Publicité

Démocratie électorale et intérêt public

16 septembre 2018, 08:14

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Démocratie électorale et intérêt public

Le rapport sur la réforme électorale n’a pas encore été rendu public que beaucoup en commentent déjà les bribes les plus controversées.

M. Shakeel Mohamed a raison de s’opposer à la proposition qui veut que ce soit les leaders des partis qui choisissent les 12 députés «correctifs», apparemment suggérés à partir d’une liste «proportionnelle», pour que les minorités ne se sentent pas lésées. Surtout si cette liste est finalisée ex post facto ! En effet, la toute-puissance des leaders omnipotents qui contrôlent déjà la caisse du parti, le choix de qui sera candidat aux élections, de qui deviendra ministre et qui voyagera, etc., va s’en trouver renforcée. Or, ils sont déjà inamovibles ! Au point où AUCUN leader de parti politique battu aux élections depuis 50 ans ne s’est jamais retrouvé contesté par du leadership neuf qui finissait par le remplacer. Pensez Jugnauth, Ramgoolam, Bérenger ou Duval. Le seul renouvellement possible, semblet- il, passe par la mort et le flambeau reste alors, tout de même, avec la dynastie. Papa-piti, pour moralement intolérable que ce fut, en est une variante, sans mortalité, s’entend… Bérenger n'a encore rien fait que l’électorat, 50 ans conditionné, s’attend au même réflexe. Mais la question clé, à ce niveau, est : dans une démocratie qui n’est pas moribonde, qui veut donc perpétuer, incruster, étendre le pouvoir des leaders politiques encore plus, si ce ne sont les… leaders eux-mêmes ?

Navin Ramgoolam a fait comprendre qu’il est contre ce qu’il a entendu comme proposition. Sans apparemment expliquer pourquoi. Le mystère lui convient-il ?

M. Adrien Duval a peut-être raison de souligner que le Best Loser System (BLS) aide aussi à réparer «les anomalies causées par le découpage électoral». Car il y a un vrai problème de représentativité électorale, trois députés représentant également 21 530 électeurs au n°3 ou trois fois plus, soit 63 527 au n°5 ! Étonnamment et contre toute logique, il ne propose pas un meilleur découpage des circonscriptions, mais un «bon» recensement. Par là, il veut dire un recensement «communal» dans le sens BLS, peut-on supposer, puisqu'un recensement des religions existe déjà (recensement de 2011, page 69). Libéralement, 53 catégories religieuses différentes sont représentées dans ce recensement. Le morcellement national n’est-il pas suffisant ? Communalement, on va faire un «bon» recensement comment ? En identifiant les «la tête coton», séparément des «mulâtres» ? En classifiant les enfants de mariages mixtes dans de nouvelles catégories, style BLS, comme «sino-hindou» ou encore «indo-chinois» ?

Paul Bérenger a raison : ce sera la boîte de Pandore ! Et il ne faut pas oublier que dans le mythe grec, les malheurs du monde qui s’échappèrent de l’amphore quand elle l’ouvrit par curiosité, même si on le lui avait strictement interdit, ne purent jamais être ramenés à bon port, bien entendu. Par contre, détail savoureux, quand les malheurs du monde s’échappèrent, il resta, tapi au fond de la jarre, l’antidote à tous ces malheurs, soit… l’espérance !

Razack Peeroo propose un référendum au motif que c’est le peuple qui doit décider des changements de la Constitution. C’est à réfléchir. La modification de 1982 rendant obligatoires les élections chaque cinq ans, modification que l’on doit au grand MMM de l’époque, est un puissant remède au renvoi des élections de 1972 par SSR et SGD, après l’état d’urgence et leur grande coalition. Elle ne demandait, cependant, pas de référendum. La population n’a pas été interrogée non plus en 1991 sur le statut de République. On a, par contre, bien vu le danger des référendums sur des questions trop complexes (exemple : Brexit) qui sont alors détournés par d’autres considérations plus étroites et plus égoïstes.

Think Mauritius a sans doute raison de proposer l’élimination du BLS, mais proposer 50 circonscriptions uninominales, est-ce bien la solution ? Un député par circonscription, cela ne force plus les partis à beaucoup de circonspection dans leur choix de candidats. En effet, il s’agirait, selon leurs modes de réflexion pourris, de proposer des candidats en phase avec la majorité «communale» de la circonscription. Et si 40 à 45 des 50 circonscriptions, gerrymandering oblige, avaient la même «communauté» en majorité relative ? En Nouvelle-Zélande, la circonscription à député unique marche parce que l’électeur a un deuxième vote, pour un parti politique cette fois, sur une base proportionnelle, mais surtout parce que l’électorat est plus homogène qu’à Maurice. Le Single Transferable Vote, où chaque électeur vote pour les candidats qui se présentent dans sa circonscription, par ordre de préférence, peut mobiliser des partisans convaincus. Rama Sithanen, qui a fait des systèmes électoraux l’objet de son doctorat à Brunel, a ses idées à lui et a au moins le grand mérite d’avoir étudié la question en profondeur. Les opinions de Kavi Ramano, de Danielle Selvon, d’Alan Ganoo vont être déterminantes si le MMM vote effectivement avec le gouvernement, apparemment «under protest»…

La question qui demeure d’actualité et qui mérite notre attention cependant, n’est pas de savoir qui a raison et qui a tort, mais surtout si on peut améliorer le système actuel suffisamment, en éliminant le BLS. Il faut admettre qu’aucun système ne sera jamais parfait ! Demandez seulement à Hillary Clinton, par exemple, qui récoltait plus que 2,8 millions de votes de plus que Donald Trump en 2016… et qui n’est pourtant pas devenue présidente !

******

Pendant que l’on discute de réforme électorale et de financement de partis politiques, deux objectifs méritant certes notre attention, le secteur sucrier s’enfonce sans plan de sauvetage, le secteur de la pêche se brade volontiers à tiers, la productivité nationale reste flasque, National Productivity and Competitiveness Council ou non, et le déficit de la balance commerciale va atteindre 109 milliards. Est-ce que nous avons les bonnes priorités ?

******

Alors que nous venons de rendre hommage et d’enterrer Sandra O’Reilly, une dame courage qui n’a jamais baissé les bras face à l’ignominie de ses agresseurs, le président Rodrigo Duterte, élu tout à fait démocratiquement aux Philippines en mai 2016, déclarait il y a quelques jours qu’aussi longtemps qu’il y aura de belles femmes, il y aura des cas de viol ! Devant la levée de boucliers face à sa remarque affligeante, y compris celle de la vice-présidente Robredo qui proposait, à la place, que le viol existe plutôt parce qu’il y a des violeurs, Duterte a plaidé la «plaisanterie». C’est le même argument qu’il avait utilisé lors de sa campagne électorale après qu’il eut suggéré, en 1989, qu’une missionnaire australienne prise en otage, violée et tuée par des condamnés en prison, aurait dû avoir été violée par «le maire d’abord» tellement elle était jolie. Le maire, à l’époque, c’était lui !

Comme quoi, la démocratie électorale est loin d’être une condition suffisante pour se choisir du leadership décent ! Il faut, en effet, bien choisir aussi au-delà de l’émotionnel et ne pas voter pour des scélérats…