive le secteur offshore, par exemple, à la recherche de comptables, de fiscalistes, d’hommes de loi, de secrétaires de compagnie spécialisés, tous bien payés, a priori et souvent en manque sur le marché – ce qui mène à de la surenchère – l’inégalité des salaires augmente inévitablement. Mais doit-on conclure qu’il faut éviter de créer de nouveaux secteurs rémunérateurs au motif que le coefficient de Gini national va se détériorer ?
À la vérité, à chaque vague structurelle du genre, les inégalités vont s’accroître jusqu’à ce que toute la structure de l’emploi soit, finalement, tirée vers le haut. Ceux qui s’adapteront immédiatement en profiteront. Ceux qui ne le peuvent ou ne le souhaitent pas et qui insistent pour rester dans leur condition connue et maîtrisée plutôt que de se reconvertir progresseront plus lentement. Cela s’est passé dans tous les pays qui avancent.
C’est d’ailleurs aussi le cas au niveau des entreprises elles-mêmes. Quand une compagnie se réinvente, c’est pour mieux faire et ceux qui s’adaptent à la nouvelle donne progressent évidemment plus rapidement salarialement. Dépendant de l’envergure des transformations, un certain pourcentage des employés se révèle toujours incapable ou pas disposé à changer. L’entreprise doit alors trouver une voie de sortie raisonnable. Au niveau d’un pays, c’est au gouvernement d’intervenir. Le salaire minimum ou la negative income tax (désormais redondant ?) et les plans de formation continue vont dans ce sens.
Population plus qualifiée
Outre la transformation structurelle de l’économie du pays, d’autres facteurs expliquent aussi les inégalités salariales grandissantes. La BM en fait la liste, sans tenter de hiérarchiser :
1. Les Renumeration Orders, puisque sporadiques et généralement minimalistes dans les secteurs concernés – vu que la protection de l’emploi prime alors –, ont tendance à freiner l’aug- mentation salariale des bas salaires.
2. Le taux de participation féminine au marché de l’emploi est en hausse (de 47 % à 57,5 %, entre 2004 et 2015), notamment dans les familles déjà mieux loties. À noter que le taux de participation des femmes avec des qualifications post-secondaires et d’enseignement supérieur est à ce jour aussi élevé que celui des hommes (89 %).
3. La progression relative des familles uni-parentales ; l’inégalité salariale y est plus forte.
4. L’inégalité salariale est encore plus grande chez les femmes que chez les hommes (à relier avec 2. ci-dessus).
5. La population qui travaille est de plus en plus qualifiée. La «prime éducation», notamment pour les hommes, est substantielle avec des augmentations salariales de 31,4 % pour ceux ayant des diplômes universitaires, versus 10 % en moyenne pour ceux qui n’en ont pas. Or, si seulement 6 % des citoyens de plus de 16 ans possédaient en 2001 une éducation post secondaire ou supérieure, ce pourcentage a depuis été multiplié par quatre !
Diplômés-chômeurs
Cette étude aligne d’autres conclusions intéressantes. Ainsi, dans le secteur public, les femmes sont mieux payées que les hommes par 7,2 %. Ceci est dû à leur meilleur impact productif. Par contre, dans le privé, les femmes touchent en moyenne 30 sous de moins de l’heure que les hommes, étant plus engagées dans des activités à faible valeur ajoutée.
D’autre part, s’il y a de plus en plus de diplômés-chômeurs (39,5 % en 2015 v/s 6,8 % du total en 2006), la BM postule que «the low quality of learning achievements» a probablement généré un nombre croissant de ceux-ci. On peut impliquer ici la vague de «démocratisation» d’accès aux études supérieures tant à Maurice qu’à l’étranger, qui ne produit pas toujours des diplômés de bonne qualité… et dont personne ne veut parler !
Il est aussi rapporté que le pays s’éloigne vigoureusement d’un système salarial basé sur le nombre d’années passées au travail. Ainsi, la prime «séniorité» d’un homme avec 35 ans d’expérience qui était, en 2004, de 54 % par rapport à un homme de 14 ans d’expérience ou moins, a baissé à 27 % seulement en 2015. Tant mieux pour le pays !
Remède
Quel est le remède préconisé pour réduire ces inégalités salariales qui se développent ? On évoque des approches qui facilitent la vie des jeunes mères, mais surtout, rien de nouveau, de réduire le «skills gap», ce qui demande de comprendre les besoins actuels et futurs de notre économie en constante mutation. Gentiment, le rapport suggère que «the quality of public education be secured» et que l’éducation publique puisse «ensure labour market relevance» à ses qualifications.
Tout un programme qui va bien au-delà de la réforme du CPE ! Et qui mène la BM à mentionner à nouveau le fait que l’éducation nationale ne semble pas «provide workers, especially youth, with the high quality learning required by employers». Elle cite l’étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques, comparant les niveaux atteints par nos élèves à ceux d’autres pays (Test PISA), qui révèle (Walker 2001) qu’à 15 ans, ils tiennent mal la comparaison avec leurs pairs, tant au niveau de la lecture, des mathématiques que de la maîtrise des concepts scientifiques !
On est prévenu !
Or, ces tests, on ne semble pas vouloir les refaire, ni les rendre publics, alors que ce sera crucial pour mesurer nos taux de progression, surtout par rapport à nos concurrents, à qui il faudra évidemment se mesurer, chaque jour, sur les marchés internationaux pour gagner nos vies !
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