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Développement III: pauvreté et précarités

2 juillet 2018, 14:19

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Le troisième volet consacré à la problématique du développement porte sur les précarités et la pauvreté. La logique du modèle dominant génère la précarité : «La précarité est une production de la société des chances, d’une société qui sélectionne. Pour les précarisables, la vie est un combat de tous les jours, pour ne pas devenir précaires. Pour les précarisés, un combat de tous les instants pour ne pas mourir, retrouver un sens face au vide social, au temps mort que constitue l’existence.» (Dubet, 2010) Des milliers, voire des dizaines de milliers, de Mauriciens en sont déjà des victimes.

La restructuration de l’industrie sucrière, la fragilisation du secteur manufacturier et ses fermetures ou délocalisation d’usines, la restructuration de corps paraétatiques, l’impact de l’intelligence artificielle avec les robots dans la production de biens et services concourent à la précarisation. Laissée à la seule logique du marché, la tendance est vers une augmentation de précaires. Cette dynamique de la précarisation doit être prise sérieusement pour trouver des solutions dignes et humaines.

Pauvreté absolue et relative

La pauvreté absolue est définie en relation aux revenus dont a besoin une personne pour satisfaire ses besoins de base dans plusieurs domaines : alimentation, habillement, logement, éducation, santé et information. A Maurice, les autorités utilisent la définition de la Banque mondiale du seuil de pauvreté ; soit des revenus représentant un ou deux dollars US par jour. Selon les données recueillies par Statistics Mauritius, et basées sur des revenus de deux dollars par jour, il est estimé que moins de 1 % de la population - 0,2 % plus exactement - vit dans la pauvreté absolue. Il était estimé en 2006/2007 que le seuil de pauvreté relative était de Rs 3 821 par mois pour une personne. Ajusté pour l’inflation, le montant équivalent en 2012 est passé à Rs 5 080 : «On this basis, the total number of poor persons in Mauritius declined from 104,200 in 2006/07 to 87,900 in 2012, that is by 15.6 percent», soit 7 % de la population.

La problématique de la pauvreté -  absolue et relative -  à Maurice remonte pour une grande partie à la fin des années de «miracle économique» avec une mauvaise lecture de ce qui a été appelé le malaise créole (1993), et qui six ans plus tard prendra la forme de «la révolte des exclus» avec les émeutes de février 1999 suivant le décès de Kaya à Alcatraz. Ce n’est presque dix ans après, soit en 2008, qu’il y a eu une tentative d’approche globale avec le programme Eradication of Absolute Poverty (EAP), dont les résultats ont été malheureusement d’une extrême pauvreté. Aujourd’hui, à l’agenda, il y a le Plan Marshall. Ce plan note que la pauvreté n’a cessé d’augmenter ces dernières années. En 2011, 7,7 % des familles étaient considérées comme pauvres. Au dernier recensement, soit celui de 2012, le taux s’élevait à 9,4 %. On est passé de 23 700 à 33 600 foyers pauvres. En 2012, les familles ayant des revenus mensuels de moins de Rs 5 652 étaient considérées comme évoluant dans la pauvreté relative. Maintenant, on parle d’un seuil de Rs 6 200.

Sur cette question de la pauvreté, l’humilité s’impose. Nous avons jusqu’ici échoué collectivement, et chacun dans la position qu’il occupait ou occupe doit assumer sa part. Il existe un état des lieux et des axes identifiés pour  mettre en œuvre un plan d’action global. Une stricte vigilance pour s’assurer que les investissements vont aux populations concernées et ne soient pas engloutis par une administration budgétivore sans résultats probants est nécessaire.

L’État s’est doté de moyens pour financer partiellement ce programme. Il compte sur les entreprises avec les 75 % de leurs fonds CSR consacrés en grande partie à la lutte contre la pauvreté. Le gouvernement s’attend aussi à ce que les entreprises mobilisent leur expérience, savoir-faire et compétences diverses pour participer activement à des projets et initiatives dans ce sens. Et ce, dans un environnement où les entreprises intègrent la notion de responsabilité sociale et citoyenne. Ce potentiel demande à être exploité, après un réel inventaire, pour  trouver des articulations performantes.

Les vecteurs

Le principal déficit dans tout le programme de l’éradication de l’extrême pauvreté et de la pauvreté est la disponibilité des compétences – accompagnateurs, psychologue, sociologues, travailleur sociaux, entrepreneurs sociaux, éducateurs et formateurs spécialisés, formateurs généralistes, etc. Il faut former «une armée» de soldats pour mener la lutte contre la pauvreté extrême à travers la création d’une académie. Le secteur privé est bien engagé dans le secteur de l’éducation et de la formation tertiaires. Peut-on imaginer un partenariat avec l’Etat à travers un consortium pour la mise en place de cette institution stratégique ? Une telle académie pourrait aussi avoir une ambition régionale comme élément du Knowlege hub mauricien. Les pays de la région ont aussi besoin de ces cadres. L’aide du Brésil déjà sollicitée pourrait être très utile.

