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Tomberons-nous à l’eau ?
La situation de l’eau à Maurice ne peut pas ne pas nous interpeller en cette fin de semaine. Le ministre Collendavelloo annonce, d’une part une augmentation des tarifs, et d’autre part un projet d’«affermage» de la CWA, comme recommandé par la Banque mondiale (BM). Ce qui est clair, au départ, c’est qu’une institution comme la CWA, qui vend de l’eau apparemment à moins cher que son coût de production de Rs 15/m3, c.-à-d. Rs 13,01/m3 en moyenne et Rs 4,50/m3 pour ses 350 000 consommateurs individuels, ne peut PAS être viable. J’insiste sur le mot «apparemment» parce que les chiffres disponibles au public et/ou fiables sont rares ou peu accessibles. Ainsi, le dernier rapport de la BM de 2016 (130 pages) n’est disponible que pour son Executive Summary de dix pages et le dernier rapport annuel de la CWA s’arrête au 31/12/2015.
Ceux qui défendent la thèse de l’«eau du bon dieu» estiment l’équation simple. Ce n’est pas le cas. Surtout après des années de négligence coupable, de sous-investissement et d’interventionnisme politique menant à des recrutements non méritoires, des pertes lourdes sur le réseau ou une sous-facturation criminelle de la production.
Ce qui est connu, c’est qu’on produisait 670 000 m3 d’eau par jour en 2015 et que 54 % de cette production provenaient de 116 boreholes, la balance venant de rivières et de réservoirs. On facturait, en parallèle, seulement 270 000 m3 d’eau potable et 41 000 m3 d’eau non traitée. La différence, soit 54 % de la production, ne générait AUCUN revenu, ce qui est proprement stupéfiant et à mettre au débit de tous nos gouvernements depuis l’Indépendance ! D’ailleurs, en 2015, seulement 65 % de la population recevaient un service de 16 à 24 heures d’eau par jour, étant entendu que le 16/7 n’est pas du tout l’équivalent du 24/7 ! 14 % des clients recevaient de l’eau entre 12 et 15 heures quotidiennement et 21 % pour moins de 50 % du temps. Si la capacité de nos réservoirs est estimée à 105 M m3, la capacité des réservoirs installés chez les citoyens, de la «touk» au réservoir souterrain, est inconnue mais sûrement substantielle et symbolique du nombre d’heures où l’eau ne coule toujours pas…
Le rapport annuel de 2015 reconnaît (section 5, page 56), que le coût d’opération de la CWA est «very high». Le plan de pension, de type «defined benefit» est représenté au bilan par un passif de plus de Rs 1,6 milliard qu’il faudra bien régler un jour. Ce qui est sûr, c’est que sans Rs 290 M de subsides divers, le «surplus» 2015 de Rs 150 M… disparaît ! Pire, la CWA perdait de l’argent jusqu’en 2011, quand sont arrivés les subsides, et le «surplus» après subsides (Rs 254 M en 2012) est depuis érodé chaque année…
La distribution se fait à travers 5 000 km de tuyauterie, dont 1 500 km sont vieux de plus de 50 ans. Entre 2010 et 2015, on remplaçait en moyenne 56 km de tuyaux par an. Ça a dû s’accélérer un peu depuis, Rs 2,3 milliards ayant été débloquées du Build Mauritius Fund en 2015, pour remplacer 185 km de tuyaux en trois ans. À ce taux, 1 500 km de tuyaux neufs coûteront Rs 18 milliards et ça prendra 24 ans pour les remplacer! Sans compter qu’il faut aussi construire de nouveaux barrages, de nouveaux postes de filtration et poser de nouveaux tuyaux pour les besoins de développement… Selon son dernier rapport annuel, des investissements d’importance «stratégique» demandent Rs 2 milliards par an à l’horizon 2050. Or, la CWA n’est plus «credit worthy» et ne peut plus emprunter. Il est donc clair que les opérations quotidiennes et les dépenses capex de la CWA ne peuvent que provenir d’une combinaison (1) de meilleurs prix générant des surplus (le consommateur paie) (2) des subventions du gouvernement (le contribuable paie) et (3) des gains de productivité.
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C’est évident que le présent gouvernement a trop promis, trop vite. De l’eau 24/7 pour tous, tout de suite, c’était vendeur en campagne électorale, mais plutôt irréaliste !
