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Les deux claviers
Pravind Jugnauth sait mieux que quiconque qu’au terme de son mandat premier ministériel, en décembre 2019, il sera jugé à la fois sur sa capacité à transformer le pays économiquement, physiquement et socialement que sur ses qualités d’homme d’État.
Sur le premier plan, il y a visiblement des signes qui ne trompent pas. Comme sa volonté depuis une année de changer le paysage infrastructurel du pays. Avec d’une part les travaux à l’entrée de Port-Louis et ceux à Rose-Hill avec l’avènement du Metro Express en septembre 2019. Certes, ce n’est pas encore le grand chantier mais il y a un début à tout, qui peut amener certains à penser, comme nous l’écrivions récemment, que Pravind Jugnauth mise sur les rails et le bitume pour se faire ré-élire en décembre de l’année prochaine.
Mais il y a évidemment un déficit de charisme qui joue visiblement contre lui pour le moment. Et une incapacité à évoluer hors de l’ombre du père dont l’étoffe imposante pèse lourdement sur le fils. Certes, depuis la proclamation de Pravind Jugnauth au poste suprême du pays en janvier 2016 – une démarche toujours contestée par la classe politique et certains observateurs – il y a eu des efforts renouvelés du nouveau locataire du bâtiment du Trésor de s’approprier le poste en imprimant son style propre.
Aujourd’hui, un peu à la manière de NavinRamgoolam pendant son mandat, il se laisse aller dans des réunions et autres manifestations culturelles en allant serrer les mains des membres du public, cajolant au passage des enfants dans les bras de leurs mères. C’est l’image que les «spin doctors» du bâtiment du Trésor veulent projeter de lui : un homme proche de la masse, profondément humain dans son approche et capable de susciter l’admiration populaire. On saura, l’année prochaine, si cette posture sera payante politiquement, voire électoralement.
D’ici là, Pravind Jugnauth aura 18 mois et deux Budgets pour se donner les moyens de ses ambitions économiques et politiques avec à la clé une possible victoire pour le légitimer à son poste. Ces derniers jours, il a été au four et au moulin avec son équipe de conseillers et techniciens pour donner une certaine orientation à son exercice budgétaire, l’avant-dernier en attendant la prochaine échéance électorale.
Sans se déguiser en Père Noël avant Noël, il a intérêt à lâcher quelques morceaux sur le front économique et social afin de créer le «feel good factor» nécessaire au pays. Et, d’une part, apaiser la tension populaire après la grogne suivant la majoration de 10 % des prix des carburants et, de l’autre, rassurer les opérateurs économiques qu’il «means business» et que l’économie est plus que jamais sur son radar.
Mieux qu’un simple exercice comptable, l’instrument budgétaire peut servir à Pravind Jugnauth comme une arme efficace de redistribution de richesses. C’est la finalité dans certains cas d’un tel exercice qui peut se traduire par une démarche de justice sociale hautement symbolique mais qui a tout son poids historique. Comme taxer les plus fortunés en vue d’autonomiser financièrement les plus défavorisés de la société pour qu’ils puissent grimper l’échelle sociale. Ce qu’il avait fait l’année dernière… avec la «solidarity levy» imposée à ceux engrangeant des revenus annuels de plus de Rs 3 millions pour financer l’impôt négatif des salariés aux faibles revenus.
Pravind Jugnauth n’a pas encore précisé ses options budgétaires mais il est condamné à mettre sous perfusion deux secteurs cliniquement morts : le sucre et la manufacture. Deux défis majeurs car il s’agit de protéger la base industrielle du pays d’une part, et de maintenir les exportations, d’autre part.
Dans son exercice habituel de gestion de l’opinion publique, le ministre dira qu’il n’a pas de marge de manoeuvre illimitée. Et qu’il ne peut que jouer sur deux claviers – monétaire et fiscal – pour réconcilier sa vision économique et sociale du pays avec l’ambition, mille fois répétée, de préparer la transition de Maurice vers un pays à revenu élevé…
Dans son arbitrage, le ministre des Finances aura les yeux rivés sur les prochaines élections qui ne peuvent être occultées. Aussi, il a un devoir de résultats, un bilan à léguer l’année prochaine pour pouvoir convaincre et gagner la confiance de l’électorat cette fois. En même temps, il doit opérer dans des paramètres stricts, sachant que certains indicateurs macroéconomiques comme le déficit budgétaire, l’endettement public ou encore le déficit commercial ne peuvent être traités à la légère. Comme Grand argentier pendant trois ans, il sera jugé sur le redressement de ces variables économiques.
Le 14 juin, doit-on envisager un nouveau Big Bang de la part de Pravind Jugnauth ? Attendons voir, il pourrait nous réserver des surprises…
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