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Qu’est-ce qui fait donc un pays ?

1 avril 2018, 09:59

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Qu’est-ce qui fait donc un pays ?

Un pays peut se définir ou se caractériser selon d’innombrables critères : sa topographie, sa position géographique, sa culture, ses capacités militaires, son génie inventif, sa capacité à rebondir face à l’adversité, ses accomplissements sportifs, artistiques ou académiques, son PNB (ou BNB, style Bhoutan) par tête, son sens de l’accueil et du partage peuvent tous être utilisés pour dessiner le profil comparatif d’un pays et, a priori, établir s’il est un succès ou non.

Dans l’absolu, il est difficile de trouver un seul (ou plusieurs) caractère(s) marquant(s) qui différencie(nt) notre pays cinquantenaire du reste du monde. Si le Japon est connu pour ses kamikazes, ses mangas, ses sushis ; si le Mexique est connu pour sa bière Corona et sa civilisation Aztèque, on peut lier la Russie au KGB et à Sochi, l’Angleterre à la révolution industrielle, la France à la déclaration des droits de l’homme, l’Islande aux Vikings et la Suède au Prix Nobel ; mais quoi associer à Maurice de manière indéniablement unique ?

Ah oui, au dodo, c’est sûr ! À la différence près que les exemples ci-dessus répertoriés indiquent des critères façonnés par l’homme, pas des acquis de la nature qui ont été, d’ailleurs, dans ce cas, détruits par les hommes. Le Pieter Both ne fait pas le poids, non plus.

Que nous ayons mieux fait que beaucoup de nos pairs libérés du colonialisme en même temps que nous est évidemment rassurant, mais pas extraordinaire et certains auront même bien mieux fait que nous. Le séga ? Le patois créole ? La coexistence pacifique ? En fait, nous ne sommes des champions de rien ! Dans notre cas, notre image est alors constituée non pas de faits distinctifs uniques, mais plutôt d’une kyrielle de manières d’être et de façons de faire qui, bout à bout, façonnent notre image et résument le pays.

Dans un tel scenario, nous n’avons d’autre choix que de soigner TOUS les aspects apparemment plus mineurs de notre vie nationale afin que l’image composite qui en résulte soit au moins passable, voire agréable, si elle ne peut être irrésistiblement attrayante. Car à chaque fois que quelque chose va clocher, déraper, ou passer de travers, c’est l’image du pays qui va en souffrir ! D’autant que l’effet médiatique qui se concentre inévitablement sur ce qui va mal, va engrosser chaque bavure, sans effet compensatoire d’égale valeur du côté positif…

Il faut donc systématiquement diminuer les occasions de bavure !

Prenons l’exemple de Sobrinho. Quand il a débarqué à Maurice, on s’est précipité pour l’accueillir, mesmérisé sans doute par les gains à court terme que l’on pouvait espérer mobiliser. On savait pourtant déjà qu’il avait, au moins, mené la banque BESA qu’il dirigeait à sa faillite en Angola, que des centaines de millions de dollars avaient, en passant, «disparues», et que cette faillite avait elle-même largement précipité la chute de la compagnie mère, Espirito Santo, au Portugal !

Le critère, cependant, établit par les autorités locales pour traiter les dossiers de M. Sobrinho était… qu’il n’avait pas été condamné ! Un critère vraiment minimaliste qui faisait ainsi le pays prendre le pari de jouer son image AVEC celle de M. Sobrinho. Je vous signale, d’ailleurs, qu’Amin Dada, Pol Pot, Marcos ou Mobutu n’ont jamais été condamnés de leur vivant… C’est dire si ce critère de «non-condamnation» ne garantit quoi que ce soit de raisonnable ! Les développements depuis l’arrivée de Sobrinho au pays, fin 2016, le départ du clan Dos Santos, les rapports Kroll et les nouvelles enquêtes en Suisse et au Portugal aidant, ne vont pas dans le sens de son angélisation. Loin de la ! Le principe de la prudence aurait sûrement dû nous avoir suggéré beaucoup plus de retenue et de scepticisme au départ, il me semble. Quinze mois plus tard et une présidente de la République en moins, on peut reconnaître avoir joué avec le feu et payé le prix fort, y compris avec notre image à l’international. D’autant que le positif, soit la vigueur de réaction de notre démocratie et de l’opinion publique, y compris contre la plus haute personnalité de l’État, ne fait pas médiatiquement le poids face aux aspects négatifs, soit les dépenses folles, la proximité avec un personnage controversé, le geste anticonstitutionnel, la démission forcée, les risques de blanchiment d’argent…

Prenons un autre exemple, moins sérieux certes, mais qui aide à conditionner aussi notre image nationale. Je ne connais pas beaucoup de pays où, dans l’avion qui va atterrir, on lâche des pesticides, au nom de la santé publique ! On a la bonté de prévenir et d’expliquer les six petites fioles qui vont siffler à bout de bras. On assure que ce n’est pas nocif à la santé. Mais encore ? On devine que c’est pour ne pas importer des moustiques porteurs de virulences ? On pourrait peut-être alors expliquer pourquoi c’est nécessaire, même quand l’avion vient d’une Europe sans moustique ou des déserts de Dubayy ? Sans compter que l’étranger doit, de plus, se poser des questions sur la nécessité de remplir une Disembarcation Card (pour contrôler le trafic de drogue ?) ainsi qu’un Health Declaration Form (pour prévenir l’importation de la grippe aviaire – maîtrisée depuis longtemps déjà ?). Certains trouveront cela, peutêtre, charmant. Certains autres pourraient, par contre, y trouver un pays bien trop bureaucratique et un peu bizarre, d’autant qu’il allouait, en ce dimanche aprèsmidi, un seul comptoir aux touristes qui débarquaient et cinq aux citoyens mauriciens. Ce qui décuplait ainsi la queue de touristes attendant leur petit tour au «paradis» et crachait sur l’évidence que ce sont pourtant les touristes qui nous nourrissent, pas l’inverse !

Ajoutons à cela les chiens errants, la petite pollution stupide aux plages publiques comme à la cascade d’Eau-Bleue, les arrestations intempestives «pou met enn cracking» , les lois scélérates occasionnelles, la méritocratie à la Choomka, le mauricianisme à la Soodhun, un projet de parking à Ébène ou un  certificat d’IHS bloqué pour considérations politiques mesquines, une attitude désinvolte incapable de cacher nos insuffisances répétées année après année (voir le rapport de l’Audit !), un système politique favorisant la permanence des dynasties, les lois qui ne s’appliquent pas systématiquement (lire Y. Martial sur le Dr Ip, 27/03 et 28/03 – dans la rubrique Il y a 25 ans), les enquêtes embarrassantes que l’on noie allègrement à l’ICAC et l’on peut imaginer l’image du pays qui en résulte malgré nos succès économiques relatifs…

Encore heureux que nous n’ayons pas à subir l’indignité d’un président «Tweet», qui licencie à tour de bras comme dans The Apprentice, qui ne met pas suffisamment de distance entre ses affaires personnelles et ses responsabilités nationales, qui ment ou qui déforme les faits aussi joyeusement qu’il respire et qui voit les médias nationaux quotidiennement décortiquer une de ses nombreuses cabrioles passées ayant d’abord mené à des paiements pour faire taire, puis, maintenant, à des procès !

«Be thankful for small mercies» pourrait-on dire !

Oui !

Mais il ne faut SURTOUT pas s’en contenter !