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Passé sucré, avenir amer ?
Prenez l’industrie sucrière. Personne n’en parle, personne n’en discute, sauf les opérateurs qui veulent du changement qui fera cesser les pertes, au contraire d’Ashok Subron et des employés de l’industrie qui ne veulent rien perdre. L’approche de ces derniers est plutôt prévisible : ne touchez pas aux droits acquis des travailleurs et n’utilisez pas l’argent public sous aucune forme ! Pour faire face à une situation passablement catastrophique, ça fait un peu court, puisque cela ne change rien à la situation de perte chronique actuelle qui, si cela perdure, garantit donc la mort de l’industrie. Dans une interview intéressante dans Business Magazine, cette semaine, le ministre des Finances parle de «mort lente». Qu’est-ce qui est «lent» ? Un an ? Deux ? Cinq ?
La solution pour certains partisans des droits acquis et du statu quo est de suggérer que le secteur privé crosssubsidize les pertes de l’industrie sucrière par ses profits faits ailleurs ! C’est complètement méconnaître les rouages qui font tourner l’entrepreneur privé… Un capitaine d’industrie est motivé, avec logique, par le profit. S’il perd de l’argent dans une activité quelconque, il essaiera, pendant quelque temps, de se débattre, de pratiquer des idées nouvelles, de réduire ses coûts, d’augmenter son prix de vente, et s’il perd toujours sans espoir de «meilleure fortune», il se retrouvera alors, inévitablement devant un choix. Soit il se fera une raison et essaiera de vendre son activité à tiers, même à perte, soit encore il mettra la clé sous le paillasson.
Or, il n’y aura aucun acheteur pour ce secteur sucré qui saigne et qui est déjà trop réglementé, alors même que la fermeture aura clairement des conséquences très graves, notamment sur l’emploi et la production d’électricité nationale, qui dépend actuellement de la bagasse pour 16 % du total (20 % avec la nouvelle centrale Alteo et 25 % avec d’autres biomasses).
La situation du secteur «sucre» est vraiment épouvantable et tout suggère qu’il n’y a pas «meilleure fortune» à l’horizon, avec une production globale 2018/2019 de 188 millions de tonnes alors que la consommation sera inférieure par 11 M de tonnes (par 18 M de tonnes en 2017/18). Cette situation fait que les stocks mondiaux de sucre grossissaient deux années de suite à plus de 49 M de tonnes !* Il faut aussi savoir que sept des huit plus gros producteurs mondiaux (Inde, UE, Thaïlande, Chine, USA, Pakistan, Russie), qui ont des moyens que nous n’avons pas, augmentaient, malgré tout, leur production sur la période, ainsi les conséquences sur les prix mondiaux qui chutaient de Rs 15 572/t en 2016, à un prix estimé à Rs 10 000/t en 2018. Peut-être souhaitent-ils ainsi forcer la fermeture des petits producteurs comme nous, avant de profiter de cours revigorés par moins d’offre ? Le trop grand optimisme de nos autorités, en juin 2013, est aujourd’hui confirmé.
Ce qui interpelle, c’est qu'avec la structure de coûts actuels (dont des augmentations salariales de 62,2 % depuis 2010, face à un CPI qui n’augmentait que de 26,2 %), le prix viable est maintenant estimé à Rs 17 000/t. Or, on annonce Rs 10 000/t de sucre pour la coupe de 2018…
Il n’est donc pas étonnant que les planteurs replantent moins (le % de souches de plus de 8 ans est passé de 9,5 % du total en 2009, à 19,6 % en 2016) et que l’on abandonne de plus en plus ces plantations (11 700 hectares de moins depuis 2009). C’est donc déjà la «petite mort» de l’industrie, préfigurant ce qui va se passer plus généralement, si rien n’est fait de fondamental.
Les mesures proposées par le JointTechnical Committee (JTC) sont multiples, mais pour l’essentiel, il faut produire plus de sucre et d’électricité et réduire les coûts, ramenant notamment celui de la main-d’oeuvre de 60 à 40 % des coûts opérationnels. Tout cela semble logique et mérite l’attention de tout gouvernement responsable. Je n’y rajoute que trois bémols.
(i) Si toutes les mesures indiquées sont, comme demandé, approuvées in toto, elles coûteront Rs 1,3 milliard pour la coupe 2018. Or, il est plausible de croire que la raison l’emportant éventuellement, les prix faibles actuels vont forcer certains pays à produire moins et donc faire remonter les cours. À moins que tous ne soutiennent le sucre comme secteur stratégique en dépit du bon sens (voir la liste des gros producteurs susmentionnés…) ! Ne faudrait-il pas dès lors prévoir, dès maintenant, ce qui se passera si les prix remontaient au-delà d’un prix qui permette un profit «déraisonnable» ? Rappelons-nous du boom sucrier de 1973 !
(ii) Si toutes les mesures demandées sont approuvées et, qu’en plus, on effectue les réformes proposées aux lois du travail, ceci aura pour effet de réduire les coûts de main-d’oeuvre par 40 % et ainsi enlever Rs 2 000/t aux coûts de production. Cependant, si ces Rs 2 000 de plus /t mènent, alors les gros planteurs (>60 t) au point mort (Quelle ironie ! Puisque c’est seulement alors que le secteur peut vivre…), les petits planteurs perdraient toujours près de Rs 1 000/t et continueraient forcément à se démobiliser. Il faut, bien sûr, régler cela.
(iii) Le rapport du JTC, en suggérant que le prix «point mort» est de Rs 17 000/t alors que le prix payé en 2018 sera de Rs 10 000/t, devrait s’assurer que les comptes sucriers dûment audités le reflètent clairement ! On a tellement crié au loup…
Pravind Jugnauth, dans son interview de la semaine, pense primordial d’ajouter deux variables au libéralisme économique qu’il juge incontournable : d’abord, l’égalité des chances dans le fonctionnement économique, ensuite le travail comme seul moteur véritable de la réussite. C’est bien dit et La Sentinelle Ltd et l’express applaudissent ces sentiments des deux mains ! Y compris à leur propre endroit, en espérant cette égalité ! Quant aux droits acquis, c’est un mirage de croire qu’ils sont potentiellement éternels, car le monde change perpétuellement et la seule réponse dans ce cas est de savoir et pouvoir s’adapter ! Demandez donc à ceux qui croyaient pouvoir s’accrocher aux droits acquis des palefreniers de calèches à chevaux au 19e siècle, quand surgissait le cheval à vapeur, ou encore à ceux qui croyaient à la pérennité du Double Taxation Agreement avec l’Inde… ou même à ceux qui croyaient que notre Protocole Sucre (qu’on écrivait, par propitiation, avec des lettres capitales siouplé !) n’allait jamais être remis en question…
Le seul droit acquis incontestable, à bien y réfléchir, c’est le droit final… à la MORT !
C’est ce qui guette, d’ailleurs, l’industrie sucrière, le fonds de pension national, la zone franche, même notre lagon si l’on s’en tient aux droits acquis et que l’on ne s’adapte pas de manière forte et «smart» !
Allons ! Courage ! À moins que vous ne trouviez une alternative… ?
*Source : USDA
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