Cependant, reconnaissons que la volonté de changer de cap et, enfin, de régler le problème, même si cela va prendre un peu de temps, est fort louable. D’autant plus que l’alternative est de continuer cahin-caha, comme au cours de ces 50 dernières années, avec une lente dégradation du service et des subventions grandissantes.
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(1) Une augmentation des prix est donc nécessaire, ne serait-ce que pour sensibiliser les utilisateurs et leur faire réduire leurs gaspillages. De faux prix largement subventionnés, comme les Rs 4,50 le m3, que paient les usagers domestiques au-delà de 6 m3 gratuits ont le don de mener à l’insouciance et à l’indiscipline (tuyaux pas réparés, robinets qui suintent, lavages intempestifs, robinets qui coulent sans raison, etc.). (Voir aussi Bon marché coûte cher (et fout sec) !)
(2) Le contribuable devra de toute façon accepter de contribuer des fonds pour les dépenses d’infrastructures massives qui s’annoncent nécessaires si l’on veut vraiment atteindre le 24/7 (du moins en saison pluvieuse, cautionne la BM !). On parle de Rs 10,6 milliards sur les cinq prochaines années, dont Rs 3 milliards en transfert du Build Mauritius Fund, Rs 3,2 milliards en prêts additionnels (la CWA en est déjà à Rs 3 milliards…) et Rs 4,4 milliards de cash-flow additionnels (ainsi les hausses de tarif annoncées par le ministre ?) ou d’autres sources non encore définies à ce stade. À noter que la seule autre augmentation de tarif prévue par la BM en est une de 30 %, quatre ans après le début du contrat d’affermage de 15 ans – ancré sur une amélioration suffisante vers le 24/7.
Finalement, (3) les gains de productivité. C’est tout l’intérêt du contrat d’affermage, la compagnie qui vient prendre la gestion étant payée en fonction de son efficience améliorée, c.-à-d. son succès à produire plus de volume, dûment payé, assurant ainsi, enfin, la réforme dont la CWA trop politisée a été incapable jusqu’ici. Il n’y a PAS de privatisation. Il n’y a PAS de possibilité pour cette compagnie d’augmenter les prix comme bon lui semble. Il n’y a PAS de licenciement, mais selon la BM, seulement de la création de «bons» emplois. La recommandation de la BM parle même d’une augmentation de salaires de 10 % au début des opérations. Si tous les employés conservent, au départ, leurs chances, le nouvel opérateur favorisera sans doute les plus performants ! Il y aura, au bout de 15 ans, une CWA efficiente et fiable, bien moins de «fuites» sur le réseau et un meilleur service. Ce contrat PPP va être rédigé avec l’expertise de la BM et l’opérateur va être payé par (a) un % (au mieux disant) du tarif de 2015 multiplié par le volume d’eau facturé et payé, ce qui va forcer l’opérateur à trouver des gains d’efficience à chaque étape du cycle de production (b) un régime de bonus/ malus lié à des KPI précis, prédéfinis par la CWA (c) un Contract Management Fee fixe de 3 % du capex, les économies de ceux-ci par rapport à l’enveloppe fixée par la CWA au départ menant à des récompenses.
Tout cela paraît plus logique que l’enlisement actuel. Que 34 % des contrats d’affermage ou de privatisation de l’eau de la BM de par le monde aient été discontinués suggère de bonnes leçons pour la CWA, mais on ne cesse sûrement pas de créer des entreprises au motif que 50 % ou plus d’entre elles vont mourir dans les cinq ans… n’est-ce pas ? (Telegraph 21/10/2014)
Je comprends que le ministre Collendavelloo est déterminé à suivre ce plan. Il sera ainsi celui qui aura assuré, pour de bon, la réforme du secteur de l’eau, contrairement à ses prédécesseurs moins courageux. Cependant, la CWA présente et vend mal son initiative jusqu’ici et projette de démarrer deux ans plus tard que la date recommandée, par la BM, qui était fin 2016 !
Nous avons donc perdu encore deux ans. Si le gouvernement cède maintenant face à la rue et aux grognons de tous poils, nous tomberons définitivement à l’eau ! Sans bouée et sans slip ! Et dans quelques années, on devra tous acheter plus d’eau en bouteille qui coûte, aujourd’hui, déjà… 4 000 fois plus cher au litre !
Ça vous chante ?
Nous pourrions tous chanter en chœur si la décision était d’ordre électoral plutôt que rationnelle.
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