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Le népotisme d’obligation

1 juin 2018, 12:41

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Madame Shamila Sonah-Ori a pris la décision qui s’imposait et n’insiste pas pour être membre de l’Electoral Supervisory Commission (ESC) ou de l’Electoral Boundaries Commission (EBC). C’est tout à son crédit et elle sortira grandie de cet épisode ! Ceux qui étaient outrés qu’un agent politique avéré, en outre membre d’un important clan politique familial, soit nommé dans deux institutions où l’indépendance totale des directeurs* avait été jusqu’ici assez soignée, n’avaient pas tort non plus…

La classe politique, dans son empressement à tout contrôler quant au pouvoir, même au prix de la liberté d’action des institutions supposément indépendantes de ce pays, a passablement pourri la situation depuis des années. Toute la classe politique est dans ce bain, à divers degrés. Par conséquent, il ne reste plus beaucoup d’institutions au-dessus du marécage de la partisanerie. Les agences qui s’occupent des élections et des circonscriptions sont parmi celles-ci. La proposition du nom de Madame Ori était, à ce titre, au moins maladroite et, au pire, une saloperie inexcusable.

Que Madame Ori ait le «bagage» nécessaire pour cette responsabilité est bien probable. La question c’est qu’elle n’est sans doute pas la seule dans ce cas et qu’il eut été préférable de nommer quelqu’un avec autant de qualifications et d’expérience, mais avec un parcours clair de non partisanerie et sans affiliation familiale trop proche. Ces personnes sont rares, mais elles existent ! Les leaders des partis de l’opposition ont, à ce titre, eu raison d’insister pour qu’elle se retire pour ne pas faire outrage à une pratique qui nous a bien servis jusqu’ici, c’est-à-dire de voir nos élections être pilotées par une direction libre de toute influence. Madame Ori est, a priori, peut-être libre dans sa tête, mais la seule perception compte aussi, bien sûr.

Une approche alternative existe, nettement moins satisfaisante, soit celle de voir TOUS les partis politiques avoir un représentant sur l’EBC et l’ESC. Mais on peut imaginer les guéguerres qui surgiraient et la paralysie qui s’ensuivrait ! Non merci !

Il faut alors revenir au problème de fond de ce pays qui, ayant systématiquement politisé toutes les fonctions, y compris celles d’institutions qui, dans notre système de «checks and balances» sont supposées être libres de leurs décisions, a créé un problème colossal de «népotisme quasi obligatoire»!

Je m’explique, le problème, plutôt cornélien, étant le suivant : si un nouveau gouvernement arrive au pouvoir et veut, comme annoncé, par exemple, par l’alliance Lepep en 2014, pratiquer la méritocratie, il est alors possible que «ses» hommes et «ses» femmes, qui n’avaient PAS eu de chances égales pour obtenir des emplois lors du gouvernement précédent, ne trouvent pas, à nouveau, à travailler ! C’est ainsi que la tentation est plutôt grande de soutenir la logique qui veut qu’une fois au pouvoir, il faut vite inviter les autres à «lev paké» (qu’ils soient efficaces ou méritants ou pas) et à les remplacer par «les siens» qui n’auront que cette occasion de «manger» avant le retour «des autres»! Ainsi la spirale infernale, le cercle vicieux qui désole les méritants qui ne font pas partie des réseaux politiques, qui pousse à la fuite des cerveaux, qui mine l’efficacité des institutions de l’État et qui, en fin de compte, ralentit le pays.

Les nominations politiques ne se pratiquent pas qu’à Maurice, évidemment. À chaque changement de président aux États-Unis, par exemple, ce sont, potentiellement 4 000 postes qu’il faut revoir, dont 1 200 sont soumis à l’appréciation d’un comité du sénat. Les plus éclairés parmi eux, comme Obama, font quelques nominations non partisanes…

À Maurice, la consultation du leader de l’opposition relève désormais de la farce et n’assure rien du tout qui soit différent du désir initial du pouvoir. Comme on l’a vu dans le cas Ori, seule l’opinion publique peut encore faire reculer. Si l’on veut vraiment commencer à sortir de l’ornière et réenclencher un cercle vertueux, il faudra absolument pousser vers un accord de tous les partis politiques, décidant d’avance les postes où l’indépendance des nominés est capitale pour le bon fonctionnement du pays. On parle ici des postes où un appel à candidature est donc requis et où les CV se doivent d’être alors rendus publics pour comparaison. Quant aux autres, soyons réalistes : que le parti gagnant y case les siens, en s’assurant toutefois d’un minimum vital. Les journaux veilleront au grain, de toute façon.

*Les membres actuels de l’ESC et de l’EBC sont : Me Yousouf Aboobakar, M. Dev Cowreea, Me Désiré Basset, Me Georges André Robert, Me Narghis Bundhun, Mlle V. Peerun.