Il existe des institutions ou organismes chargés de faire reculer la pauvreté. Le premier a été le Trust Fund for Vulnerable Groups institué en 2001. La National Empowerment Foundation quant à lui a été institué il y a une dizaine d’années. Cette année 2018 démarre le Plan Marshall, qui s’articule autour de plusieurs thèmes : la protection sociale, l’emploi, l’éducation, le logement, la santé et l’égalité pour tous dans tous les secteurs d’activité. Il redéfinit aussi la Corporate Social Responsability (CSR) et propose une refonte complète de la National Empowerment Foundation (NEF) en déphasage total avec la réalité : ciblage inexact, grosses erreurs d’inclusion et aucun système de suivi des initiatives lancées. Sur le front de la lutte contre la pauvreté nous avons perdu dix ans. Assurons nous de ne pas constater en 2028 d’avoir perdu 20 ans ! S’il faut certainement articuler les initiatives des institutions telles que la NEF et le Trust Fund for Vulnerable Groups, il faut veiller à ne pas confondre les objectifs respectifs de ces institutions car le profil des populations ciblées demande des approches bien distinctes.

Dans la mise en œuvre du Plan Marshall, le Social Register of Mauritius (SRM) est un outil capital. Par ailleurs, il faudra aussi recruter davantage de travailleurs sociaux, pour qu’un travailleur social de la NEF s’occupe de 150 familles pauvres au lieu des 500 actuellement. Le programme arrêté consiste à mettre en œuvre les 39 propositions concrètes et chiffrées dont le but est de contribuer à la réalisation de l'Agenda 2030. Il y aurait quelque 10 300 foyers éligibles au Marshall Plan social contract. Grâce à la carte SRM, les personnes «défavorisées» seront retracées sous le concept de Community Work Group (CWG) dont l’objectif est de coordonner les actions de tous les acteurs du mouvement contre la pauvreté, d’établir un plan d’action adapté aux régions et aux situations et de fournir les appuis techniques nécessaires.

Synergies

Le mécanisme à mettre en œuvre réside dans un partenariat Etat – entreprises – ONG (société civile) tant sur le plan financier que celui de l’expérience, du savoir-faire et des compétences diverses. Il existe déjà à l’état plus qu’embryonnaire ; le défi consiste à le développer pour une synergie optimale. De nombreuses entreprises ont intégré dans leurs programmes CSR des initiatives couvrant la lutte contre la pauvreté avec des réalisations valables et concrètes à leur actif. Faisons-en l’inventaire en tirant les leçons qui s’imposent. De nombreuses entreprises du secteur privé ont poursuivi et approfondi leurs politiques CSR en partenariat avec les ONG. Ce partenariat se développe ; des entreprises ont consolidé leurs structures, les moyens et les mécanismes pour mener à bien leurs politiques. D’autres s’y sont lancé plus récemment avec des initiatives intéressantes. De grâce ne cassons  les dynamiques qui marchent. Ouvrons une parenthèse importante pour dire que le CSR ne peut être réduit à la lutte contre la pauvreté avec l’imposition des 75 %. Les entreprises doivent pouvoir consacrer une bonne partie de leur fonds CSR aux demandes des ONG qui répondent à de réels besoins sur le terrain dans le domaine des loisirs, du sport, de l’art et de la culture. Indirectement, des interventions dans ces domaines contribuent à la lutte contre la pauvreté.

Le Plan Marshall reconnaît les multiples aspects de la pauvreté et de l'inégalité et la manière dont ils peuvent interagir sur la stabilité des revenus, l'accès à des services de qualité, les opportunités de travail et la participation communautaire. Il faut intégrer aussi la dynamique de précarité évoquée plus haut.

En finir avec la pauvreté n’est pas une affaire de technobureaucratie. C’est un combat qui se mène et se gagne sur le terrain avec des qualités de cœur, un savoir-faire spécialisé et un savoir-être. Il a sa propre logique et ses exigences. Il s’agit de professionnaliser et non de bureaucratiser. Un des grands défis du chantier de la lutte contre la pauvreté reste comment éviter la politisation, source de blocage. Ceux qui sont sur le terrain avouent leur impuissance devant les dérapages et les dérives liés à une politisation à des fins partisanes. Moyennant un investissement de Rs 12 milliards à Rs 15 milliards sur les dix prochaines années gérées de manière intelligente, éradiquer la pauvreté absolue et faire reculer la pauvreté relative est à notre portée. Trouvons un modus operandi où tous les acteurs peuvent mettre le cœur à l’ouvrage pour une humanité retrouvée centrale de tout projet sociétal moderne.

Voir aussi les précédents articles: 

 

Développement: philosophie et stratégie (I)

Développement, démocratisation et lutte contre les inégalités (II)